De la déconnexion de Jürgen Habermas

Publié le par Alexandre Anizy

L'allemand Jürgen Habermas, un philosophe de la construction européenne, se répand dans les médias européens pour fustiger le comportement « brusque et teutonique » de l'Allemagne à l'égard de la Grèce dans la nuit du 13 juillet. Nous lui faisons crédit pour cette apparente parole contraire dans un pays trop sûr du et de son droit. Pour le reste, pas du tout.

Le reste commence par une vision idyllique du passé :

« Après la réunification [1989], l'Allemagne s'est d'abord occupée de ses propres problèmes et puis, ayant pris conscience de sa normalité retrouvée d'Etat-nation, elle s'est en quelque sorte reposée sur la satisfaction d'elle-même.» (1)

Avant 1989, l'Allemagne aurait donc pensé d'abord l'Europe ? Si en économie, pour sa reconstruction elle pensait Europe, parce que le plan Marshall s'inscrivait de toute façon dans ce cadre-là, en géopolitique elle était (et reste) d'abord OTAN, tout en oeuvrant pour ses intérêts nationaux : difficile par exemple de ne pas qualifier d'anti-européens ses agissements souterrains en Yougoslavie avant 1989, bien avant son coup de théâtre diplomatique pour la Slovénie. (2)

Le reste se poursuit par une absolution anticipée de l'Allemagne pour les dégâts à venir, puisque « le gouvernement allemand est tombé dans un piège - le piège historique d'une position semi-hégémonique - dont l'Union européenne avait justement réussi à nous protéger jusqu'à maintenant », et puisque le gouvernement allemand joue « un rôle, qu'il a en apparence accepté à son corps défendant ». D'après l'analyse d'Habermas, la classe dirigeante allemande d'aujourd'hui ressemblera au peuple allemand des années 30 : elle ne savait pas...

Le reste, c'est penser que Wolfgang Schäuble « reste à mes yeux, aujourd'hui comme hier, un Européen convaincu », alors que ce politicien ne la conçoit qu'à la mode allemande, cette Europe.

Le reste consiste à approuver la fuite en avant institutionnelle telle qu'elle est déjà vendue par la clique eurocratique : « La communauté monétaire est trop hétérogène. Nous n'avons par conséquent pas d'autre choix que de faire marche arrière ou aller de l'avant. » Mais un peu à la manière de la pleurnicheuse du PS, le social-traître Jacques Delors fossoyeur de l'Europe : « Cela ne pourra fonctionner que si l'on réussit à instituer un système de partis s'étendant à l'Europe entière et à inclure les populations elles-mêmes dans un processus politique qui jusqu'à présent leur échappe. » Le problème, voyez-vous monsieur Habermas, c'est que justement les partis, du moins ceux qui se nomment eux-mêmes de gouvernement, en tant que représentants des intérêts de l'oligarchie ils n'envisagent pas du tout l'entrée des peuples souverains sur la scène européenne.

En résumé, le philosophe allemand Jürgen Habermas persiste à creuser le sillon de l'impasse européenne : il parle de politique hors situation comme on parle d'agriculture hors sol.

Alexandre Anizy

(1) dans l'Obs du 30 juillet 2015

(2) Cf. Georges Valance : La revanche de l'Allemagne, éditions Perrin