Hubert Védrine, figure d'un nouvel esclavagisme

Publié le par Alexandre Anizy

Les médias faisant leurs choux gras de l'émotion naturelle suscitée par l'impuissance des hommes face à la force des éléments terrestres, ou bien par les violences de la guerre, ou bien par la mort d'un enfant noyé dont le corps s'est échoué sur une plage turque, il ne faut pas s'étonner quand la machine s'emballe, puisque cette frénésie est un gage de profit. C'est à ce moment crucial que les politiciens roublards entrent en scène pour instrumentaliser l'événement, comme Mutti Merkel l'a fait avec cynisme lorsqu'elle déclara l'Allemagne prête à accueillir sans restriction 800.000 migrants pour finalement, à peine 7 jours après, fermer unilatéralement ses frontières en menaçant d'achever le dit espace de Schengen si des mesures nouvelles et urgentes n'étaient prises.

C'est dans ce cadre-là que la parole est donnée à Hubert Védrine. (1)

« Le principe même de Schengen, qui remonte à 1985, mis en œuvre en 1997, est que la circulation interne est libre parce qu'il y a un contrôle externe. Il faut rétablir ce double aspect. », dit cet expert au-dessus de tout soupçon.

D'abord on se dit qu'il y a quelque chose qui cloche dans le propos : comment des hauts fonctionnaires et des hommes politiques avertis, qui ont pensé Schengen pendant 30 ans et l'ont mis en œuvre pendant 18 ans, ont-ils pu oublier l'instauration d'une véritable frontière Schengen ? (2) Il nous faut évidemment écarter l'hypothèse de l'imbécilité, parce les eurocrates étaient très diplômés et les politiciens expérimentés, comme Hubert de Védrine qui cumulent les 2 qualités. Par conséquent, cet oubli fâcheux fut un choix qu'il convient d'expliquer. Si Schengen avait été pensé et surtout mis en œuvre entièrement dès 1997, des signes incontestables de la perte de souveraineté des pays membres auraient été visibles, ce que les peuples (3) d'Europe n'étaient pas prêts à accepter. L'inachevé dans l'espace Schengen est un choix politique : ce qui intéressaient les européistes et les eurocrates, c'étaient la libre circulation des gens dans l'espace Schengen ... pour que le plombier polonais puisse casser les prix en France, pour que le boucher roumain puisse travailler à bas prix dans les abattoirs allemands. Comme le constate Hubert Védrine lui-même : « Le sans-frontiérisme a fait des ravages. »

On doit souligner ici l'erreur sémantique d'un grossier Védrine, lui d'ordinaire si précis voire pointilleux, quand il parle de "rétablir" le double aspect du principe de Schengen (circulation interne libre parce qu'il y a contrôle externe) : on ne peut "rétablir" une chose ou un principe que si cette chose ou ce principe a déjà existé. Or les points de contrôle sérieux dans Schengen n'ont jamais été installés, puisqu'on les réclame aujourd'hui. En toute connaissance de cause.

Face à l'immigration économique (4), que faut-il faire maintenant dans l'urgence ?

« La cogestion doit être mise en place entre pays de départ (Afrique de l'Ouest, Amérique du Sud, Asie), pays de transit (Maghreb, Balkans) et pays d'arrivée (Europe). Il n'y a pas de raison que seuls les pays d'arrivée aient à gérer cela, en bout de chaîne, dans les pires conditions. »

Le diplomate Védrine avec tout le talent et le tact qu'on lui reconnaît valide ainsi la fermeture des frontières allemandes en passant sous silence le cynisme de la compassion allemande et l'unilatéralisme sans scrupule de ce mini empire. Est-ce vraiment à la Hongrie et maintenant à la Croatie de gérer dans l'urgence, seules, administrativement et humainement le flot d'immigrés que l'Allemagne désire accueillir si généreusement ? Bien sûr que non.

Mais déjà le "sage" Védrine s'intéresse au moyen terme :

« Une conférence annuelle rassemblerait ces pays. Des quotas annuels seraient définis, par métiers, en fonction des demandes de départ des demandeurs, et des besoins de l'Europe ; les aides au retour seraient accrues. »

Autrefois, les négriers nantais (et d'ailleurs) piochaient violemment de la main d'œuvre dans le vivier africain pour l'exporter dans le Nouveau Monde, et revenir au port avec d'autres marchandises : c'était le commerce triangulaire. Aujourd'hui, de manière plus rationnelle, pour ne pas dire scientifique, on prépare l'instauration d'une nouvelle captation de ressources humaines des pays périphériques, dans le but de maintenir le statu quo des rapports internationaux de domination économique en pesant sur les revenus des gens de peu des pays du centre. Autrement dit, une nouvelle forme d'esclavagisme est en gestation pour une mondialisation toujours plus heureuse.

Ajoutons que Hubert Védrine est précautionneux et attentionné à l'égard de l'Allemagne. La question du retour sera intégrée au global deal (on parle globish dans ces instances-là), parce qu'il n'est pas utile d'intégrer cette population intérimaire. (5) De la sorte, l'Allemagne généreuse n'aura pas à retoucher son droit du sang. L'idée allemande ne sera pas altérée.

Hubert Védrine en figure d'un nouvel esclavagisme comprend ce genre de choses et ne sait rien refuser à l'Allemagne, hier comme aujourd'hui.

Alexandre Anizy

(1) dans le Figaro du samedi 19 septembre 2015

(2) à commencer par de vrais points de contrôle à la frontière, ce qui est aujourd'hui demandé dans l'urgence...

(3) Nous résumons la définition simple du peuple par Michel Onfray : le peuple, c'est l'ensemble des personnes qui subissent le Pouvoir.

(4) La question de la différenciation entre l'immigration politique et l'immigration économique n'est pas l'objet de ce billet.

(5) Il nous revient le refrain d'une chanson de François Béranger :

"Mamadou m'a dit, Mamadou m'a dit,

On a pressé le citron, on peut jeter la peau"