Démondialisation ou déglobalisation ?
Jacques Nikonoff est candidat à la présidentielle 2017 au titre d'un Rassemblement pour la Démondialisation. Son discours est inintelligible.
Depuis avril 2016, il existe un Parti de la Démondialisation, dont Jacques Nikonoff est le président. A ce titre, il veut faire campagne pour la présidentielle 2017, comme il l'explique dans une tribune médiatique (1), parce que notre pays est atteint d'une maladie chronique et dégénérative :
« (...) une explication majeure apparaît pourtant en pleine lumière : la mondialisation. Pas n'importe quelle mondialisation, mais la mondialisation néolibérale. »
L'analyse par Nikonoff du projet néolibéral, qui repose sur 3 piliers (libéralisation financière, libre-échange, traités internationaux et institutions multilatérales), est correcte, sauf que les néolibéraux visent la globalisation du monde et non pas la mondialisation, parce qu'en soi les particularités locales ne les gênent pas tant qu'elles ne s'opposent pas à leurs règles cardinales. En fait, axer un projet politique sur le concept de démondialisation est une double erreur.
La première erreur, c'est d'apparaître comme des opposants au comportement naturel de l'humanité : l'histoire de l'Homme et de ses déplacements montrent qu'il a pris la planète entière pour son terrain de vie. Sous cet angle anthropologique, vouloir démondialiser, c'est d'abord heurter le bon sens des citoyens, et ensuite suggérer la délimitation d'espaces qui finiront par rivaliser. Sous l'angle économique, l'historien Fernand Braudel a montré la pertinence du concept d'économie-monde :
« En résumé, si on la compare aux économies du reste du monde, l'économie européenne semble avoir dû son développement plus avancé à la supériorité de ses instruments et de ses institutions : les Bourses et les diverses formes de crédit. Mais, sans exception aucune, tous les mécanismes et artifices de l'échange se retrouvent en dehors de l'Europe, développés et utilisés à des degrés divers, et l'on peut y discerner une hiérarchie : à l'étage presque supérieur, le Japon ; peut-être l'Insulinde, et l'Islam ; sûrement l'Inde, avec son réseau de crédit développé par ses marchands banyans, sa pratique des prêts d'argent aux entreprises hasardées, ses assurances maritimes ; à l'étage au-dessous, habituée à vivre sur elle-même, la Chine ; et finalement, juste au-dessous d'elle, des milliers d'économies encore primitives. » (2)
Si la mondialisation existait bien avant la formalisation du projet néolibéral à la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce que reconnaît Nikonoff, alors c'est l'ambition de cette doctrine qu'il convient de nommer.
La seconde erreur, c'est de confondre démondialisation et déglobalisation. Car quel est le but des néolibéraux ? Ce qui leur importe est l'application globale, c'est à dire sur la Terre entière, des règles de gouvernance fondées sur leurs principes. La globalisation, c'est le processus qu'ils ont mis en branle dès le début des années 1960. La globalisation, c'est le culte du libre-échange qui nécessite le rabougrissement des Etats, ce qui favorise le capitalisme puisque comme l'écrivait Fernand Braudel :
« ― Le capitalisme reste fondé sur une exploitation des ressources et des possibilités internationales, autrement dit il existe aux dimensions du monde, pour le moins il tend vers le monde entier. Sa grosse affaire présente : reconstituer cet universalisme.
― Il s'appuie toujours, obstinément, sur des monopoles de droit ou de fait (...).
― Plus encore, malgré ce que l'on dit d'ordinaire, le capitalisme ne recouvre pas toute l'économie, toute la société au travail ; il ne les enferme jamais l'une et l'autre dans un système, le sien, et qui serait parfait : la tripartition dont je vous ai parlé - vie matérielle, économie de marché, économie capitaliste (celle-ci avec d'énormes adjonctions) - conserve encore une étonnante valeur présente de discrimination et d'explication. »(3)
Dans la globalisation néolibérale en cours, force est de constater que les systèmes sociaux et fiscaux sont mis maintenant ouvertement en concurrence pour un nivellement par le bas : ce sont donc la vie matérielle et l'économie de marché des différentes sociétés qui sont attaqués, comme le dit à sa manière Nikonoff.
Soulignons au passage la contradiction du néolibéralisme : visant à réduire l'Etat à son strict minimum, il favorise le développement du capitalisme, alors que « [celui-ci] ne triomphe que lorsqu'il s'identifie avec l'Etat, qu'il est l'Etat. » (4)
Vers la fin de la globalisation, on assisterait à des explosions sociales dans toutes les sociétés : pour les éviter, les hommes responsables et de bonne volonté doivent prôner la déglobalisation.
Le Brexit n'en est-il pas la deuxième manifestation, la première étant le rejet de la Constitution européenne par le peuple français en mai 2005 ?
La déglobalisation doit être la priorité politique des Transformateurs, parce qu'elle est la condition sine qua none de la réussite des autres. Malheureusement, en choisissant le concept inintelligible de démondialisation, Jacques Nikonoff et ses amis ont mal engagé leur combat politique. Or comme dit Albert Camus : « Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde. »
Alexandre Anizy
(1) Marianne du 26 août 2016.
(2) Fernand Braudel, La dynamique du capitalisme, pages 38-39 (Arthaud, avril 1985, 121 pages).
(3) Ibidem, page 115.
(4) Idem, page 68.