Le télégrammisme de Karine Tuil
Gallimard a recruté et mise sur Karine Tuil pour obtenir le César de l'édition. Mais la lessive "Tuil" mérite-t-elle de l'emporter chez les jurés ? Surtout pas.
Trois ans après L'invention de nos vies, où l'auteur plongeait une fois encore dans les spécificités sémites, l'écrivailleuse Karine Tuil revient en librairie pour fourguer L'insouciance (août 2016, livrel à 14,99 € - toujours cher chez Antoine G.), avec les gros moyens en finance et en vassalité du principal éditeur français. (1)
Cette année, pour échapper au soupçon de communautarisme, l'auteuse introduit les quotas dans ses personnages (bonne remarque de Jérôme Dupuis dans L'express du 24 août) : un Juif milliardaire, un Noir des banlieues, un Blanc, et une Blonde aux gros seins. Les caractères caricaturaux ayant été posés, l'histoire peut avancer à coups de clichés. Chez Tuil, l'imagination n'est pas au pouvoir.
Peut-être l'auteuse a-t-elle soigné l'écriture ? Las ! Il semble qu'il y ait confusion entre le style et un vocabulaire enrichi (liste non exhaustive des incongruités relevées par Frédéric Pagès dans le Canard du 31 août : "pulvérulence intime", une mer "d'iridescences", "sa vie avait déflagré"). Affligeant.
Puisqu'on est au supermarché (des idées reçues), glanons quelques échantillons :
« Oh, arrêtez avec ça, reprend Issa. On en a plein la tête de l'antisémitisme ! A l'école on nous enseigne quoi ? L'holocauste. C'est pas la Shoah, c'est le show permanent... Les pauvres juifs... Ah, ça on y a droit ! Mais l'esclavage, le colonialisme, rien, pas une ligne !
― La Shoah est le plus grand génocide de l'histoire ! s'exclame Sonia.
― Ce génocide, comme vous dites, a été commis par des Européens et tu sais pourquoi ? Parce que ces colonisateurs n'ont jamais traité les autres peuples que comme des sous-hommes.
― Et vous voudriez qu'on l'oublie ? demande Sonia. Qu'on n' en parle plus ?
― Y a deux poids deux mesures, c'est tout ce que je dis. C'est l'homme blanc qui écrit l'histoire et tout ce qu'il fait, c'est d'effacer la souffrance de l'homme noir. Ils instrumentalisent tous la Shoah pour se donner bonne conscience. » (page 190/461)
[La tête enfermée dans une prison virtuelle, c'est ainsi que Karine Tuil fait penser à certains textes de Roger Knobelspiess.]
« (...) ils étaient fiers de montrer qu'ils n'avaient pas cédé aux attraits de la capitale mais de nombreux Parisiens avaient décliné l'invitation : "la Seine-Saint-Denis, la nuit, c'est trop dangereux". Ceux qui avaient accepté l'avaient fait avec réticence en demandant si "on" n'allait pas "leur casser la voiture". » (p.302/461)
Puis pour la banlieusarde chic vient forcément le moment...
« A cet instant, elle préfèrerait être à sa place, en Irak, au milieu de ces chefs d'entreprise, ou à l'Elysée, en train d'écrire un discours. L'effervescence lui manque. Les réunions quotidiennes aussi. La grossesse va la mettre sur le banc de touche. » (p.364/461)
[Avec la blondasse aux seins opulents, la maternité handicapante pour la carrière... Tuil ne porte pas un discours valorisant pour les femmes.]
« Chacun se replie dans un coin du lit. La climatisation est en marche, pourtant la chaleur est étouffante, les nerfs brûlent, ça pourrait s'embraser. Marion est réveillée, elle fixe un point du mur, elle voudrait avoir la force de se redresser, de faire sa valise et de partir rejoindre Romain mais elle se contente de suivre François du regard tandis qu'il se lève et se dirige vers la salle de bains. » (p.368/461)
[L'écri-nain pipole Christine Angot a fait des émules : le télégrammisme - ce que Bernard Pivot appelle « une écriture énergique et diablement efficace »(2) - est tendance !]
Quant aux scènes de sexe, elles sont "détumescentes", comme l'écrit Jérôme Dupuis.
Avec Insouciance, Karine Tuil déflagre la littérature : ses lecteurs sont à compter parmi les "Blessés", auxquels elle dédie son produit.
Alexandre Anizy
(1) A lire la chronique de Bernard Pivot dans le JDD du 4 septembre 2016, on pourrait croire qu'une voix est acquise.
(2) Ibidem.