La mauvaise littérature de Gisèle Bienne

Publié le par Alexandre Anizy

            S'il n'y avait que les bons sentiments...

 

 

            Le récit de Gisèle Bienne titré La malchimie (Actes Sud, 2019) aurait pu être une charge terrible contre la chimie de l'agriculture productiviste et de la médecine curative (quand elle dépasse les bornes de la raison). Au lieu de cela, l'auteur digresse : « Je suis allée me chercher une bière à la cuisine. Il me restait à préparer la prochaine séance de l'atelier d'écriture que j'animais dans un quartier de la ville, une vingtaine de personnes écrivaient sur le thème des maisons, tout ce qui tient lieu de maison aux humains sur la Terre. Leurs textes étaient bons et les séances se déroulaient dans une atmosphère amicale. » (p7/143)

            Bien sûr, elle écrit pourquoi son frère Sylvain (1) se retrouve à l'hôpital avec une leucémie aiguë : « Je suis étudiante et il conduit le tracteur de son patron, laboure, ensemence, moissonne les champs de son patron et les "traite". "Traiter", il a commencé jeune. On traite contre les maladies, pour les rendements, la propreté. On traite dans la plaine de façon préventive, curative, et intensive toujours. On traite, c'est radical et ça rapporte. Les engrais, les produits phytosanitaires, la terre absorbe tout cela. Son blé, aux épis drus et courts sur tige, donne en moyenne cent quintaux à l'hectare, dans certains endroits ça grimpe à cent dix ou cent vingt quintaux, on les appelle les "120". La plaine et le vignoble sont gâtés "côté traitements", la vigne cinq fois plus peut-être que les champs.» (p13/143)

            Plus loin elle précise : « Le vignoble de Champagne est parmi les plus pollués de France et on n'en souffle mot, le silence est d'or et l'or est dans les bouteilles. » (p16/143) La balance commerciale de la France mérite-t-elle cette indulgence ? Est-on si bien placé pour vilipender la "viande pharmaceutique" (2) des Ricains ou des Argentins ?  

            Bien sûr Gisèle Bienne a des fulgurances, qu'elle rédige maladroitement : « La visiteuse m'instruit, Bayer vous submerge de ses produits phytosanitaires qui vous détruisent à petit feu, vous amène à abandonner vos champs pour une chambre stérile et fabrique des cathéters et des poches de chimio. Diabolique, non ? » (p15/143)

            Mais dans un récit titré La malchimie, que viennent faire l'Algérien du tramway et la triste histoire d'Albertine Sarrazin ? Du remplissage émotionnel. "Hors sujet", aurait écrit Mme Canini (3), en rouge et dans la marge de la copie.

 

 

            Inutile d'éreinter longuement cet ouvrage mal fichu : comme les mercaticiens, disons que la promesse produit n'est pas tenue. C'est dommage.

 

 

Alexandre Anizy

 

 

(1) Un enfant qui lisait Kit Carson et Buck John.

(2) Avec hormones, antibiotiques, etc.

(3) Mme Canini était professeur de Français et Latin au lycée Margueritte de Verdun.  

Publié dans Notes culturelles

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