La fin de la Yougoslavie sous la plume de Mehmedinović

Publié le par Alexandre Anizy

 

Karadžić

 

(…) Au café, il parlait rarement ; il écoutait. Quand il intervenait dans la conversation, ses mots avaient un effet apaisant, sans doute à cause de sa longue pratique de la psychiatrie. Personne ne retenait les poèmes de Radovan Karadžić. C’est ainsi que la haine contenue dans ses poèmes de jeunesse échappa à l’attention des lecteurs, alors que le vers « nous descendons en ville, pour castagner la vermine » est l’essence même du programme guerrier de Radovan.

            Dans tous les cas,  Karadžić faisait l’effet d’un homme paisible et bienveillant. Lors des premières élections pluripartites, après la chute du socialisme, il avait été le fondateur du parti des Verts. Et cela, m’avait-il semblé alors, lui ressemblait tout à fait. Fonder un tel parti dans le contexte balkanique relevait davantage d’une performance artistique que d’un véritable engagement politique. Et la première action des Verts à Sarajevo allait dans ce sens : ils avaient revêtu les branches des acacias dans la rue principale de sacs plastiques de toutes les couleurs. Quelques mois plus tard, il devenait leader nationaliste serbe et, conformément à son nouveau rôle, il écartait tendancieusement son bras gauche pour laisser voir aux curieux la crosse de son pistolet sous sa veste. Le changement était radical. Sauf que Radovan n’avait pas besoin de s’enfoncer une chaussette sur la tête pour que l’on remarque son changement de physionomie : son expression était devenue plus sauvage, ce n’était plus l’homme que j’avais connu. L’humilité s’était évaporée de son visage, exactement comme l’âme s’échappe d’un homme mort.

 

 

Les frontières des prénoms

 

En Bosnie, les musulmans donnaient à leurs enfants des prénoms orthodoxes. C’est le complexe du partisan : ces malheureux enfants étaient nés de l’union contre-nature de leurs parents avec un Etat qui essayait subtilement de les assimiler. (…)

 

 

Semezdin Mehmedinović

Sarajevo blues, Le bruit du monde, 2024   

 

 

La Yougoslavie ne pouvait pas s’en sortir. Alexandre Anizy.

 

 

Publié dans Notes culturelles

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