(Lire les notes (I) du 10 octobre, (II) du 18 octobre, (III) du 26 octobre, (IV) du 1 novembre 2007)
A la fin de la 1ère Guerre Mondiale, 15 % du pétrole provient des gisements de la Russie : un tiers appartenait aux frères NOBEL, le reste à la Shell. En 1920, d’une part la Standard Oil appartenant aux ROCKFELLER négocie âprement avec les Soviétiques pour reprendre les intérêts NOBEL, après avoir racheté secrètement les actions NOBEL pour 145 millions USD via une société suisse et discrète (un pléonasme ?). D’autre part la Chase Manhattan Bank appartenant aussi aux ROCKFELLER négocie avec la Prambank la création d’une Chambre de Commerce américano-soviétique qui ouvrira en 1922 avec René SCHLEY, un vice-Président de la Chase, comme Directeur.
« L’établissement bancaire de la famille ROCKFELLER apparaît comme l’un des plus engagés dans les opérations de crédit destinées au nouveau régime révolutionnaire instauré à Moscou. » (Eric LAURENT, la face cachée du pétrole, pocket 2007, p.57)
Les Américains veulent éviter un cauchemar : l’inondation des marchés européens par un pétrole russe à bas prix. En 1922, à la conférence de Gênes, force est de constater que la Russie a déjà perturbé l’industrie pétrolière occidentale, puisqu’elle écoule son produit à bas prix.
En marge de cette conférence, la Russie va signer avec l’Allemagne le Traité de Rapallo (« une alliance entre des bandits et des ruinés » selon le quotidien anglais Morning Post) :
« (…) un accord militaire secret prévoit que l’Allemagne s’engage à fournir en équipements et en munitions 180 régiments d’infanterie de l’Armée Rouge, et en pièces d’artillerie 20 Divisions soviétiques. Berlin réorganise également la flotte soviétique de la Baltique et livrera 500 avions Junker dans les plus brefs délais » (Eric LAURENT, déjà cité, p.59)
La République de Weimar disposera ainsi en URSS d’un espace et d’une main d’œuvre, via une organisation appelée « Sondergruppe » : seuls 2 ministres allemands connaissent son existence, Joseph WORTH le financier et Walter RATHENAU le diplomate, par ailleurs l’un des plus puissants industriels. En clair, dès 1922, l’Allemagne entamait sa course au réarmement !
Après le Traité de Versailles, les commissions d’enquête alliées rapportent que l’Allemagne n’a pas désarmée. « Mais aucune ne mesure l’importance de la complicité soviétique. Il faudra attendre 1935 pour que certains rapports révèlent ce fait stupéfiant : l’Allemagne nazie construit dans les chantiers de la Russie communiste un sous-marin tous les 8 jours. (…) cette coopération secrète pendant 19 années (…) » (Eric LAURENT, déjà cité, p.61)
Puisque ces 2 Etats monstrueux coopéraient depuis si longtemps, pourquoi cette invasion en 1941 ?
Albert SPEER, qui fut le ministre de l’Armement et de la Production du IIIème Reich, répond en 1972 à cette question posée par Eric LAURENT : « (…) quel a été notre grand handicap ? (…) ce fut le pétrole. Bien avant le début de la guerre, HITLER répétait que c’était notre talon d’Achille. (…) nous avons développé avec beaucoup de succès l’essence synthétique qui représentait en 1940 la moitié de nos approvisionnements militaires. (…) Justement pour cette raison : mettre la main sur les approvisionnements en pétrole contrôlés par Moscou dans le Caucase. (…) pour HITLER de la première priorité : nous fournir en carburant, interdire aux unités russes d’en faire autant, pour prendre ensuite le contrôle des champs pétrolifères d’Iran. L’offensive a été lancée au début de 1942 ; malheureusement elle a échoué à proximité de Bakou. » (Eric Laurent, déjà cité, p.80, 81 et 82)
En effet, HITLER est assez réaliste au début de 1942, après avoir résisté à la contre-offensive d’hiver de JOUKOV devant Moscou :
« Il [Hitler] est arrivé à la conclusion qu’il ne peut renouveler l’offensive généralisée de 1941. (…) Il est donc résolu à faire l’impasse –provisoirement du moins – sur Leningrad et Moscou. L’économie guide sa future stratégie. Sur la foi de certains experts, il est persuadé que le pétrole du Caucase lui est absolument nécessaire pour poursuivre la guerre. Il frappera donc au sud pour conquérir les puits de Maikop et Grozny. » Pierre MONTAGNON, la grande histoire de la Seconde Guerre Mondiale, tome 4 (déc. 41 à Nov. 42), éd. Pygmalion, p.238.
Pour 1942, HITLER résume ses intentions dans sa directive n°41 du 5 avril, l’opération « bleue » prévue en 4 phases :
- Franchissement du Don dans la région de Voronej par les II et IVème armée blindée ;
- Anéantissement des soldats soviétiques à l’est de Kharkov ;
- Scission du GAS en deux :
Groupe B (VI et IVème armée blindée) sur Stalingrad par la rive droite du Don ;
Groupe A (XVII et Ière armée blindée) sur Stalingrad par le Don inférieur ;
- Conquête du Caucase jusqu’à la ligne Batoum – Bakou (pour champs pétrolifères du nord Caucase et de l’Azerbaïdjan).
Mais ce projet de manœuvre est incomplet : le sort de la Crimée n’est pas résolu, et quel rôle est dévolu à Stalingrad (bouchon pour couvrir la marche sur le Caucase, ou bien point de départ d’une autre avancée ?).
Au début de l’opération « bleue », la progression est rapide et facile, parce que les Soviétiques évitent le combat : « Les Allemands ignorent que TIMOCHENKO, leur adversaire direct, qui commande le front sud-ouest, a changé de méthode. Il ne veut plus risquer les terribles encerclements qui, à Kiev, à Kharkov, ont coûté si cher. Il troque de l’espace contre du temps. » Pierre MONTAGNON, p.240.
Cette impression de facilité induit une modification du dispositif initial des Allemands : la IVème AB (qui devait ouvrir la voie à PAULUS jusqu’à Stalingrad, avant de passer en réserve) doit descendre plein sud pour participer à la marche sur le Caucase. Le 23 juillet, croyant la victoire assurée et proche, les plans sont à nouveau modifiés : von MANSTEIN et 5 divisions de sa XIème partent sur le front de Leningrad.
Ces troupes feront cruellement défaut peu après.
Quant à l’armée avançant vers le Caucase, lorsqu’elle arrive à Maïkop, elle trouve des puits et des réserves incendiés, et elle ne réussira pas à franchir les montagnes du Caucase : la percée du Caucase est un échec.
Pour Stalingrad, ce sera la défaite.
L’histoire du XXème siècle se résumerait donc à une bataille incessante pour la maîtrise du pétrole : voir les guerres récentes de l’empire et les menaces actuelles sur l’Iran.
Vue sous cet angle, on peut douter de l’évolution de l’Homme depuis la guerre du feu.
Alexandre Anizy
A suivre … la question du pétrole (VI)