Sonner l'appel pour Boris Pahor
Alors que tant d'écrivassiers se font lustrer dans les médias, que tant de journaleux se renvoient l'ascenseur dans des papiers abjects ou bien y flattent l'ego de directeurs obséquieux, il est d'authentiques écrivains qui restent en rade sur la mer de la renommée. C'est pourquoi aujourd'hui nous sonnons l'appel pour Boris Pahor, un slave né à Trieste (port de l'Adriatique) en 1913.
« La grande place était vide, comme désemparée en l'absence des passants, dominée par un souffle vague, réussissant insidieusement à tromper l'été. »
L'incipit du roman « l'Appel du navire » (Phébus, février 2008, 319 pages, 21 €) de Boris Pahor donne d'emblée le niveau d'exigence de l'auteur : le rythme saccadé de la phrase imite les flux et vents marins, comme l'allitération en final souligne l'escamotage. (Que le traducteur Antonia Bernard soit ici remercié !)
C'est l'histoire d'une double éclosion chez Ema (le personnage principal) : la découverte de l'amour et la naissance d'une femme, la conscience de l'oppression et l'engagement dans la résistance.
Ne croyez pas qu'il s'agisse d'un ouvrage militant : vous n'y trouverez pas des slogans rageurs de nationalistes slovènes, des portraits caricaturaux de fascistes italiens, etc. Non, rien de tout cela. Juste la description pointilleuse de la lente évolution des sentiments et de la révolte chez Ema. Et certains apprendront à travers cette période troublée de Trieste, comment la pieuvre fasciste s'incruste dans une ville et pénètre les esprits faibles.
Il paraît que Boris Pahor est "nobélisable". Sûr qu'il ne ferait pas injure aux précédents récipiendaires, notamment à Ivo Andrić (Andritj).
Alexandre Anizy