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Le matériel de Gianni Biondillo

Publié le par Alexandre Anizy

Comme le funeste Marc Lévy, Gianni Biondillo est architecte et il produit des livres qui n’ont qu’une ambition : racoler plus pour gagner plus. Avec Le matériel du tueur (Métailié, 2013, en livrel), l’objectif fut atteint (semble-t-il).

 

Pour ne pas accabler le bonhomme (ni le traducteur Serge Quadruppani, d’ordinaire en meilleure compagnie … était-ce une commande ?), nous vous épargnerons l’incipit dont la prétention poétique est à pleurer, tant elle s’oppose à la crudité du second chapitre, par exemple.   

« Puis, dans les cellules de tout l’étage, il y eut un tapage explosif de gamelles contre les portes blindées. Sans lui laisser le temps de remettre l’engin dans son slip, son collègue de l’étage inférieur ouvrit grand la porte pour l’insulter et lui dire de se bouger le cul, qu’apparemment il y avait une merde dans la cellule 42. »

 

Disons que le matériel littéraire de Biondillo étant assez pauvre, il est inutile de lui donner vos pennies.

 

 

Alexandre Anizy

 

 

Jo Nesbo est un sacré bonhomme

Publié le par Alexandre Anizy

De temps en temps, on se fait une piqûre de rappel sur certains auteurs pour voir si la production régulière et éventuellement le succès commercial n’ont pas altéré les qualités que nous leur avions reconnues au départ.

 

Avec Le bonhomme de neige (Gallimard, 2008, en livrel à 7,99 € - pourquoi fixer à 14,99 € le prix de l’opus sorti en avril 2013, si ce n’est pour un surprofit  pour une maison familiale qui prétend défendre le livre et les auteurs ?), Jo Nesbo ne nous a pas déçu : une intrigue habile mais perfectible (une fausse piste nous paraît excessive et mal ficelée : le livre y aurait gagné s’il eût été plus dense), une écriture en adéquation avec les caractères des personnages, Oslo en toile de fond.

 

Ainsi, au moins jusqu’en 2009 (1), le talent de Jo Nesbo n’a pas fondu.

 

 

Alexandre Anizy

 

 

(1) : lire notre billet du 14 juillet 2009.

         http://www.alexandreanizy.com/article-33802200.html

 

Mauvais augure pour Donna Leon

Publié le par Alexandre Anizy

Cela faisait longtemps que nous n’avions pas lu Donna Leon, mais lors d'un déplacement en province nous optâmes pour Brunetti et le mauvais augure (Calmann-Lévy, en livrel, 14,99 € - un prix honteux !).

 

On redécouvre le commissaire, sa famille et ses collègues, dont la secrétaire Elektra qui semble jouer un rôle plus important dans le paysage vénitien de l’auteur. Au début, on apprécie de retrouver ces personnages dans leur jus ; puis on se lasse des scènes qui ont un air de déjà vu.

 

Donna Leon aura-t-elle la sagesse d’un Ian Rankin, qui mit un terme aux enquêtes de John Rebus ?

 

 

Alexandre Anizy

7 jours avec Deon Meyer

Publié le par Alexandre Anizy

Nous revoilà chez Deon Meyer, avec son dernier polar 7 jours (Seuil, mai 2013, en livrel à 15,99 € - un prix honteux !), quelques années après avoir lu Les soldats de l’aube (1).

 

Nous apprécions à nouveau l’excellent travail, tant sur l’intrigue que sur le style. Il semble aussi que Deon Meyer ait pris de l’assurance, puisqu’il ose écrire quelques vérités sur son pays, en les mettant en situation. Comme aurait pu dire René Dumont, "l’Afrique noire du Sud est mal partie" !  

 

Si on ne passe pas 7 jours avec Meyer, ce moment de lecture est tout de même agréable.

 

Cependant, d’une manière plus générale, force est de constater qu’il serait temps pour les auteurs de polars de renouveler leurs profils d’enquêteurs : la flicaille ayant fréquenté l’association des Alcooliques Anonymes commence à nous lasser.

 

 

Alexandre Anizy

 

 

(1) : lire notre billet du 21 juillet 2007

         http://www.alexandreanizy.com/article-6956325.html 

 

Zone euro : le fol jusqu'au-boutisme d'un Michel Aglietta

Publié le par Alexandre Anizy

Tous les ans et même parfois avant, Michel Aglietta, le pape de l'école de la régulation, livre un pensum où il rabâche ses recommandations économiques à partir de son analyse incomplète et erronée. On peut dire qu'il résume bien la doxa eurocratique. En 2013, c'est avec un old deal pour l'€urope où il cornaque un Thomas Brand ; mais comme ce n'est qu'une espèce de resucée du précédent, Zone euro éclatement ou fédéralisme (Michalon, 2012, 188 pages, 15 €), nous en resterons à celui-ci.

 

Disons pour commencer que le livre est une promesse non tenue (avec les européistes, c'est une habitude), puisque l'auteur n'expose pas dans une ampleur satisfaisante l'hypothèse d'un éclatement de la zone euro : il suffit de parcourir le sommaire pour s'en convaincre. Nous irons donc directement à l'objet de notre billet : les incohérences et l'omission de l'auteur.

 

 

2 mensonges en 2 phrases :

« L'euro porte une promesse de souveraineté qui a été dévoyée jusqu'ici. Cette aporie dramatique de l'union monétaire était sournoise. » (p.42)

Où le spécialiste des monnaies, coauteur d'un ouvrage remarquable titré La violence de la monnaie, a-t-il vu dans les textes fondateurs que l'euro est une promesse de souveraineté ? On ne le saura pas. Qui aurait dévoyée cette promesse ? On ne le saura pas non plus. Car dès la création de l'euro, l'expert Aglietta savait que :

« Toute la construction monétaire européenne repose sur une conception étroite et erronée de la monnaie, appelée monétarisme. Selon cette conception, la monnaie est neutre vis-à-vis des phénomènes économiques réels. » (p.43),

parce qu'il voyait, à moins d'être un imbécile aveugle, que :

« (…) le traité de Maastricht a conféré à la BCE un statut véritablement extraordinaire. Contrairement à toutes les BC du monde, sa légitimité n'est fondée sur aucune souveraineté politique. Elle est véritablement déterritorialisée. Elle ne doit même pas dialoguer avec les gouvernements ! » (p.44)

L'euro, monnaie unique (et non pas commune), est le fruit mûrement réfléchi (et défendu par des économistes réputés comme... Michel Aglietta) d'un compromis entre la France et l'Allemagne, dans lequel justement la souveraineté est sciemment écartée ! Dans ces conditions, comment l'apôtre de l'euro de Maastricht peut-il écrire que c'est « une monnaie incomplète », puisque les créateurs ont volontairement retiré un attribut à la BCE ? En effet, la BCE ne peut pas être le prêteur en dernier ressort de la monnaie centrale qu'elle gère (une aberration, pour tout vous dire).

 

Et c'est bien là la faille dramatique de cette construction eurocratique :

« Il est de ce fait juridiquement impossible à la BCE d'éradiquer la contagion lorsqu'elle s'empare de l'ensemble des marchés de dettes publiques. » (p.47)

 

Quelles sont les 3 recommandations de Michel Aglietta pour sortir de cette crise ?

« (…) faire de l'euro une monnaie complète en modifiant le mandat de la BCE, construire une gouvernance économique par l'élaboration des budgets faisant dialoguer le niveau européen et les instances législatives nationales, mutualiser les dettes publiques dans un puissant marché financier d'obligations communes (eurobonds). » (p.15)

Lors de la création de l'euro, la France et l'Allemagne s'opposaient déjà sur la 1ère recommandation, et bien que l'Allemagne ait récolté les bénéfices sonnants et trébuchants de sa vision asymétrique de la construction européenne, ce qu'elle défend ardemment aujourd'hui en présentant une « lecture moralisatrice » de la crise, l'expert Aglietta nous propose le menu surréaliste d'une politique fiction que l'on peut résumer de la sorte : poursuivons notre marche en avant fédéraliste, même si certains partenaires (comme l'Allemagne) refusent de fait les principes du fédéralisme !

Ce n'est pas raisonnable.

 

Bien sûr, Aglietta ne pouvait pas ignorer la Grèce. Après avoir établi les similitudes avec l'Argentine de 2001, comme d'autres économistes ont fait avant lui, il en vient à conclure que :

« Dans ces conditions, la voie argentine devient la seule issue possible. C'est le pari sur le rétablissement de la compétitivité par la reconquête de la souveraineté monétaire grâce à la sortie de la zone euro. » (p.81)

Et mieux encore, faisant ainsi la démonstration de son honnêteté intellectuelle, puisqu'il met à bas un argument des tenants du maintien de la Grèce dans l'euro, en évaluant le coût financier des 2 scenarii (maintien ou sortie) :

« En ce qui concerne le coût financier des 2 scénarios pour la zone euro dans son ensemble, il se distribue différemment dans le temps, mais il est grosso modo équivalent dans la durée. » (p.79)

Si la pseudo élite qui gouverne la Grèce depuis presque 40 ans est correctement informée (n'est-ce pas l'obligation morale de tous les gouvernants que de veiller à la qualité de leurs informations ?), elle sait qu'en dernière analyse le sort du peuple grec ne dépend que d'elle puisque, quelle que soit sa décision, le coût financier pour la zone euro est le même. Ce qu'on ne peut pas dire pour le peuple grec !

Selon nous, la recommandation d'Aglietta pour la Grèce met en évidence l'incohérence du projet monétaire des européistes qui s'arcboutent sur l'euro de Maastricht, alors que cet instrument monétaire volontairement bridé est paradoxalement un obstacle à leur projet fédéraliste.

Il ne faut pas s'étonner que Michel Aglietta arrête son analyse au cas de la Grèce. Car s'il avait exposé sérieusement le cas de l'Espagne, du Portugal, et même de la France, il en serait venu forcément à dresser un bilan négatif et surtout une prévision catastrophique de l'aventure maastrichtienne, toutes choses égales par ailleurs, comme les européistes Patrick Artus et Isabelle Gravet :

« Sans fédéralisme, l'hétérogénéité reste insupportable car elle ne peut être corrigée que par un profond appauvrissement des pays en difficulté. » (La crise de l'euro, Armand Colin, 2012, 180 pages, 16,50 €)

Ne pas s'engouffrer dans la faille de l'Europe eurocratique est la raison de cette lacune du pensum d'Aglietta. Il faut croire que le non masochisme est la limite à l'honnêteté intellectuelle.

 

Ainsi force est de constater que dans l'urgence les économistes européistes prônent maintenant le plongeon sans filet démocratique dans le fédéralisme : ils rêvent d'une nouvelle maison en partant de fondations ayant un vice caché.

Est-ce bien raisonnable ?

 

 

Voyons maintenant l'omission.

Concernant l'analyse de la construction de l'euro, Michel Aglietta reconnaît que le compromis fondateur de 1991 « a moulé la zone euro sur la doctrine monétaire de l'Allemagne » (p.83), que la position de l'Allemagne vaut celles du passé, à savoir :

ñ    opposition à la tentative de rénovation du SMI par le Comité des Vingt de 1972 à 1974 (refus des ajustements symétriques des pays excédentaires et déficitaires) ;

ñ    en 1979, lors de la création du Système Monétaire Européen (SME), l'Allemagne impose un système reposant sur les ajustements asymétriques des autres monnaies.

Mais pas un mot sur l'analyse connue (ô combien plus exhaustive, plus perspicace) de Jacques Sapir (1), qui démontre que seule l'Allemagne avait vraiment compris l'avantage concurrentiel énorme qu'elle s'octroyait (avec notamment l'accord des piètres négociateurs français aveuglés par leur européisme et leur intérêt politicien national de court terme) en défendant strictement ses intérêts économiques nationaux.

Cet oubli dénote une petitesse d'esprit.

 

 

Concluons : seul l'intégrisme européiste permet d'expliquer la proposition affligeante de Michel Aglietta, parce qu'il reconnaît tout de même que pour la Grèce la sortie de l'euro est une issue possible, prouvant ainsi qu'il n'est pas toujours caricatural.

 

 

Alexandre Anizy

 

(1) : lire notre billet

http://www.alexandreanizy.com/article-euro-pourquoi-l-allemagne-voulait-la-monnaie-unique-114734485.html

 

 

Revenir au franc pour lancer l'écu avec Frédéric Lordon

Publié le par Alexandre Anizy

Dans notre billet économique précédent, nous rappelions à Benjamin Coriat et Thomas Coutrot une règle indispensable au débat et au savoir-penser, puisqu’ils ont commis un procès d’intention en présentant Frédéric Lordon et Emmanuel Todd en réactionnaires d’une nation fantasmatique (1). Aujourd’hui, nous allons présenter la position de Frédéric Lordon concernant l’euro, telle qu’il l’expose dans le Monde Diplomatique d’août 2013.

 

Cela commence bien :

« Beaucoup, notamment à gauche, continuent de croire qu’on va changer l’euro. Qu’on va passer de l’euro austéritaire présent à l’euro enfin rénové, progressiste et social. Cela n’arrivera pas. »

Pourquoi ?

« 1. Jamais les marchés ne laisseront s’élaborer tranquillement, sous leurs yeux, un projet qui a pour évidente finalité de leur retirer leur pouvoir disciplinaire ; 2. Sitôt qu’un tel projet commencerait d’acquérir un tant soit peu de consistance politique et de chances d’être mis en œuvre, il se heurterait à un déchaînement de spéculation et à une crise de marché aiguë qui réduiraient à rien le temps d’institutionnalisation d’une construction monétaire alternative, et dont la seule issue, à chaud, serait le retour aux monnaies nationales. »

 

Lordon revient alors sur les pauvres idées des européistes (grosso modo : misons cette fois-ci sur les euro-obligations, ou mieux encore, un saut démocratique vers un gouvernement économique de la zone euro – ce fantasme des populistes PS lors des campagnes électorales), qu’il qualifie de solutions de carton, puisqu’il caractérise fort justement la construction européenne comme une soustraction de souveraineté économique et politique. Et depuis 2007, plus rien n’est à négocier puisque tout est inscrit dans le Traité européen : 

« Politique monétaire, maniement de l’instrument budgétaire, niveau d’endettement public, formes du financement des déficits : tous ces leviers fondamentaux ont été figés dans le marbre. » ;

C’est pourquoi « les indigentes trouvailles du concours Lépine européiste sont vouées à systématiquement passer à côté du problème central », qu’on peut résumer par cette citation :

« Car certains Etats membres ont besoin de dévaluation ; certains, de laisser se creuser les déficits ; certains, de répudier une partie de leur dette ; d’autres, d’inflation. Et tous ont surtout besoin que ces choses-là redeviennent des objets possibles de délibération démocratique ! Mais les principes allemands, inscrits dans les traités, l’interdisent… »

Alors que faire ?

Selon Frédéric Lordon, sortir de l’euro monnaie unique pour entrer dans l’euro monnaie commune.

 

Qu’est-ce qu’un euro commun ? Une monnaie dotée de représentants nationaux : euro-francs, euro-pesetas, etc.

« Ces dénominations nationales de l’euro ne sont pas directement convertibles à l’extérieur (en dollars, en yuans, etc.), ni entre elles. Toutes les convertibilités, externes et internes, passent par une nouvelle BCE, qui fait office en quelque sorte de bureau de change, mais est privée de tout pouvoir monétaire. »

Ainsi les gouvernements des Etats membres retrouveraient la maîtrise des outils de l’action politique :

« Nous voilà donc débarrassés des marchés de change intra-européens, qui étaient le foyer de crises monétaires récurrentes à l’époque du Système Monétaire Européen (SME), et protégés des marchés de change extra-européens par l’intermédiaire du nouvel euro. C’est cette double propriété qui fait la force de la monnaie commune. »

Et les peuples retrouveraient leurs souverainetés. Pour être précis, Lordon suggère de configurer la monnaie commune « à la manière de l’International Clearing Union proposée par John Maynard Keynes en 1944 ». C’est une proposition très intéressante.

 

L’auteur poursuit son raisonnement avec 2 scénarii. S’il s’agit d’instaurer une souveraineté populaire supranationale, il faut redimensionner le projet européen, et pour sa partie économique, il faut exclure les Etats membres qui n’approuveraient pas les grands principes de politique économique… S’il s’agit seulement de donner une monnaie commune à un grand marché européen, il ne faut retenir comme Etats membres que « des pays dont le salaire moyen ou minimum n’est pas inférieur à 75 % - ou quelque autre seuil à déterminer – de la moyenne des salaires moyens ou minima des autres Etats membres ».

Et à ce stade du raisonnement, Lordon constate que « c’est ici qu’on revient au syllogisme de départ : l’idée de passer de l’euro actuel à un euro refait et progressiste est un songe creux. Par construction, s’il est progressiste, les marchés financiers, qui ont tout pouvoir actuellement, ne le laisseront pas advenir. » 

Frédéric Lordon n’ignore donc pas le principe de réalité.

 

Alors que faire ?

Il faut laisser aux polytechniciens rêveurs, comme Michel Aglietta, et aux matheux ratés, comme Olivier Blanchard (2) ou Gérard Debreu, les constructions théoriques des sciences économiques qui ne voient jamais le jour ou qui ne marchent pas. Nourris des travaux de recherche, les économistes politiques doivent prôner des solutions réalistes, prenant en considération les rapports de force économiques et politiques.

Ce que dit Lordon :

« sauf la grande anesthésie définitive dans l’euro antisocial, on y reviendra [aux monnaies nationales, ndAA]. C’est là la sanction d’une construction incapable d’évoluer pour s’être privée elle-même de tout degré de liberté ».

Mais comme « ce retour forcé aux monnaies nationales, sonnant comme un échec, aura des effets dépressifs », il faut « prendre le parti de "tomber sur la monnaie commune", c'est-à-dire de provoquer la déflagration des marchés en annonçant ce projet-là, en le posant fermement comme l’horizon d’une volonté politique d’un certain nombre de pays européens (…) ».

 

Force est de constater que Frédéric Lordon propose un chemin réaliste et raisonnable, que nous résumons par "Revenir au franc pour lancer l'écu" : le projet d’une Europe solidaire, plus que nécessaire dans un XXIe siècle certainement mouvementé de par le monde. 

 

 

Alexandre Anizy

 

 

(1) : lire la réponse politique percutante de Jacques Nikonoff (avec Gilles Amiel de Ménard et Claude Lioure) dans le Marianne du 17 août 2013.

(2) : pour Aglietta et Blanchard, lire les billets que nous avons consacrés à ces deux énergumènes.

 

 

Coriat et Coutrot 2 économistes atterrés et désobligeants

Publié le par Alexandre Anizy

Benjamin Coriat et Thomas Coutrot font partie du collectif des Economistes Atterrés, pièces majeures de cette association de salubrité intellectuelle qui ambitionne d’apporter au peuple d’autres informations, d’autres modèles économiques, que celles dont les grands médias abreuvent le public en perfusion continue. C’est pourquoi nous nous étonnons de leur tribune désobligeante (dans Marianne du 27 juillet 2013, un magazine qui vire au collage de brèves dans un torchon  commercial, sous la maquette du vieux JFK) à l’égard de Frédéric Lordon (un autre EA) et d’Emmanuel Todd, qui osent penser différemment.  

 

Que leur reprochent-ils ?

« On ne comprend rien à l’histoire récente si l’on oublie qu’après la Seconde Guerre mondiale l’obsession des élites occidentales (…) prévenir un nouvel affrontement franco-allemand. »

Pour leur part, ils semblent négliger le rôle néfaste d’un certain Jean Monnet (1), un haut fonctionnaire "américain au passeport français", comme pourrait dire l’infâme Eric Besson.

« A dénoncer "la dérive autoritaire de l’Allemagne" (Todd) "qui impose tel quel son propre modèle de politique économique" (Lordon), nos duettistes nient l’adhésion complète des élites européennes au projet néolibéral. »

Même si nous ne sommes que lecteur et pas un exégète de Todd ou de Lordon, il nous paraît absurde et surtout faux d’écrire que ces duettistes ne veulent pas voir le consensus de l’oligarchie européenne sur l’agenda néolibéral.

 

Concernant Emmanuel Todd, puisque Coriat et Coutrot raillent aujourd’hui le Todd de mars 2012 qui voyait du Roosevelt chez Hollande, nous soulignons qu’à cette date-là nous n’étions pas nombreux à dire que parler de "hollandisme révolutionnaire" était une stupidité (2). Il est vrai que nous étions alors en pleine campagne présidentielle : il ne fallait donc pas désespérer Billancourt, diviser son camp, et autres balivernes de propagande de populistes.

 

La critique de Coriat et Coutrot s’épuise vite quand ils envisagent des ruptures politiques, sans doute d’abord en Grèce, au Portugal ou en Espagne, ou bien une rupture imposée (par la BCE par exemple) dans la zone euro, car nous n’avons jamais lu que Todd et Lordon s’opposent « à la construction, dans le feu des luttes, d’une nouvelle conscience collective européenne fondée sur la solidarité et la responsabilité sociale et écologique. »

En fait, cette tribune n’est qu’un procès d’intention.

 

Mais il y a peut-être du Toni Negri chez Coriat et Coutrot, le Negri qui milite pour le Traité européen de 2005, parce qu’il considère qu’il doit favoriser la concentration inéluctable des pouvoirs économiques et politiques dans une économie capitaliste, pour que le fruit tombe dans les mains d’un prolétariat élu… Comme disait Georges Gurvitch, la dialectique transcendante et apologétique d’un matérialisme historique (infantile), en guise de socle théorique de la fuite en avant vers l’économie communiste de marché… Passons, puisqu’ils valent mieux que des idiots utiles.

 

Pour autant, il est bon de leur dire qu’un intellectuel est toujours sur la mauvaise pente quand il refuse d’estimer la position d’autrui, quand il commence à penser et à proclamer que l’intelligence est de son côté :

« Oui, l’intelligence est aujourd’hui de travailler à la solidarité des peuples et des destins en Europe plutôt que de préconiser le repli sur des bases nationales qui n’ont plus de réalité que fantasmatique. »

Ainsi ceux qui n’ânonnent pas la doxa eurocratique (en gros, le système Monnet : c’est parce qu’il n’y a jamais assez d’Europe qu’il faut en remettre une couche fédérale … et demain ça ira mieux !) sont au mieux des économistes aveuglés, au pire des imbéciles.

A quand la réification des adversaires, comme au "bon vieux temps" ?

 

Si on veut débattre pour que le peuple puisse décider en connaissance de causes, il ne sert à rien d’être désobligeant. Si la politesse n’est pas une vertu, elle est la condition pour que celles-ci apparaissent.

 

 

Alexandre Anizy

 

 

(1) : lire le livre La faute de M. Monnet de Jean-Pierre Chevènement  

  

(2) lire notre billet du 4 mars 2012

          http://www.alexandreanizy.com/article-l-hollandisme-revolutionnaire-est-un-pari-stupide-100715653.html   

 

(3) lire notre billet où il est question de l’économie communiste de marché

          http://www.alexandreanizy.com/article-16224090.html 

 

La griffe de Don Winslow

Publié le par Alexandre Anizy

Si vous voulez comprendre un peu ce qui se passe depuis 40 ans en Amérique centrale et latine, nous vous conseillons de lire le polar de Don Winslow titré La griffe du chien (Points poche, 2008, 827 pages). 

 

Il vous raconte le Mexique (mais pas seulement), un pays gangréné par la corruption à tous les étages, et comment l'argent passe de l'illégal au légal, comment les USA ont formé et financé les fameux Contras au Nicaragua, mais aussi les escadrons de la mort, comment l'argent de la drogue pourrit un pays en permettant aux voyous de s'insérer dans la classe dominante. Ce livre repose sur une connaissance des méthodes du monde du crime.

 

Il y a aussi un travail remarquable sur l'architectonique, couplé à une écriture soignée qui veille à l'authenticité du langage des protagonistes.

Que du bonheur pour les lecteurs avertis et exigeants !

 

 

Alexandre Anizy