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On re Meša Selimović avec L'île

Publié le par Alexandre Anizy

            Pour Noël, vous avez peut-être eu du mal à offrir un exemplaire du roman de Meša Selimović dont nous avons parlé dans le billet précédent : Le derviche et la mort.  Qu'à cela ne tienne, nous présentons aujourd'hui L'île (ce livre a l'avantage d'avoir été publié récemment par Phébus : mars 2013, 206 pages, 19 €), qui est aussi un chef d'œuvre à mettre dans toutes les mains.

 

 

Alexandre Anizy

 

 

Le talent de Meša Selimović

Publié le par Alexandre Anizy

Cet automne, l'avalanche habituelle des nouveautés n'aura pas permis l'émergence d'un nouvel auteur prometteur. C'est pourquoi nous vous invitons à lire Le derviche et la mort de Meša Selimović (Gallimard, collection l'imaginaire, avril 2012, 380 pages ; nous soulignons le travail remarquable des traductrices Mauricette Begić et Simone Meuris).

 

            Pour vous ouvrir l'appétit, un extrait pris quasiment au hasard :

            « On juge l'homme d'après ses  actes, non d'après ses pensées. Mais une fois la lourde porte de chêne refermée, quand, le loquet tiré, je me retrouvai dans la sécurité du jardin de la tekké, contrairement à toute attente, à toute logique puisque ce monde familier me protégeait, l'angoisse soudain s'empara de moi, presque sans aucune transition, comme si, par le fait d'ouvrir et de refermer la porte, de tirer le loquet, de vérifier qu'il était bien logé dans son berceau de bois, j'avais laissé échapper la pensée qui nourrissait mon élan. (...) La pensée humaine, je ne le compris que bien plus tard, est une vague instable, que soulève ou apaise le vent capricieux de la peur ou du désir. » (p.138 et 139)

           

            Quelle précision, quel rythme ! En un mot : quel style !

 

 

Alexandre Anizy

 

 

Divergences avec Frédéric Lordon

Publié le par Alexandre Anizy

Dans l'entretien de Frédéric Lordon, qui vient en complément du travail de l'équipe réunie par Thomas Morel et François Ruffin pour défendre l'idée de la banqueroute (Vive la banqueroute ! Fakir éditions, 2013, 134 pages, 6 €), nous relevons deux divergences dans un cadre théorique hétérodoxe.

 

Le chaos financier dû à un défaut de paiement ou une banqueroute (1) :

            « Ce sont les institutions financières (...) qui prendraient le choc en pleine poire et là ce serait terrible. Nous nous offririons une crise financière qui ferait de l'épisode Lehman Brothers un aimable pique-nique. Il faut le savoir. Ça n'est pas un point qu'on peut celer. Mais il faut le savoir pour s'en servir. (...) [le système financier en déroute, c'est] une occasion unique à saisir. (...) on le ramasse à la pelle et au petit balai. » (p.119)     [l'Etat saisit purement et simplement des banques en ruine ; disons pour 1 € symbolique]

            Agir autrement pour un "homme politique responsable" soulignerait d'une part son allégeance aux grandes fortunes en déconfiture.

            Nous disons d'autre part que, si la volonté du peuple s'exprime sans hésitation pour une renaissance de la patrie par le retour en force de l'Etat social, avant l'explosion de la bulle obligataire mondiale bien évidemment, nous préconisons la prise de contrôle immédiate d'une banque systémique (par réquisition) afin de tenir en respect le système financier le plus longtemps possible, s'octroyant un répit utile pour prendre les mesures nécessaires au changement d'orientation économique et politique.

            Il faut être proactif, plutôt que réactif comme le paraît Lordon.

 

La pseudo élite fait bloc mais son hégémonie culturelle a vacillé

            « Les oligarques socialistes sont maintenant intellectuellement si convaincus de la justesse du mode de pensée néolibéral qu'ils en deviennent incapables de penser quoi que ce soit d'autre (...) le patron qui licencie, il est courageux, c'est du courage de licencier. Eh bien de même, Hollande est courageux, il est "responsable" d'imposer l'austérité à la population française. » (p.132)

C'est leur logique, et pour eux le reste n'est que balivernes. Voire pire :

            « La folie, c'est le truc qui revient en permanence dans leur langage. Faire défaut sur la dette, c'est folie. User de l'inflation, c'est de la folie, contrôler les capitaux, nationaliser tout ça, c'est de la folie - ou de "l'archaïsme". » (idem)

            Frédéric Lordon a perçu les signes d'une séquence sacrificielle, où les saigneurs sont "courageux" et les victimes un paramètre négligeable. Pour lui, c'est « une époque intellectuellement déréglée, et que le travail de rectification à opérer est immense » (p.134) En lisant Lordon, on a l'impression que la renaissance de la patrie viendra d'abord du travail des intellectuels...  Nous croyons quant à nous que le dérèglement étant général, c'est le peuple souverain qui se chargera de la rectification, car ce qui s'est passé en 2005 avec le référendum montre bien sa compréhension intime des enjeux économiques et sociaux.

 

Alexandre Anizy

 

(1) Disons "défaut de paiement" pour le public, puisqu'un Etat ne fait jamais faillite, et banqueroute pour le privé.

La banqueroute est la voie royale

Publié le par Alexandre Anizy

Pourquoi les Républicains seraient-ils plus vertueux que les rois ? Il faut être économiquement et historiquement inculte, ou bien sot ou aveuglé par la doxa ordo-libérale, ou bien intéressé d'une manière ou d'une autre par l'accaparement monstrueux opéré par les forces financières sur la richesse mondiale, pour persister sur la route de la servitude comme un mauvais président, le culbuto molletiste Hollande.

            Pour informer le bon peuple de France, ce que ne font jamais vraiment les medias possédés par de grandes fortunes (il n'y a rien d'exceptionnel dans cette situation), Thomas Morel et François Ruffin ont eu l'excellente idée de piocher dans l'histoire de France des cas exemplaires de réduction drastique de la dette souveraine, qu'ils ont rassemblés dans un livre salutaire titré Vive la banqueroute ! Comment la France a réglé ses dettes, de Philippe le Bel au général de Gaulle (Fakirs éditions, 2ème trimestre 2013, 134 pages, 6 €) (1)

 

            Commençons par Philippe le Bel. Ne faut-il pas du "courage" à ce souverain pour brûler sur la place publique les financiers performants de son époque, i.e. les Templiers, et ce faisant mettre la main sur la fortune de cette secte ? C'est qu'il ne transigeait pas avec la raison d'Etat qui était d'abord et surtout la sienne, à Philippe le Bel, car il n'avait pas hésité pas avant ce bon coup de l'an 1307 à dévaluer sa monnaie (il mettait moins d'or et moins d'argent dans les pièces : un "faux monnayeur", disaient les mauvaises langues). Il est vrai qu'en 1288 le remboursement de la dette absorbait 66 % des recettes royales !

            Passons à Henri II (avait-il lu ou conversé dans ses rêves avec Sun Zi ?). En 1557, la crise monétaire part de l'Espagne et les dominos tombent en quelques mois (Portugal, Pays-Bas, villes d'Italie, et même l'Allemagne). La France croulait sous les dettes en 1547 avec un taux d'intérêt de 16 %, quand Henri II monta sur le trône. Alors que fit-il dix ans plus tard ? Il profita de la crise pour unilatéralement baisser les taux et suspendre le remboursement. Mieux que ça ! Henri II emprunta sans compter, car les banquiers avaient trop peur de tout perdre s'ils refusaient de lui faire crédit ... Ils avaient déjà compris  à leurs dépens l'avantage d'un grand principe de la finance : too big to fail (trop gros pour faire faillite).

            Arrivons au XXe siècle, au franc Poincaré. C'est une grande leçon de réalisme économique. En 1926, Raymond Poincaré devient président du Conseil après l'échec du Cartel de gauche (1924 - 1926) qui s'est heurté au mur de l'argent, lorsque la Banque de France (à l'époque, c'était une banque tenue par les grandes fortunes françaises) a refusé de faire de nouveaux crédits à l'Etat. Ceci est navrant, certes, mais la faute économique et politique du Cartel est de ne pas avoir compris que la France avait commis une erreur monétaire (comme l'Angleterre d'ailleurs) : maintenir la parité franc / or de 1913 alors qu'avec la grande boucherie, 25 % de la richesse nationale et 10 % de la population active ont disparu. Pour financer la guerre, la France s'est endettée et le budget croule sous cette charge du passé qui en pompe 40 % ! C'est à un Cartel frileux et respectueux des créanciers que les 200 familles ferment le robinet du crédit, pour mieux revenir aux affaires qu'elles n'avaient pas vraiment quittées. Que va faire Poincaré après avoir donné du temps au temps ? Dévaluer le franc de 80 % !

            La Libération de 1945 est un autre exemple à méditer pour les parlementaires psumpesques et quelques autres. En lisant Vive la banqueroute, vous prendrez de l'avance (intellectuelle) par rapport à tous ces suiveurs doxistes qui se croient responsables, voire pis courageux. Vous découvrirez qu'en 1945 le sage Mendès-France était un piètre économiste et un politicien médiocre. Même l'orthodoxe Jacques Rueff en fit le constat : « Il me parut que, dans l'état d'ivresse de la Libération, avec des administrations désorganisées et très peu efficaces, il n'y avait aucune chance pour que de pareilles dispositions [celles préconisées par Mendès-France, ndAA] puissent être l'objet d'une application cohérente et rigoureuse.» (cité p.103) 

            Enfin, les auteurs n'oublient pas de se gausser du "meilleur économiste" de France, Raymond Barre, dont le bilan calamiteux n'a échappé à personne.

 

 

            Alors il ne vous reste qu'une chose à faire : passer directement commande aux éditions Fakir pour ne pas devenir un des moutons que les gouvernants actuels voudraient berner pour mieux les tondre.

 

 

 

Alexandre Anizy

 

 

(1) Commandez le livre directement dans la boutique du site  

                                   http://www.fakirpresse.info 

puisque les libraires (la Fnac par exemple) sont en train de le retourner à l'éditeur. Vous serez livrés sous 8 jours, ce qui est parfait (il n'y a pas le feu au lac, n'est-ce pas ?)  

 

 

 

Anticiper la saignée d'avant 2017 grâce à François Morin

Publié le par Alexandre Anizy

Si vous voulez connaître le scénario de la prochaine crise financière (probablement avant la fin de 2017 - ndAA), nous vous recommandons de lire sans tarder le petit livre de François Morin titré La grande saignée - contre le cataclysme financier à venir (Lux Editeur, 3ème trimestre 2013, 111 pages, 10 €), qui fait la lumière sur la folle machinerie instable qui régit le monde. Contrairement aux avis lénifiants de l'économiste Daniel Cohen qui ne peut pas ne pas penser aux intérêts du banquier Daniel Cohen (Vice Président chez Lazard), ou bien de l'économiste et banquier tunisien Olivier Pastré, l'auteur montre le degré de contamination du système financier et en tire les conséquences.

 

            Après 40 ans de dérèglementation financière et de gestion néolibérale de la monnaie (rappel : en France, ce sont Giscard et Pompidou qui livrent l'Etat français aux Forces de l'Argent en 1973), alors qu'ils sont maîtres du jeu monétaire, les banques imposent leurs taux d'intérêt aux Etats qu'elles soumettent à la discipline budgétaire pour honorer le service de la dette, et « ce n'est plus la hausse des prix des biens et des services qui déclenche une inflation, c'est une hausse du prix des actifs (immobiliers, actions, obligations, produits financiers dérivés). Ce qui provoque une éclosion de bulles spéculatives. » (p.22)

            Marquons le mouvement général de l'enfermement bancaire par quelques dates. Tout peut commencer à partir du 15 août 1971, quand les Etats-Unis rompent le lien entre le dollar et l'or (la base du système monétaire internationale mis en place par les accords de Bretton Woods signés en 1944, qui régissent la période dite des Trente Glorieuses pendant laquelle « aucune crise financière ne sévit dans le monde ») : en 1973, la libéralisation complète des taux de change est instaurée. C'est le premier abandon de souveraineté monétaire. « Une seconde libéralisation, celles des taux d'intérêt, intervient à la fin des années 1970 et durant les années 1980 », au fur et à mesure que les banques s'emparent de l'essentiel de l'émission et de la gestion de la monnaie. A la fin de cette conquête, « Taux de change et taux d'intérêt sont en effet des prix fixés par le marché dont les niveaux fluctuent dorénavant à chaque milliseconde » (p.24). Mais pour entreprendre, innover, commercer mondialement, les vrais créateurs de richesse ont besoin de la stabilité qui inspire la confiance (l'antidote de l'incertitude radicale, concept cher à Keynes et à Edwin Le Héron). Alors « Les plus grandes banques vont réagir rapidement. Elles vont proposer des "produits financiers dérivés" qui permettent aux acteurs de l'économie réelle d'être rassurés contre les risques liés aux variations des prix de marché, et principalement aux évolutions incessantes des taux de change et des taux d'intérêt ». (p.25)

            Dans les années 1990, c'est le dernier acte du processus : la libéralisation du mouvement des capitaux. La contamination peut alors se généraliser, puisque le risque lié aux variations de prix est disséminé et concentré.

            « Et c'est précisément là le point aveugle de cette dérégulation. Les produits financiers dérivés sont assurément des produits de couverture, mais ils sont en même temps des produits risqués pour ceux qui les émettent (à savoir les grandes banques). Or, il s'est avéré qu'il n'existe ni mutualisation réelle du risque pour ces titres, ni efficacité financière permettant un équilibre de prix. » (p.25)

[A ce sujet, quelle ne fut pas notre stupéfaction en août 2007, alors que les marchés s'affolaient, lorsque nous lûmes à la une du Monde l'article du dominus magnus de la firme Axa, Henri de la Croix de Castries, dans lequel il était question de "salade niçoise" et de mutualisation des risques ! C'était une communication savante qui révélait surtout l'incompétence de son auteur qui n'entravait que dalle ! (1)]

            Au jour d'aujourd'hui sur les marchés, on a donc 29 banques dites systémiques (2), dont le total des bilans au 31 décembre 2011 s'élevait à 46.115 Milliards de dollars, contre 198 Etats avec un endettement public mondial de 46.197 Milliards de dollars. Etonnant, n'est-ce pas ? Elles constituent un oligopole bancaire (3) organisé, notamment en occupant les postes-clés au sein de l'Institut de Finance International (IFI) qui regroupe 400 banques de la planète.      

 

            Pourquoi une crise financière en août 2007 ?

            Revenons aux produits financiers dérivés créés par les banques. Des obligations représentatives de créances (notamment les fameux crédits subprime) sont créées et vendues sur les marchés. Cette titrisation (nom donné à ces opérations) a en particulier donné naissance à des Collateral Debt Obligation (CDO, en français "obligations structurées adossées à des emprunts"). A la fin de 2006 aux Etats-Unis, suite à la hausse brutale des taux d'intérêt, les ménages qui ont emprunté à des taux variables ne peuvent plus payer : ils doivent vendre. Alors le marché immobilier s'effondre, comme la valeur de ces crédits. L'effondrement a vite gagné les titres financiers qui représentaient ces créances : les CDO.

            « Mais hélas, ces CDO étaient déjà entrés dans la composition d'autres CDO (des CDO square, "au carré", autrement dit des CDO de CDO !) avec lesquels ils formaient des empilements parfois très complexes. Ces constructions pyramidales ont rendu évidemment très problématique, pour ne pas dire impossible, l'évaluation des titres qui entraient dans ces constructions. » (p.31)

            Très souvent, les banques avaient acquis ces actifs toxiques pour leurs comptes propres : étant dans l'impossibilité de leur donner un prix, ils devenaient ipso facto sans valeur. Pour une banque, la perte substantielle de valeur de ses fonds propres a 4 conséquences :

  • mise en faillite (le cas Lehman Brothers en septembre 2008);
  • reprise en main partielle ou totale par l'Etat (le cas aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne)  ;
  • absorption par une autre banque ;
  • obligation de réduire son activité pour respecter le ration prudentiel de Bâle II (norme bancaire internationale), si elle est parvenue à préserver sa solvabilité et son indépendance.

            En 2008, les banques contaminées (i.e. quasiment toutes) ayant subi des pertes, elles ont restreint leur activité de crédit, et les Etats sont intervenus pour les recapitaliser. Pour l'Europe, les sommes publiques engagées s'élèvent à 5.000 Milliards d'euros. (p.33) Ce sont les marchés financiers eux-mêmes qui ont fourni les Etats, parce que les Banques Centrales ont ouvert les vannes (baisse des taux directeurs pour faciliter le refinancement des banques, rachat de titres obligataires sur le marché secondaire). Résultat immédiat : dès la fin 2009, ce sont maintenant tous les Etats qui apparaissent surendettés.

Si on prend le cas de la France, au 30 avril 2007, l'encours de la dette négociable de l'Etat s'élève à 904 Milliards d'euros. Au 30 avril 2012, le montant de l'encours est de 1.350 Milliards d'euros. (source : bulletins mensuels de l'Agence France Trésor) Ainsi sous la présidence de Sarkozy de Nagy Bocsa, cet encours a augmenté de 446 Milliards, soit une hausse de 49,34 %. En 2011, la dette publique représentait 85,8 % du PIB alors qu'elle n'était qu'à 63,9 % en 2006, soit une hausse de 21,9 points (sources de l'AFT : FMI, Eurostat, Insee).

 

            Que font les gouvernements des grands pays industriels au jour d'aujourd'hui ? En fait, ils partagent « une même vision des mesures d'urgence à engager : on rachète massivement ses dettes souveraines, on injecte des liquidités sur les marchés monétaires, on diminue très progressivement les déficits publics, on se fait la guerre entre monnaies. » (p.46) Les grandes banques centrales (BC) comme la Fed, la Banque du Japon, la Banque d'Angleterre, rachètent massivement leurs dettes souveraines respectives ; la BCE, coincée dans son carcan ordo-libéral, ne le fait pas. Résultat : le yen a perdu 45 % par rapport au dollar entre novembre 2012 et avril 2013 ; le dollar et la livre sterling ont décroché par rapport à l'euro, la monnaie unique de l'Europe qui est « le jouet des autres monnaies : elle reste la variable d'ajustement, à la hausse, de cette empoignade ». (p.48)

            « dans les périodes difficiles, banques centrales et gouvernements travaillent dans le même sens. L'intérêt supérieur du pays fait que ces deux acteurs majeurs jouent ensemble en parfaite connivence. Cette forme de consensus n'existe pas aujourd'hui en Europe. L'euro est alors la victime désignée des politiques monétaires menées par les autres pays. » (p.48)

 

            Sachant que les CDO ont été le premier poison de la crise de 2007 qui explosa le 15 septembre 2008 avec la faillite de Lehman Brothers, quel est le poison qui déclenchera la prochaine débâcle financière ?  Ce sont les credit default swap (CDS, en français les "couvertures de défaillance") : « Comme tout produit dérivé, les CDS possèdent une face "couverture" et une face "spéculative". Face "couverture", ils permettent à ceux qui les détiennent d'être assurés contre le risque de défaut de paiement d'un émetteur de dettes. (...) Face "spéculative" ensuite. Bien évidemment, la banque qui vend un CDS est en position risquée. Elle peut à tout moment être amenée à rembourser les détenteurs de CDS en cas de défaut de paiement d'un émetteur de dette. » (p.50) En contrepartie du risque qu'elles prennent, les banques émettrices de CDS touchent des primes versées par  ceux qui ont choisi de se couvrir. (4)

            Prenons ce qui s'est passé avec la faillite de Lehman Brothers. Il existait un CDS sur la dette de Lehman Brothers, émis par le groupe américain AIG. Immédiatement, AIG a dû rembourser 175 Milliards de dollars ! Sans un cent pour le faire, c'est le gouvernement américain qui a payé dans l'urgence, parce que AIG était un mastodonte systémique dont la faillite aurait déclenché une incontrôlable réaction en chaîne planétaire.

            Alors que se passe-t-il avec les CDS ? Comme c'est un produit financier, ils s'échangent sur un marché de gré à gré (pas de chambre de compensation), et par conséquent la valeur des CDS fluctuent. En principe, la valeur du CDS est à la hausse si le risque lié à la dette sous-jacente augmente (par exemple : quand une entreprise est mal gérée ou quand les indicateurs économiques d'un pays se dégradent). Ainsi très vite sur les marchés, avant d'acheter une obligation d'un pays, d'une firme, les investisseurs ont pris l'habitude de regarder la tendance sur les CDS du pays ou de la firme. « Le marché de ce produit dérivé très particulier va donc se retrouver à déterminer en grande partie la valeur des obligations sous-jacentes. » (p.52) Et il y a « un facteur aggravant qui décuple la spéculation : nul n'est tenu de posséder le produit sous-jacent pour acheter le produit dérivé correspondant. » (idem) On parle alors de "CDS nus". Aggravant, en effet. Sur les marchés, les détenteurs de CDS nus ont tout intérêt à voir la valeur du produit sous-jacent s'effondrer, car cela déclencherait le remboursement immédiat de leurs CDS. Autrement dit, concernant les dettes souveraines, les détenteurs de CDS nus ont intérêt à la propagation des défauts de paiement. Un exemple ? La fameuse troïka (FMI, BCE, Commission de l'Union Allemande) a géré le problème de la dette grecque avec en plus la hantise d'un déclenchement des CDS avec effet domino.

            Au fait, dans le système financier mondial, qui déclare officiellement le défaut de paiement d'un acteur ? C'est l'International Swaps and Derivatives Association (ISDA), une organisation sous la coupe des banques systémiques ... émettrices de CDS. 

[Dès le 2 octobre 2008, nous avions écrit que les CDS représentaient une véritable bombe, qu'il fallait désamorcer et interdire dans les plus brefs délais. Ceci n'a pas été fait. Lire notre billet :    http://www.alexandreanizy.com/article-23333443.html ]

 

 

            Nous vivons dans une bulle obligataire mondiale due à l'envolée des dettes souveraines (rappel : c'était pour sauver le système bancaire à partir de 2007, comme on l'a expliquée précédemment) et à la globalisation des marchés obligataires et celui des CDS : les salles de marché sont en interconnexion permanente. Dans cette bulle mondiale, « tout choc baissier sur la valeur des obligations se traduit négativement dans le bilan des banques. Simultanément, la hausse des taux d'intérêt - que provoque une valeur des obligations en baisse - crée un coût supplémentaire pour l'Etat s'il doit procéder à une nouvelle émission obligataire sur le marché financier. » (p.72) Bref, voilà de quoi entretenir la relation de dépendance entre les Etats et les banques systémiques.

            Du récit de l'évolution financière que François Morin a développé, « il découle que l'explosion de la bulle obligataire peut provenir soit d'un défaut de paiement d'un Etat, soit de la mise en faillite d'une banque systémique. » (p.72) Il n'est pas ridicule de penser que le système financier peut s'effondrer à cause d'un bankster, quand on sait que depuis la chute de Lehman Brothers en 2008, « à 25 reprises une quinzaine de banques à dimension systémique ont été gravement impliquées. » [UBS 4 fois, Société Générale et Goldman Sachs 3 fois, HSBC, RBS et Bank of America 2 fois] (p.74)

            Par exemple, dans le scandale du Libor, « l'enquête a démontré que la seule banque Barclays avait manipulé le Libor 173 fois entre 2005 et 2009 ! » (p.75) Face à de tels agissements, il faut comprendre que Jérôme Kerviel n'était au mieux qu'un caporal du milieu financier. (5)

 

            Quelle hypothèse pour le prochain incendie ?

            Cela pourrait commencer par un pays ou une banque ou une compagnie d'assurance ou une multinationale défaillante, qui allumerait la mèche dans la bulle obligataire mondiale décrite ci-dessus. Une fois activé, le feu n'épargnerait aucune banque. Contrairement à la crise de 2007, « les Etats seront alors aux abonnés absents en cas d'appel au secours. Trop endettés, ils assisteront impuissants à la tornade qui s'abattra sur le cœur du système financier mondial. (...) [les Etats] auront beau ériger des contrôles des changes, interdire l'accès aux guichets, bref limiter et contrôler les mouvements de capitaux, ils feront tous face à des systèmes bancaires en lambeaux et à un système monétaire et financier mondial en miettes. » (p.78) Les conséquences économiques et sociales seront terribles : récession brutale, recul important du commerce mondial, montée rapide du chômage, mouvements de masse et affrontements.

            Détaillons le processus avec François Morin. Le défaut de paiement d'un acteur économique met en branle le jeu de dominos ; la faillite en chaîne des banques perturbera gravement le marché interbancaire. Les banques centrales injecteront massivement des liquidités, mais les banquiers les placeront aussitôt sur leurs comptes de réserve dans leurs BC respectives : c'est la trappe à liquidités. La crise monétaire suivra la crise financière. Plus de financement pour les entreprises, plus de crédit à la consommation pour les ménages : la crise devient économique. Par le biais d'un fort recul du commerce mondial, l'affaissement de la production se propagera sur toute la planète qui entrera en dépression. Ceci provoquera partout des changements politiques.

            N'étant pas nihiliste, François Morin évoque une opportunité salvatrice que ne manqueront pas de saisir les Etats, car malgré leur endettement et les dogmes stupides qui les gouvernent ils ne resteront pas inactifs. « Plombées d'actifs toxiques, avec des fonds propres ne valant plus rien, ayant subi le rush des déposants, les banques seront rachetées par les Etats et, chaque fois, pour un euro, un dollar, une livre sterling, ou un yen symbolique... » (p.82) Ces nationalisations seront le premier pas vers la sortie de crise, car les Etats vont ainsi s'emparer de leurs propres dettes ... qu'ils pourront annuler, et ils pourront s'échanger entre eux leurs dettes souveraines qu'ils veilleront à effacer. Au bout du compte, dans les décombres des marchés financiers, les Etats rachèteront à bas prix ce qui restera de leurs dettes. « Aussi gravissime que soit le désastre, l'effacement des dettes souveraines dans les délais assez rapides en sera une conséquence positive. (...) Le paysage politique et social de l'après-crise, bien que dévasté, se présentera en effet comme un terrain relativement vierge à reconstruire pour chaque pays, pour chaque région. Reconstruction nationale, mais aussi internationale. » (p.84)

           

            François Morin essaie aussi de voir si un autre scénario empêcherait l'éclatement de la bulle obligataire mondiale. Mais il constate lui aussi que, tant que le néolibéralisme et sa variante ordo-libérale seront l'alpha et l'oméga des politiques économiques mondiales, la mise en service de l'outil "inflation" sera impossible et le démantèlement des Etats se poursuivra, puisqu'il représente la seule voie possible de ces fanatiques pour réduire la dette souveraine par la baisse des dépenses publiques, autrement dit la saignée qui fait crever le patient. Dans ces conditions idéologiques, Morin comprend que des faillites seront inévitables, que pour les banques modestes et les petits Etats le Système, avec notamment sa troïka (FMI, BCE, Commission de l'Union Allemande), saura trouver cahin-caha des solutions appropriées mais toujours conditionnées à des mesures drastiques inopérantes, comme la Grèce l'a déjà démontré. Mais au bout de cette route mortifère, c'est la débâcle financière.

            Finalement, pour lutter contre l'instabilité financière à l'origine du mal, François Morin en vient à poser 2 principes :

« Pour cela, les Etats doivent évidemment recouvrer leur souveraineté en matière de taux de change et de taux d'intérêt. » (p.100) ;

« Ce dont il est question, c'est plutôt de bâtir une monnaie commune à la façon, par exemple, de celle que Keynes concevait en 1944 en lui donnant le nom de bancor. » (idem)

Autant vous dire que le chemin chaotique sera long.

 

 

            Face à cette débâcle financière inéluctable (répétons-le : il n'est pas absurde de penser qu'elle se produira avant la fin de 2017) et le recul économique et sociale qu'elle engendrera, nous nous interrogeons, adoptant les 2 principes de Morin : la France peut-elle utiliser les circonstances à venir pour tirer son épingle du jeu ?

« C'est pourquoi face à un bon agresseur l'ennemi ne sait quelles positions défendre ; face à un bon défenseur, l'ennemi ne sait quelles positions attaquer. » Sun Zi (L'art de la guerre, Economica, 1990, p.115)

            Cinq banques françaises sont systémiques : elles sont donc au cœur du système monstrueux qui s'effondrera. L'Etat français peut en faire un avantage, maintenant. Dans l'hypothèse où le gouvernement déciderait de se lancer dans la manœuvre du retour au franc - moment où les forces du marché ne manqueraient pas d'agir violemment contre la France -, il serait judicieux pour l'Etat d'entrer préalablement en possession d'au moins une de ces 5 banques systémiques, afin d'être prêt lui-même à déclencher le feu dans la bulle obligataire mondiale : autrement dit, être dissuasif grâce à la menace systémique.

            Par cette anticipation, l'Etat se donnerait un peu de temps pour préparer l'après-crise et amortir le choc. En somme, il s'agit de faire mieux qu'Henri II.

 

 

 

Alexandre Anizy

 

 

(1) : lire nos billets de 2008 et 2009

         http://www.alexandreanizy.com/article-37149494.html

et

          http://www.alexandreanizy.com/article-24837940.html

 

(2) : Les 29 banques systémiques sont : 8 américaines, 17 européennes dont 5 françaises, 3 japonaises et 1 chinoise.

 

(3) Exemple cité par F. Morin (p.29) : en 2012, 55 % des transactions sur le marché des changes par la Deutsche Bank (14,56 %), la City (12,29 %), Barclays et UBS et HSBC (pour 28,15 %) 

 

(4) Le CDS est un contrat, mais pas celui d'une assurance classique : après le dommage - ici c'est le défaut de paiement constaté -, point d'expertises à n'en plus finir ... on rembourse sans délai et automatiquement le détenteur de CDS pour la somme couverte !

 

(5) Lire les billets suivants de 2008, en saluant à nouveau l'honnêteté intellectuelle et le courage du professeur Philippe Dessertine, dont nous  avons critiqué ailleurs les "errements doxiques" :

            http://www.alexandreanizy.com/article-16358916.html

            et        

http://www.alexandreanizy.com/article-19172837.html

 

 

 

 

 

Terrassons le dragon Pascal Terrasse !

Publié le par Alexandre Anizy

C'est un apparatchik du PS (à 25 ans, l'encre de son diplôme de droit n'était pas encore sèche qu'il émargeait déjà auprès d'un Secrétaire d'Etat - en 1989), député de l'Ardèche à 32 ans, bref un type protégé qui n'a aucune expérience personnelle du marché du travail comme le vivent des millions de Français, qui en appelle ouvertement à la psumpesque union nationale. Pourquoi faire ? Instaurer la discipline sociale.

 

            Derrière cet élément de langage, on trouve l'ordinaire de la pensée eurocratique, comme :

« La vérité, c'est que l'austérité s'impose désormais à nous par des formes plus ou moins autoritaires. » ;

            [mais grâce à la coalition PSUMP, l'austérité sera douce ... pas de dragonnades ! ...  c'est une promesse implicite de Terrasse ! NdAA]

« Il est temps d'envisager des solutions nouvelles, comme celles qui ont permis à l'Allemagne de se redresser. » ;

            [L'agenda de Schröder, est-ce vraiment nouveau ? Economiquement judicieux ? Que nenni !]

« Mon propos n'est pas de demander de la dérégulation sociale, mais plutôt d'acter le principe de la discipline sociale. (...) nous devons revoir notre système de redistribution depuis les prestations sociales jusqu'au contrat de travail encore trop rigide (...) ».

            [En moins de 10 lignes, dans le même entretien au Figaro du 28 novembre 2013, Pascal Terrasse vous plonge dans son cerveau rongé de contradictions - pas de dérèglementation mais on poursuit la casse de l'Etat social ! Vous devez être fatigué, il faut vous reposer, monsieur le député démolisseur.]

 

            Monsieur Pascal Terrasse est un homme protégé qui ne risque pas de connaître les rigueurs de l'hiver social qu'il appelle de ses vœux. Il fait partie de ces politiciens qui aiment se retrancher derrière le drapeau de l'union nationale, un peu comme les parlementaires de juin 1940 se sont planqués à Vichy derrière le Maréchal Pétain en lui donnant les pleins pouvoirs (on s'en lave les mains mais on touchera la solde...).

 

            Anticipant le jour funeste pour la France où la pseudo élite fera loge commune pour mieux mater la populace (ce qu'ils pensent), nous lançons un appel symbolique :

                                   Terrassons le dragon Terrasse !

 

 

Alexandre Anizy