Âmes sensibles s'abstenir.
Il y a mille raisons pour lire du "noir" : simplement s'évader (curieuse expression, n'est-ce pas ?), les stratagèmes, la psychologie, la toile de fond économique et sociale, le style, etc. Vous trouverez un peu tout ça dans Pike de Benjamin Whitmer (Gallmeister, 2012, en livrel), mais une chape de violence plombe tellement ce roman de bout en bout qu'il est sage de le déconseiller aux personnes sensibles. Pour les autres, disons pourquoi il est possible de s'infliger cette crade vision de l'humanité : tenir un style, voilà la performance. Trois exemples le montrent.
Prenons l'incipit : « Le bras gauche du gosse saille en biais de la neige sale comme une branche de bois noir cassée. Derrick tâte le corps de la pointe de sa botte de cow-boy. Aucun mouvement. Il rengaine son Colt 911 et balaye la ruelle du regard. »
Complétons par le final : « Tenant sa cigarette dans sa petite griffe de main, elle l'éteint en se l'enfonçant dans l'avant-bras, juste pour avoir pensé ça. Sa peau frémit et brûle.
Dehors, rien ne change. Dedans non plus. »
Terminons par un extrait pris au hasard : « Momifiés dans leurs combinaisons de ski, deux tout jeunes enfants jouent dans la neige gris charbon devant la petite maison. Le ciel au-dessus d'eux semble un immense vomi répandu sur la ville. (...) Derrière eux, une femme mince se tient sur le seuil de la porte, en pantoufles et manteau d'hiver taille homme, fumant une longue cigarette blanche. Elle est blonde. Son visage pend sur les os de son crâne. » (p.156 de 289).
Le choix des mots contribue à l'expression picturale de Benjamin Whitmer.
Alexandre Anizy