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Reine rouge de Juan Gomez-Jurado

Publié le par Alexandre Anizy

Si vous supportez le surnaturel magique dans le genre policier (à dose homéopathique), alors vous devriez lire Reine Rouge de Juan Gomez-Jurado (Fleuve noir, édition numérique 12-21).

 

Alexandre Anizy 

 

Roman zénithal de Philippe Claudel

Publié le par Alexandre Anizy

            Longtemps nous avons fui les œuvres de Philippe Claudel, bien qu’il soit du pays lorrain. Sa production prolifique et son activité cinématographique nous rendaient méfiant.

 

Arrive sur les tables des librairies son dernier roman titré Crépuscule (Stock, 2023, en livrel)¹ : l’œil est attiré et quelques recensions en disent le thème. Cette fois-ci, on peut se rencontrer. 

            Dès la première page, le charme opéra, tant la qualité du style estomaquait : « Il ne savait jamais quoi faire non plus de ses mains qu’il avait épaisses, larges, eczémateuses et gonflées. Par sa timidité pataude et sa masse, l’Adjoint évoquait un bœuf ou un cheval de trait. Ne lui manquait que le piquet auquel l’attacher pour le temps de sa vie, et le merlin pour la finir. »

« Leurs croquis achevés, les deux hommes s’étaient retirés dans le Poste. Baraj avait bourré la cheminée de fagots de genévriers et de deux bûches de chêne qu’il fendait dans ses moments de désœuvrement. Ceux-ci étaient si nombreux que le bûcher occupait tout le bas du Poste, et en faisait le tour, ne laissant pour ouvertures que celle de l’entrée sur le devant, et sur le derrière celle de la grande porte de l’écurie où les rosses rhumatisantes achevaient leur existence en mâchonnant du foin. Le bois ainsi accumulé donnait au bâtiment déjà courtaud une allure de fortin imprenable. » (p.16/328)

Plus loin : « Ce n’était pas à proprement parler la laideur de chacun qui se révélait ainsi, par un jeu d’éclairage et d’ombres, mais son origine irrémédiablement animale, cette bestialité tapie en chaque être humain, maquillée de manières et d’habits, qui n’attend que son heure pour éclore et pousser son groin au grand jour. » (p.72/328)

            Et encore : « Voilà un mois qu’avait eu lieu le meurtre du Curé Pernieg. L’épisode de la profanation de la mosquée et des souillures peintes sur les maisons musulmanes ne fut pas suivi d’un autre incident majeur, alors même que la communauté le redoutait, tandis que de nombreux habitants chrétiens de la petite ville quant à eux l’espéraient, ces bonnes âmes droites, batraciens de bénitier, récitant chaque soir en chemise avant de se coucher leurs Ave et leurs Pater, les genoux meurtris au sol et la nuque ployée, mais le cœur plein de fiel. » (p.135/328)

 

            Alors nous nous interrogeâmes : avons-nous raté cet écrivain talentueux depuis longtemps ? Pour y répondre, rien de mieux que de plonger dans son premier roman : Meuse, l’oubli (Balland, octobre 2000). Si le motif est ténu, le style maintient l’intérêt du lecteur :

            « J’ai apprivoisé les trois beloteurs du café de l’Ancre, qui est sur la place, et où je vais souvent nourrir mon penchant pour la boisson et le vague à l’âme ; parfois, j’y emmène le Conquérant.

            Il a fallu du temps, et de pleins silences. Deux sont d’anciens carriers, le troisième tenait la boucherie de la rue des Etuves ; son gendre a pris le relais. Tous trois, comme ma logeuse, ont passé septante années. Ils possèdent l’art d’éterniser les verres de bière et les mégots de gris. Leurs regards portent des plaies, de puissantes fatigues qui s’estompent quand leurs mains enserrent les valets et les rois, rejettent les piques, amadouent les carreaux. Ils jouent sans parler, à peine un sifflement parfois lorsque l’un rafle la donne avec l’élégance d’un torero. Le père que je n’ai pas connu aurait sans doute leur âge. » (p.36)

            Il nous semble que tout y est déjà : l’humanité derrière un sens de l’observation, le style.    

 

            Pour le moins, nous concluons en affirmant que Crépuscule est le roman d’un grand écrivain.

 

Alexandre Anizy 

(¹) Soulignons ici la belle couverture de Lucille Clerc.

 

 

Sur ma mère de Tahar Ben Jelloun

Publié le par Alexandre Anizy

Le talent de narrateur de Tahar BEN JELLOUN n’a plus à être loué depuis belle lurette, parce qu’il est inscrit dans le monde des lettres françaises. Cependant, la lecture de Sur ma mère (Gallimard, décembre 2007, 270 pages, 17,90 €) nous convainc qu’il mérite d’être encensé, puisqu’ici bas seule la démesure intéresse.

 

Ce livre est émouvant, sans sombrer dans le pathologique. L’auteur a su trouver une bonne distance entre lui, la maladie d’Alzheimer et sa mère.

« Keltoum m’a fait appeler ce matin : je n’en peux plus, ta mère nous a de nouveau fait passer une nuit blanche. Non seulement je n’ai pas fermé l’œil, mais il fallait écouter ses délires, lui répondre, la ramasser quand elle tombait du lit parce qu’elle voulait sortir, aller au cimetière réveiller les morts qui font semblant de dormir, les morts qui passent la journée avec elle puis l’abandonnent la nuit venue (…) » (p.210)

A la fin du livre, on trouve ces deux phrases :

« Je ne sais plus si c’est le chagrin ou le vent qui soulève la poussière des souvenirs et les trempe dans l’amertume. Un sillon douloureux est creusé dans la mémoire et dans le cœur. » (p.269)

C’est ainsi que :

« Comme si nous partions en voyage, nous fermons les volets et les portes. La maison a été scellée par l’absence irrémédiable. Elle n’existe plus. Je n’y retournerai jamais. Je n’irai pas non plus sur la tombe. Ma mère est là, je l’entends rire et prier, (…). » (p.270)

 

Alexandre ANIZY

 

"Les Français sont malades", pense la Borne

Publié le par Alexandre Anizy

            Comme un boomerang, les éléments de langage reviennent dans la gueule du lanceur.  

 

            Pour apaiser la populace, l’arrogante polytechnicienne hors surface nommée Elisabeth Borne pense qu’il faut « respecter un délai de convalescence »¹. Or nul n’ignore que la convalescence est une transition entre la fin d’une maladie et le retour de la santé². Ainsi la première ministre pense que les Français sont malades : en effet, puisque c’est un choix raisonnable, trivialement comptable et sans alternative, comment peuvent-ils être stupidement réfractaires à la régression des retraites malgré le génie de l’élite, son savoir-faire pédagogique et son talent d’imitation des chers pays voisins ? Seule une poussée de fièvre infantile et populiste peut expliquer cette rebuffade, c’est évident.

            Quelle sera la prochaine étape du traitement, notamment pour ceux qui deviendraient des dissidents ? Les meilleurs d’entre nous pressentent que l’opposition de gens à l’ordre institutionnel et républicain, donc démocratique, est une forme de folie : par conséquent, cela relèvera de la psychiatrie. Comme en Union soviétique, il y a 50 ans.

            Serait-ce une cruelle ironie de l’Histoire que de voir les ordo-libéraux finirent en infirmiers léninistes ? Non, les hommes bien informés savent le ver totalitaire dans le fruit libertaire.   

 

Alexandre Anizy  

 

(¹) dans l’imMonde du 8 avril 2023.

(²) Dictionnaire Larousse.

 

Thibaut Solano écrit piano

Publié le par Alexandre Anizy

            Dans le cadre de son plan de carrière, Thibaut Solano, directeur adjoint de Marianne, a sorti un polar plan-plan.

 

Le titre du roman de gare (lire ici ) est Les dévorés (Robert Laffont, 2023), d’où l’on sort en crevant la dalle, question style et architectonique. Pourtant il aurait pu se rendre intéressant à un moment :

«  Il s’agit de faits de… heu… harcèlement sexuel… (murmure de surprise dans la pièce). Nous allons donc lancer dès aujourd’hui une enquête interne avec l’aide d’un cabinet extérieur et indépendant. Certains d’entre-vous seront convo… conviés à s’exprimer auprès de ce cabinet et de notre DRH pour apporter leur témoignage. » (p.105/303)

En évoquant les méthodes de la petite affaire de Caroline De Haas¹, les lecteurs auraient appris quelque chose².

 

La prose de Solano aurait pu être utile. Tandis que là, ben que tchi.

 

Alexandre Anizy  

 

(¹) Groupe EGAE sas, dont elle est la Présidente.

(²) Alors nous les renvoyons à l’article d’Eugénie Bastié, Caroline De Haas quand le féminisme devient un business, dans le Figaro du 10 juin 2021.