Les archaïques des Banques Centrales, II
(Lire notre note du 21 novembre 2007 « Les archaïques des Banques Centrales, I »)
« Le modèle le plus répandu d’organisation des institutions monétaires est une banque centrale détachée du pouvoir politique, libre de ses décisions, et s’occupant essentiellement ou uniquement de stabiliser l’inflation à un niveau faible (2 % en ce qui concerne la BCE et la Banque d’Angleterre). » (Patrick ARTUS, « les incendiaires. Les banques centrales dépassées par la globalisation », édition Perrin août 2007, p.27)
Ceci est aussi valable pour le Japon, les pays émergents, le monde anglo-saxon en général. Le cas de la Réserve Fédérale américaine (FED) se présente différemment.
Que signifie « indépendance » pour ces BC ?
Sans concertation avec les élus du peuple ni avec les administrations étatiques, elles décident de la politique monétaire (objectif d’une inflation inférieure à 2 %) qu’elles orientent par exemple en fixant le taux d’intérêt à court terme. Elles n’ont pas de compte à rendre.
Cette liberté d’action, une véritable carte blanche, paraît insensée dans des pays démocratiques. Comment en est-on arrivé là ?
Entre 1970 et 1981, le prix du pétrole est multiplié par 14. (lire nos notes économiques « la question du pétrole »)
En France, nous résumons ainsi cette période : un taux de profit qui baisse de 33,3 %, des finances publiques excédentaires qui plongent à 3 % de PIB de déficit, un taux de chômage qui passe de 3 % à 8 %. L’inflation oscille entre 10 et 15 % et les coûts de production augmentent de 10 à 18 % par an.
Pour revenir à un taux d’inflation de 3 %, il faudra payer (la fameuse « pause » du social traître DELORS, la « parenthèse » du social traître JOSPIN, la taupe austère qui se marre en grugeant ses électeurs) un coût économique et social considérable : le taux d’intérêt réel (i.e. taux nominal – taux d’inflation) varie entre 6 et 7 % dans les années 80, le taux de chômage est à 10 %.
Les experts parlaient de « désinflation compétitive » : c’est un concept plus chic, plus positif, que « plan d’austérité ».
Quel est le raisonnement sous-jacent à la politique des banques centrales ? Si les acteurs privés (entreprises, ménages) pensent que la BC va laisser filer l’inflation dans le futur, ils feront des choix économiques fondés sur cette anticipation d’inflation.
Donc, lutter efficacement contre l’inflation nécessite à la fois un combat contre l’inflation et contre les anticipations d’inflation : seule une politique économique restrictive comme celle menée en France par la droite et la gauche entre 1982 et 1988 permet de rendre crédible la lutte contre l’inflation. C’est pour renforcer cette crédibilité que les banques centrales ne sont responsables que du contrôle de l’inflation, car dans le cas où elles seraient aussi en charge de la stimulation de la croissance et de l’emploi, il n’est pas idiot de penser qu’elles seraient parfois enclines à céder aux sirènes politiques en acceptant un zeste d’inflation qui, couplée à une politique conjoncturelle stimulante, permet la création d’emplois. A court terme, c’est du moins ce que dit la courbe de PHILLIPS, on troquerait de l’inflation contre des emplois.
L’indépendance totale des banques centrales vis-à-vis du pouvoir politique, avec pour seul objectif le contrôle de l’inflation, évite la dérive inflationniste.
Si on prend le cas de la Banque Centrale Européenne (BCE), les traités fondateurs (Maastricht 1991 et Nice 2002) précisent que son objectif principal est de maintenir la stabilité des prix, sans quantifier les choses. C’est donc en toute indépendance que la BCE a fixé elle-même le taux limite d’inflation à 2 %.
Aux Etats-Unis, à tout moment, le Congrès peut changer les statuts de la FED : c’est pourquoi le Président de la FED prend soin d’expliquer sa politique monétaire. Le mandat de la FED (loi de 1977) énonce 3 objectifs : l’emploi maximum, des prix stables et des taux d’intérêt stables à long terme.
Mais quelle est l’interprétation du Président actuel de la FED, Ben BERNANKE ? Sa thèse est la suivante : les objectifs de stabilité des prix et d’emploi maximum sont complémentaires et non pas substituables ; il suffit donc de veiller aux prix, les taux d’intérêt à long terme étant liés à l’inflation. Pour lui, sans contradiction, les 3 peuvent se traduire par un seul objectif, la stabilité des prix, qui maintient la valeur réelle des encaisses monétaires, ce qui facilite les échanges économiques.
En 1994, Alan GREENSPAN, le Président de la FED, met en oeuvre la politique des « frappes préventives » : il porte de 3 à 6 % les taux d’intérêt à court terme parce qu’il y a une reprise économique, sans inflation. Cela provoque bien entendu un ralentissement de l’activité économique, mais aussi la crise dans les pays émergents d’Amérique latine qui commence par le Mexique (la « crise tequila »).
« Or, l’inflation n’est jamais réapparue aux Etats-Unis, pour différentes raisons : gains de productivité importants, baisse des prix des matières premières jusqu’en 1998, remontée du dollar à partir de 1995. Cet épisode de 1994 aux Etats-Unis constitue sans doute le premier signe que la théorie de la crédibilité – donc des frappes préventives – n’est plus aujourd’hui adaptée. » (Patrick ARTUS, idem, p.36)
Beaucoup de banques centrales utilisent un objectif intermédiaire de croissance monétaire, qui résulte de la théorie monétaire : si à court terme il y a arbitrage entre inflation et croissance, à long terme l’inflation est déterminée par la croissance de la quantité de monnaie. Donc, quand la monnaie de crédit progresse plus vite, c’est un indicateur avancé de l’inflation future.
Dans le jargon de la Banque Centrale Européenne, cela devient le « pilier monétaire » : « (…) une progression plus rapide du crédit ou de la masse monétaire la conduit à passer à une politique monétaire plus restrictive puisque cette progression plus rapide est supposée annoncer le retour de l’inflation. » (Patrick ARTUS, idem, p.37)
Aux Etats-Unis, la question de l’utilisation d’une règle monétaire fait toujours débat. John TAYLOR en a laissé une : la BC doit fixer le taux d’intérêt à court terme en fonction de l’inflation et du taux d’utilisation des capacités. Et il est vrai que la FED porte toujours son attention sur ce taux.
Pour la BCE, il existe un autre pilier : pas d’intervention contracyclique visant à lisser l’activité économique à court terme. Parce que l’économie européenne se caractérise par une faible flexibilité des marchés des biens et du travail, une action monétaire contracyclique provoquerait rapidement l’apparition de l’inflation.
Disposant de ce corpus théorique, les banques centrales ont-elles été pour autant crédibles dans un passé récent ?
« Lorsqu’une banque centrale est crédible, si elle doit accroître les taux d’intérêt à court terme parce qu’elle perçoit un risque d’inflation, les taux d’intérêt à long terme ne doivent pas bouger puisque les agents économiques privés, grâce à la crédibilité, n’anticipent pas que l’inflation puisse persister à long terme. » (Patrick ARTUS, idem, p.39)
Alors, crédibles les banques centrales ? NON.
Les taux d’intérêt à long terme en Allemagne et en France ont suivi les taux à court terme de 1980 à 1984, en 1990 et 1991, de 1992 à 2000.
En principe, un économiste, un scientifique, bref les individus rationnels, écartent au moins de manière provisoire une théorie que l’expérience infirme. Il semble que ce ne soit pas le cas dans le milieu des banques centrales.
Alexandre Anizy
A suivre … « les archaïques des banques centrales, III »