Société Générale : le doute des praticiens

Publié le par Alexandre Anizy

Qu’est-ce qui cloche dans les explications fournies par la Société Générale ? La partie présentée comme régulière des activités du trader Jérôme KERVIEL pour compte propre de la banque.

 

Pour échapper aux contrôles, le trader KERVIEL procédait à des arbitrages entre 2 portefeuilles dont l’un était fictif.
Le portefeuille REEL contenait des opérations sur des « futures », avec son lot de contrôles quotidiens et d’appels de marge vérifiés, réglés ou reçus par la SG.
La position REEL était compensée par des opérations fictives inscrites dans le portefeuille FICTIF du trader : le niveau de risque était quasiment à zéro.
La question des praticiens est la suivante : que le portefeuille REEL reste plusieurs semaines avec une exposition de 50 Milliards semble invraisemblable. On paie ou on reçoit des appels de marge sur des positions énormes sans broncher ?

 
Chaque contrat de « futures » sur indices boursiers (comme ceux du trader KERVIEL) implique un dépôt, et chaque soir en fin de séance, les positions sont examinées par la chambre de compensation qui procèdent aux appels de marge : on aurait rien vu ?
Ni la SG, ni chez le courtier compensateur des contrats, ni le marché Eurex et sa chambre de compensation Eurex Clearing.

Concernant Eurex : elle avait prévenu la SG en novembre 2007 des positions du trader KERVIEL, qui aurait alors produit un faux pour attester de la couverture du risque.

 
La SG a d’abord présenté Jérôme KERVIEL comme un trader de seconde zone. Puis on a appris qu’il avait reçu une promesse de bonus de 300.000 € sur 2007 : à ce niveau, on n’est plus un modeste trader, sans être encore un cador.

 
 

Pour résumer le rapport concocté par les gens de Bercy et remis lundi 4 février par l’incompétent ministre LAGARDE au Premier Ministre FILLON, nous dirons :

  • Les procédures de contrôle ont fonctionné ;
  • mais elles n’ont pas eu le suivi qu’elles exigeaient (autrement dit, des hommes n’ont pas fait leurs boulots) ;

Améliorations suggérées :

  • Muraille de Chine entre le « front office » (les traders) et le « back office » (les soutiers, i.e. ceux qui enregistrent, contrôlent le travail des traders) ;
  • Protection accrue des codes d’accès ;
  • Contrôle de la valeur nominale des transactions (et non plus seulement le solde net) ;
  • Suivi des flux de trésorerie ;
  • Surveillance des comportements atypiques (comme l’absence de vacances d’un trader).

 

Donc la Société Générale est extraordinaire car en un week-end elle a :

  • Démasquer et « livrer » le trader voyou Jérôme KERVIEL ;
  • Virer ses supérieurs hiérarchiques directs qui n’ont pas « suivi les procédures qui ont fonctionné ».

On doit alors considérer que les cadres dirigeants, comme par exemple Daniel BOUTON ou bien Jean-Pierre MUSTIER, ne pouvaient pas savoir.

 

POURTANT, les salariés savaient que les techniques utilisées étaient obsolètes ! A notre connaissance, le rapport de Bercy ne dit rien sur ce sujet …

« Le back et le middle office, c’est la partie faible de la cuirasse de la SG. Nos managers ont beau être des cracks, nous sommes totalement noyés sous les volumes de transaction que nous devons traiter » (salarié cité par Marianne 2 février 2008)

Les 3 failles de la SG pointées :

  • Un back office régulièrement en sous-effectif ;
  • Un système informatique, baptisé Eliot, poussif ;
  • Un département « contrôle des risques » dépassé.

 

Notons que sur ces 3 failles, la responsabilité des cadres dirigeants est engagée. Prenons par exemple Eliot, le système informatique.

  • Il a été conçu en 1992 : depuis ce temps, le volume des transactions a été multiplié par 100 ;
  • En 2004, Daniel BOUTON décidait d’agir : au lieu d’acheter un progiciel de contrôle (comme celui de la société Murex qui équipe la BNP, ce qui veut dire qu’il est 100 % opérationnel à cette date), il privilégie ses troupes en choisissant la création d’un système maison (en 3 ans et pour 50 millions €) … le projet a pris du retard, le budget a explosé, et des sous-programmes d’Eliot tournent encore (le responsable du projet a été viré … et recruté par BNP) ;
  • « lorsque l’activité de la salle des marchés est trop intense, les ordinateurs ne digèrent plus les volumes des transactions. Tout le monde doit alors lever le pied. » (Marianne 2 février 2008)

Ahurissant, n’est-ce pas ?

 
Et dire que le trading de la Société Générale était réputé comme l’un des meilleurs du monde.

 
Alexandre Anizy

Publié dans Notes économiques

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