Sauver le système financier contre lui-même
Alors que l’économie réelle mondiale est en bonne santé (voir les profits records des sociétés du CAC 40), nous vivons une grave crise financière.
Pour l’économiste Jacques MISTRAL (signant avec Robert BOYER un bon livre, « accumulation, inflation, crises », PUF 2ème édition 1983, 344 pages, 150 FRF), « Le pire n’est donc jamais sûr. Mais je pense depuis longtemps qu’un ajustement sévère doit se produire. L’expansion des crédits et de la liquidité depuis 2002 et surtout 2006 a permis d’éviter 2 phases descendantes du cycle économique, mais devait finir par une correction. »
Les subprimes ont déclenché la crise, mais elle aurait pu venir par un autre canal. En 2006, le Président de la Fed Ben BERNANKE faisait un discours où les difficultés actuelles étaient envisagées. En 2004, Ned GRAMLICH, membre du Conseil des gouverneurs de la Fed, proposait des mesures d’encadrement préventives des crédits immobiliers.
Tout le monde était prévenu.
Globalement, le système productif américain n’est pas si compétitif. Ils n’ont pas investi. « Depuis 10 ans, la croissance est tirée par la consommation et l’immobilier. L’emploi doit sa croissance aux services. »
« La croissance des exportations américaines, aidée par la baisse du dollar, n’est qu’un amortisseur modeste. » Pour les Etats-Unis.
Un survol pertinent des années 1960 à 2007 par Jacques MISTRAL :
« Dans les années 1960-1970, on a réglé chaque problème économique en acceptant un taux d’inflation plus élevé à chaque étape. Cela a conduit à la dévaluation du dollar, puis le choc pétrolier a aggravé encore la situation. Là, à chaque étape, on a laissé augmenté le taux d’endettement des ménages, ce qui a permis d’éviter plusieurs fois la purge et la phase descendante du cycle. »
L’économiste Daniel COHEN quant à lui démonte le mécanisme de la crise financière et ose penser autrement avec beaucoup de lucidité. (lire aussi notre note du 22 janvier)
Par exemple, pour sauver la Bear Stearns, la Fed a utilisé JP Morgan : toute la planète financière salue cette intervention rapide et rarissime. Daniel COHEN souligne plutôt l’inadaptation des outils de la Fed pour faire face au problème actuel.
Selon lui, la crise s’est développée en 3 temps.
1er temps : la crise de liquidité est déclenchée par l’affaire des subprimes.
2ème temps : on découvre derrière des produits financiers notés « triple A » (le top) « (…) des actifs vraiment insolvables et des maquillages qui représentent autant d’escroqueries morales et financières. » ; la crise est devenue une crise de solvabilité.
3ème temps : l’ensemble du marché hypothécaire américain est touché ; la défiance s’est installée ; le cercle vicieux a démarré (l’effet domino).
Quelle fut la réponse des banques centrales ?
Dans le 1er temps : injection de liquidités.
Dans le 2ème temps : baisse des taux, mais pas assez rapide pour permettre la recapitalisation des sociétés.
Dans le 3ème temps : la Fed use d’un instrument non bancaire (créé juste après la crise de 1929) et prend en pension des actifs pourris (valeur nulle sur le marché) ; elle joue ainsi pleinement son rôle de prêteur en dernier ressort.
Solution préconisée par Daniel COHEN : faire comme avec le Crédit Lyonnais, c'est-à-dire séparer les bons actifs des insolvables, et ensuite recapitaliser.
La Fed pourra-t-elle, seule, contribuer au sauvetage des établissements en difficulté, toutes choses égales par ailleurs ? Non. La recapitalisation demande des sommes considérables.
Que faire ?
« Restaurer la solvabilité des ménages est inadapté et les banques font la preuve qu’elles n’ont pas les moyens de traiter le problème. Il faut donc faire sauter les barrières intellectuelles. »
Laisser mourir les banques ou les sauver ? (lire aussi notre note du 22 janvier)
« Il faut que le G7 ait le culot de créer un fonds public de réserve pour se porter au secours des établissements en difficulté. (…) Sinon il faut reconnaître que les seuls sauveurs possibles sont les fonds souverains et qu’on est passé à une nouvelle étape de la mondialisation (…) la libéralisation des liquidités. »
Daniel COHEN ne parle pas seul dans le désert.
Le président de la Deutsche Bank Josef ACKERMANN vient d’emboîter son pas : « Il ne suffit plus d’inviter les banques à se prêter main forte les unes les autres. (…) Je ne crois pas, sur ce point, à la seule force d’autoguérison des marchés. (…) [il faut au contraire] une action concertée des banques, des gouvernements et des banques centrales. »
On peut s’interroger sur cette prise de position hétérodoxe publique : pour l’intérêt général ou par intérêt particulier, ou les deux ?
Quant au patron de la Buba (le banque centrale allemande) Axel WEBER, il maintient une position orthodoxe : « [les banques sont] elles-mêmes responsables de la surveillance et des solutions de leurs problèmes. (…) appeler l’Etat à la rescousse revient en dernier lieu à faire payer le contribuable. » Il n’a pas tort de le rappeler.
Une restauration indispensable ?
Une des leçons de 1929 était la suivante : séparation stricte entre banque d’affaires et banques de dépôt. L’idéologie libérale a fait sauter cette règle pleine de sagesse et marquée du sceau de l’expérience : on voit à nouveau le résultat …
On doit clairement parler de restauration, car c’est bien de cela qu’il s’agit.
Cette restauration est aussi préconisée par Bernard MARIS (lire notre note du 15 février).
Que penser de la baisse des taux de la Fed ? Trop baisser les taux, c’est enclencher le processus de stagflation.
Alexandre Anizy