Les dernières heures du libéralisme selon Christian CHAVAGNEUX (II)
(Suite de notre note économique du 17 septembre 2008)
Les libéraux n’ont-ils pas voulu trop en faire dans leur destruction des freins au libre échange généralisé ? L’ancêtre de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) s’appelait le GATT, et il avait un objectif modeste : limiter les pratiques discriminatoires. « Avec l’OMC [1995], l’appétit des libéraux a grandi. Ils ont cherché à y fixer les règles du jeu, non seulement aux frontières des Etats mais à l’intérieur même des pays (…). » (Christian CHAVAGNEUX, « les dernières heures du libéralisme », éditions Perrin, 179 pages, 13,50 €, p.30) Faire passer, en moyenne, de 40 % à moins de 5 % les tarifs douaniers ne leur suffisait pas.
Il est vrai que tout système a sa logique : pour le libéralisme, une fois admis le principe de la « vérité des prix » par l’élimination des subventions à l’exportation, pourquoi ne pas s’attaquer aux subventions internes ? Comme l’a montré l’économiste Jean COUSSY, nous sommes face à une logique d’engrenage : après la liberté de commercer, c’est au tour de celle d’investir là où bon vous emble, et pour ce faire, la liberté des banques doit être assurée, etc.
C’est l’Afrique du Sud, confrontée au désastre provoqué par le sida, qui ose la première s’opposer à l’emprise des multinationales pharmaceutiques : ils copient les molécules brevetées par les grands laboratoires pour offrir des traitements à faible prix, ce que les grandes firmes refusaient de faire. Puis ce sera le Brésil qui s’attaquera aux mêmes grands laboratoires pharmaceutiques et qui gagnera avec l’aide inattendue du Président BUSH qui, à cause de l’affaire de l’anthrax, imposera à BAYER la levée immédiate de son brevet sur un médicament luttant contre la maladie du charbon.
Depuis 1995, les règles du commerce mondial sont en fait issues plus largement des Traités bilatéraux (environ 300 en 2007 ; peut-être 400 en 2010 !). « Les Etats-Unis, sous la présidence BUSH, et les pays asiatiques ont été les fers de lance de cette évolution. » (p.35)
Par dogmatisme, comme toujours, l’Union Européenne refusait ce type de négociation, jusqu’à l’été 2006.
Il est vrai que les Traités bilatéraux présentent bien des défauts pour un libéral pur et dur : c’est par définition l’abandon du multilatéralisme ; c’est aussi l’instauration flagrante du rapport de force dans les négociations ; c’est enfin la propagation rapide des Traités (en vertu du principe qu’un Traité signé entre 2 pays en appelle immédiatement d’autres avec des pays différents qui veulent l’alignement sur les nouvelles règles). Les Traités bilatéraux constituent in fine une nouvelle forme de protectionnisme, à l’avantage de la puissance économique dominante (les Etats-Unis) et les premiers entrants. L’Union Européenne, par son dogmatisme souligné ci-dessus, s’est tirée une balle dans le pied dans la course aux parts de marché.
Il existe un organisme pour régler les différends : l’ORD. « [Il] a imposé la règle de la libre circulation des OGM, contre le droit d’un autre traité et en dépit du fait que les consommateurs européens expriment régulièrement leur hostilité à l’introduction de ce type de produits dans leur alimentation. » (p.48)
Pour ces juges, le principe c’est la libre circulation : tout le reste n’est que roupie de sansonnet, aussi bien la volonté des peuples que le principe de précaution. Avec de telles décisions, il est évident que le compte ne peut pas y être.
Le libéralisme a progressé à l’échelle mondiale grâce à une institution, l’OMC, dont l’avenir est maintenant incertain, puisque le libre échangisme est dans l’impasse.
Alexandre Anizy