Allemagne et France vus par Peter SLOTERDIJK (VI)

Publié le par Alexandre Anizy

(Suite des 5 notes précédentes)

 

L’heureuse prise de distance : perspective polémologique 

Pour Peter SLOTERDIJK, il existe une distance mentale entre les deux pays. « Après 1945, les Français et les Allemands n’ont cessé, de facto, de s’éloigner les uns des autres d’un point de vue culturel et psycho politique, alors qu’au niveau des relations plus officielles, ils trouvaient une nouvelle amitié, salutaire pour les deux parties. J’affirme à présent que ces deux faits, la prise de distance et l’amitié nouée, ne signifient au fond qu’une seule et même chose. » (p.78)

A Reims en 1962, ADENAUER et DE GAULLE ont paradoxalement négocié la désimbrication des deux nations, c'est-à-dire la fin d’une sur-relation fatale, d’« une forme politique de magnétisme animal », qui commença en septembre 1792 à Valmy qui « fut le prélude contenu à cette ère des masses qui débuta avec l’invention française de la mobilisation générale. » (p.81)

« Les Français avaient été les premiers-nés de la nouvelle dynamique de masse et, en s’en servant pour submerger l’Europe, ils lui donnèrent une leçon qui fit effet pendant 150 ans. » (p.81)

 

Pour SLOTERDIJK, le livre « Achever Clausewitz » de René GIRARD apporte réellement une nouveauté dans la réflexion sur la France et l’Allemagne « dans la mesure où il tente d’élucider le mystère d’une fascination pathologique réciproque » (p.82) : chez CLAUSEWITZ, il montre l’imitation jalouse de Napoléon pour essayer de rendre reproductibles les succès du bellicisme révolutionnaire français.

SLOTERDIJK esquisse un pas de plus que GIRARD :

« A côté de l’imitatio Napoleonis, c’est surtout l’imitatio revolutionis qui, du point de vue de la dynamique affective et de l’idéologie, allait agir dans les dimensions les plus grandes et les plus dangereuses, en Allemagne et bien au-delà. » (p.83) Ainsi Karl MARX serait « le point de condensation le plus élevé des jalousies allemandes provoquées par la France ». (p.83)

« Toute l’œuvre de MARX confirme la thèse énoncée par Heinrich HEINE : là où les Allemands se mêlent des affaires françaises, celles-ci montent d’un palier dans l’universalité, l’acharnement et la dévastation. » (p.84), ce que GIRARD appelle, avec CLAUSEWITZ, « la montée aux extrêmes ».

Dans le coup de maître de René GIRARD, SLOTERDIJK regrette l’absence d’une théorie des médias, comme véhicules de la mimétique dangereuse.

 

Pour clore sa conférence, SLOTERDIJK affirmait : « Si les Allemands et les Européens ont un conseil à donner au reste du monde (…) : faites comme nous, ne vous intéressez pas trop les uns aux autres ! » (p.88)

 

Alexandre ANIZY