La mondialisation selon Pierre-Noël GIRAUD (III)

Publié le par Alexandre Anizy

Dans son livre « la mondialisation. Emergences et Fragmentations » (Sciences Humaines éditions, 4ème trimestre 2008, 158 pages, 10 €), Pierre-Noël GIRAUD dresse un état du processus de mondialisation.   

 

1ère question fondamentale en économie : il s’agit des rôles de l’Etat et des marchés, de leur articulation.

La littérature économique regorge d’articles mettant en évidence les imperfections du marché : seul un peloton de libéraux irréductibles, comme Pascal SALIN, radote encore sur les bienfaits de la concurrence pure et parfaite. Ces imperfections « engendrent ce qu’on appelle des trappes de pauvreté », c'est-à-dire des situations où le fonctionnement normal des marchés empêche les personnes de sortir de leurs conditions misérables, alors qu’elles en ont les capacités. L’Etat doit donc intervenir pour détruire les obstacles contraires à l’intérêt général.

Prenant le cas des pays confrontés à « la malédiction des matières premières », P-N. GIRAUD affirme qu’ « un Etat de qualité maîtrise et oriente efficacement les mécanismes de marché, à commencer par la négociation des rentes avec les compagnies pétrolières et minières ». (p.55) Et ce qui est utile ou nécessaire pour la Norvège ne le sera pas forcément de la même façon au Nigéria. Autrement dit, « l’analyse économique ne doit pas établir de lois générales valables en tout temps et en tous lieux ». (p.55)

Parce que l’information des marchés a un coût, parfois rédhibitoire, et qu’elle ne peut être produite instantanément, « une des dimensions de l’imperfection des marchés est ainsi qu’ils peuvent n’être jamais à l’équilibre. Ils y tendent certainement. » (p.56)

Enfin, « il est en effet impossible de définir l’intérêt général de l’intérieur de l’analyse économique » (p.57), sinon au prix de 2 hypothèses inadmissibles : comparabilité et indépendance des variations de revenus des acteurs économiques (i.e. perte des uns / gains des autres) ; perception absolue de sa situation pour tout agent économique (or le concept de richesse est essentiellement relatif).

 

P-N. GIRAUD conclue qu’une analyse économique rigoureuse ne prétend qu’à décrire et si possible quantifier les pertes et les gains des agents, ainsi qu’à construire des scénarios.

« Une conséquence de cette thèse est que le débat sur les politiques économiques entre droite et gauche n’est pas un débat économique, mais un débat « de société » structuré par le choix de normes de jugement des politiques économiques qui sont des normes d’équité. » (p.58)

Mais P-N. GIRAUD modère aussitôt l’approche dichotomique qui apparaissait en filigrane (les économistes scientifiques … et les autres) en affirmant qu’une analyse concrète d’une situation concrète « reste donc influencée par des visions du monde et des normes d’éthiques ». (p.59)

En quelques lignes, vous avez la problématique du débat « sciences économiques ou économie politique ».

 

2ème question fondamentale en économie : il s’agit des avantages du libre échange.

Comme pour le progrès technique, les avantages du libre échange ne sont pas contestés en théorie : le principe de RICARDO est robuste. Mais si on intègre les imperfections des marchés et si on raisonne en dynamique, il doit alors être relativisé, puisque les exceptions sont courantes.

Par exemple, SAMUELSON et STOLPER ont établi que « le libre échange peut fort bien accroître le revenu moyen dans un territoire, tout en y aggravant les inégalités. » (p.65)

Un examen historique minutieux du développement économique de certains pays permet de rétablir les faits : « Le protectionnisme a incontestablement été l’un des instruments du rattrapage de la Grande-Bretagne par l’Allemagne et les Etats-Unis à la fin du XIXème siècle, ainsi que des Etats-Unis par le Japon dans les années 1950 à 1970. » (p.66) Mais il a conduit l’Amérique Latine au marasme économique à partir des années 1930.

 

Fort de ces acquis, P-N. GIRAUD construit son modèle d’évolution de la richesse d’un territoire et de l’inégalité entre compétitifs et protégés, à partir du cadre analytique suivant : un découpage en territoires économiques séparés par des frontières, une distinction entre firmes nomades et firmes sédentaires (celles qui agissent sur un seul territoire), une distinction entre les individus, à savoir les compétitifs et les protégés (ceux qui produisent des choses qui ne traversent pas les frontières).

Que nous dit le modèle ? « Les évolutions de la richesse et des inégalités vont passer dans chaque territoire par les effets combinés de la mondialisation et des politiques étatiques sur trois paramètres : e, Nc, pt. Et dans ce processus dynamique, tout est a priori possible (…) une diversité d’évolutions qui correspond bien à la réalité (…). » (p.75)

(où : e = préférence pour les biens et services protégés, mesurée par la part des revenus des résidents du territoire consacrée à l’achat de biens et services protégés ; Nc = nombre des compétitifs présents sur le territoire ; pt = le prix relatif des compétitifs, c'est-à-dire le rapport entre le revenu moyen des compétitifs du territoire et celui des compétitifs dans le monde.)

Nous vous épargnons les équations.

 

En économie, l’émergence de l’Asie constitue sans doute le fait historique majeur des 50 dernières années. P-N. GIRAUD analyse, avec une concision remarquable, le processus de développement des pays de cette zone. « Facteur favorable, la mondialisation ne peut cependant pas être considérée comme le moteur du rattrapage de ces pays [ndAA : Japon, les NPI, Inde, Chine]. Dans chaque cas, les politiques étatiques ont joué un rôle absolument décisif. » (p.79)

Concernant la Chine et l’Inde aujourd’hui, il affirme que l’apparition d’une vraie classe moyenne constitue une option pour les 2 gouvernements, ce qui ralentirait le laminage des classes moyennes des pays riches. Il peut alors conclure avec humour : « classes moyennes de tous les pays, unissez-vous ! ».

 

Alexandre ANIZY