"Capitalisme et pulsion de mort" de Gilles DOSTALER et Bernard MARIS (III)
Lire auparavant les notes I et II portant le même titre.
Gilles DOSTALER et Bernard MARIS considèrent que FREUD a intégré 2 concepts économiques fondamentaux : la rareté et le détournement. « Au cœur de la vision de Freud se trouve une dynamique économique où les pulsions sont constamment refoulées par la gestion de la pénurie. Le principe de réalité doit être constamment rétabli. La société s’en charge. Naissent la culture et le droit. » (p.35)
Le principe de réalité s’oppose au principe de plaisir qui demande une satisfaction immédiate des besoins (exemple : le nourrisson au sein de la mère). Autrement dit, face à son environnement l’homme bride ses pulsions animales, et ce faisant, il repère l’utile, discerne la raison.
Or, en économie, différer dans le futur une consommation immédiate, avec la perspective d’une consommation de quantité ou de qualité supérieures, est une définition de l’investissement. La relation entre les principes de plaisir et de réalité se ramène selon Freud « au principe économique de l’épargne de dépense » : on reporte dans le futur une destruction immédiate au profit d’une satisfaction plus importante.
Ce report est appelé « détour de production ».
Investir, c’est « détourner le travail de la production immédiate de biens de consommation pour constituer du capital. Ainsi le refoulement du besoin, le refus de sa satisfaction immédiate, permet l’épargne, et le détour de production, l’utilisation de l’énergie et du travail à la constitution du capital, permet l’investissement. » (p.36) Plus le détour de production est allongé, plus l’accumulation est forte.
Cette théorie de l’investissement est due à Eugen Von BÖHM-BAWERK, de l’école dite autrichienne.
« Le capital est un détour temporel qui exclut la jouissance. La pulsion de mort, au contraire, est la jouissance immédiate de l’anéantissement. La pulsion de vie sera baptisée par un économiste « croissance », laquelle est la négation de la rareté. » (p.38)
Pour lutter contre la rareté, la communauté humaine attaque la nature « avec l’aide de la technique guidée par la science » (Freud, cité p.39) La technique fait évidemment partie de la culture, puisque les premiers actes culturels sont relatifs à l’usage des outils, la domestication du feu, la construction d’habitations. Si, grâce à cette accumulation culturelle et matérielle, l’homme vit incontestablement mieux et plus longtemps, est-il pour autant libéré de ses angoisses ? Force est de constater qu’on a surtout ajouté des années en bout de cycle : la vieillesse (un naufrage, disait Simone de BEAUVOIR) perdure. « La question du bonheur, elle, n’est pas résolue par le progrès technique. » (p.40)
La technique permet de satisfaire le principe de plaisir avec « soit le contenu positif du but, le gain de plaisir, soit le contenu négatif, l’évitement du déplaisir » (Freud, cité p.41) Elle permet aussi de lutter contre « la caducité de notre corps » (Freud) : les dépenses majeures dans les pays riches concernent la santé (soins, réparations des corps, entretien des personnes âgées).
« Dans le domaine de la culture, des temps lointains entraîneront de nouveaux progrès (…) augmentant encore plus la ressemblance avec Dieu ». (Freud, cité p.41) Il suffit de voir les miracles de la médecine (greffes d’organes, prothèses … début de la sélection pour la vie) pour comprendre que nous sommes sur ce chemin.
Ainsi, « l’accumulation du capital est l’approche infiniment retardée de Dieu. Cette approche asymptotique de Dieu recouvre notre désir d’éternité, ce désir de reculer la mort (…). » (p.42)
(A suivre)
Alexandre ANIZY