"Capitalisme et pulsion de mort" Gilles DOSTALER, Bernard MARIS (VIII)
Lire auparavant les notes I à VII portant le même titre.
Nous abordons maintenant avec Gilles DOSTALER et Bernard MARIS le cœur de la théorie keynésienne : la préférence pour la liquidité.
Pour KEYNES, comme pour Joseph SCHUMPETER dont « la théorie de l’évolution économique » (Dalloz réédition de juillet 1983, 371 pages, 74 FRF) est l’autre grand livre d’économie politique du XXème siècle, les entrepreneurs, c'est-à-dire ceux qui insufflent du dynamisme dans l’économie, sont des individus à part, mus par des « esprits animaux » selon la fameuse expression keynésienne. Alors soucions-nous plutôt de la majorité des décideurs (comme on dit aujourd’hui), pour qui le futur n’est qu’angoisse : ceux-là veulent « rester liquides », i.e. miser sans prendre de risques et pouvoir se retirer à tout instant.
« La possession d’argent liquide apaise notre inquiétude ; et celle-ci se mesure à la prime que nous exigeons pour nous séparer de cet argent. » (Keynes, cité p.83)
La préférence pour la liquidité révèle la peur de l’avenir et d’un monde d’incertitude radicale. Reprenons les termes de MARIS et DOSTALER : « Cette prime est le taux d’intérêt, véritable indice de la peur. » (p.83) Lorsqu’il affirme que le taux d’intérêt n’a pas de valeur objective, KEYNES s’oppose à la théorie classique, qui veut que le taux d’intérêt soit fixé par l’offre et la demande de capital en récompense de l’abstinence, et il précise :
« Phénomène hautement psychologique, il [le taux d’intérêt] doit nécessairement dépendre de nos attentes quant au taux d’intérêt futur. » (Cité p.84)
Il faut alors admettre que les anticipations individuelles et collectives sont au cœur du phénomène de l’intérêt, et que par conséquent la psychologie des foules y joue un rôle primordial.
Dans le chapitre 12 de la Théorie Générale, Keynes parle de la psychologie des foules en traitant des anticipations à long terme et de la spéculation. « Le marché keynésien est un objet collectif en soi. Il ne résulte pas de l’interaction entre des individus autonomes. Il est la foule, aveugle, moutonnière, ignorante, stupide, sujette à la panique et sensible à tous les mouvements qu’elle-même provoque, à toutes les folles rumeurs. » (p.86) C’est pourquoi l’homme rationnel, face à l’incertitude radicale et à cet ensemble d’opérateurs aussi dubitatifs que lui, use d’un expédient : s’aligner sur le jugement des autres, qui se fonde sur une convention (demain sera à peu près comme hier ; la tendance va se prolonger …). Ceux qui gagnent en Bourse sont ceux qui anticipent le changement de convention, ce qui suppose d’être au milieu de la mêlée des agents : en conséquence, l’épargnant lambda qui boursicote a l’étoffe d’un gogo.
Pour ceux qui veulent approfondir ce sujet, lire sans tarder les travaux d’André ORLéAN relatifs au rapport entre mimétisme et marchés financiers.
« Ainsi le taux d’intérêt, (…) déterminé par sa valeur future et la psychologie de masse, est-il un phénomène conventionnel et auto référent. (…) Mais le taux futur dépend de la convention. Or la convention repose sur la répétition du présent, c'est-à-dire l’abolition du temps. » (p.89)
Relions la convention à la pulsion de mort, dans la mesure où FREUD écrit qu’ « une pulsion serait une poussée inhérente à l’organique doué de vie en vue de la réinstauration d’un état antérieur (…) ou, si l’on veut, la manifestation de l’inertie dans la vie organique ». (Cité p.90)
(A suivre)
Alexandre ANIZY