Critique du livre de Gilles DOSTALER et Bernard MARIS (XI)
Lire évidemment les notes I à X portant le titre « Capitalisme et pulsion de mort » de Gilles DOSTALER et Bernard MARIS.
La note X annonçait la première critique, qui est développée aujourd’hui. Deux autres la compléteront. Mais rappelons que nous considérons les 2 premiers chapitres d’un excellent niveau et susceptibles d’éveiller la curiosité intellectuelle de nombreux lecteurs.
L’inutilité du chapitre 3
Nous avons écrit que les 46 dernières pages (soit quasiment un tiers de l’ouvrage) de «Capitalisme et pulsion de mort» de Gilles DOSTALER et Bernard MARIS relèvent plus d’un butinage que d’une analyse. Dit autrement, enquiller (expression du monde de la presse – signifiant empiler, enfiler –, pour rester dans l’univers de Bernard MARIS, rédacteur et actionnaire de l’hebdomadaire Charlie Hebdo, dirigé et principalement possédé par le fumeux Philippe VAL) des généralités sur la mondialisation nuit gravement à la qualité de l’ensemble du texte : comme dirait un maître d’école, c’est hors sujet.
Prenons un exemple : « la possibilité d’une île » de Michel Houellebecq. A notre avis, accorder environ 2 pages à cette littérature de gare est superfétatoire et constitue une faute de goût.
Une uniformité chez KEYNES ?
Concernant la vision keynésienne du ressort interne du capitalisme, nous disons que DOSTALER et MARIS ont réussi le challenge qu’ils s’étaient fixés : « Ce qu’enseignent FREUD et KEYNES, nous espérons le montrer dans ce livre, c’est que ce désir d’équilibre qui appartient au capitalisme, toujours présent, mais toujours repoussé dans la croissance, n’est autre qu’une pulsion de mort. » (p. 8-9)
Concernant les positions théoriques de KEYNES, qui ne sont pas l’objet du travail – nous en convenons -, elles paraissent résumées en 2 parties : avant 1933, c’est un KEYNES libre-échangiste, et après, c’est un KEYNES protectionniste. Cette impression est fâcheuse, car la pensée théorique de KEYNES a évolué méandreusement.
Nous donnons 2 exemples pour expliquer cette appréciation.
En premier, que de communications d’universitaires ont tenté d’expliciter l’opposition apparente entre « le traité sur la monnaie » de 1930 et « la théorie générale » de 1936 !
En second, il arrivait à KEYNES de prendre une position politique en contradiction avec sa position théorique du moment. Donnons un exemple. Dans le livre « les écrits de KEYNES » sous la direction de Frédéric POULON (Dunod, mars 1985, 221 pages), Gilles DOSTALER rappelle dans son article consacré au « retour à l’étalon-or de la Grande-Bretagne » les faits suivants :
« Aussi longtemps que l’étalon-or est maintenu, KEYNES examine les meilleurs moyens pour la Grande-Bretagne de tirer son épingle du jeu. Cela l’amène, par ce qui apparaît comme un curieux retournement, à proposer, dans un article publié le 7 mars 1931, des mesures modérées de protectionnisme, de manière à protéger la parité de la livre-sterling. » (p.192) Comme le fait d’ailleurs remarquer DOSTALER, « KEYNES se berçait d’illusions », car le 21 septembre 1931, la Grande-Bretagne suspendait l’étalon-or … plongeant définitivement le monde dans la dépression. Que fait KEYNES ? « Quelques jours après, dans le Sunday Express du 27 septembre, KEYNES applaudissait à cette décision en soulignant les conséquences bénéfiques pour l’emploi de la dévaluation de la livre-sterling (…) » (p.193)
A noter que le génial KEYNES – mais vous l’avez deviné certainement – n’avait toujours pas compris en 1930 la gravité de la crise de 1929, puisqu’il soulignait dans un article publié que le monde souffrait « d’un grave accès de pessimisme économique ». (cité par Dostaler p.192)
On croirait entendre à la fin de 2008 Alain MINC raconter dans les médias appartenant à ses amis et qui lui sont toujours ouverts, que la crise actuelle est « psychologique » !
La complexité de la pensée keynésienne, quand on l’examine dans son ensemble, n’est pas soulignée dans le livre de DOSTALER et MARIS. C’est vraiment regrettable.
Paris VIII : une maladie honteuse ?
A notre connaissance, Bernard MARIS est professeur à l’université Paris VIII depuis quelques années, et Gilles DOSTALER y a passé son doctorat en 1975, publiant en 1978 aux éditions Anthropos, collection M8, « MARX, la valeur et l’économie politique » (198 pages)
La collection M8 (matériaux d’économie politique de l’université de Vincennes – Paris VIII) a été créée par des économistes travaillant au Département d’économie politique de Paris VIII.
Nous sommes donc étonnés que les 2 auteurs n’aient fait aucune référence au livre (déjà cité dans la note VI) de Jean-Marc LEPERS (enseignant au Département d’économie politique de Paris VIII) publié en 1977 – soit 1 an avant celui de DOSTALER, dans la même collection M8 -, « la jouissance symbolique », qui d’ailleurs nous semble beaucoup plus ambitieux.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la recherche bibliographique présente une lacune fâcheuse.
On peut aussi se poser une question : pour ces 2 professeurs économistes, être ou avoir été de Paris VIII serait-il une maladie honteuse ?
Alexandre ANIZY