L'Etat otage des Banques selon Marcel GAUCHET
Précisons tout d’abord que nous ne sommes pas un familier de l’œuvre de Marcel GAUCHET, dont certaines fréquentations intellectuelles ne nous ont pas incités à une découverte approfondie. Pourtant, après la lecture de René GIRARD, la thèse centrale de son livre « le Désenchantement du monde » (Gallimard, 1985), à savoir que le christianisme est la « religion de la sortie de la religion », de même que son article « les Droits de l’homme ne sont pas une politique » (1980), ne pouvaient que nous encourager à le faire.
Nonobstant ce désintérêt, nous accordons beaucoup d’attention aux propos de ce penseur, notamment ceux publiés dans le magazine Expansion (mai 2009) dans lequel il affirme que l’Etat a été pris en otage par les banques.
D’emblée, le philosophe souligne la cécité des vrais experts qui « n’ont rien compris au film. C’est leur mode de pensée et les instruments intellectuels dont ils disposent qui sont en cause. »
Si nous n’avons aucune sympathie pour le Président ubiquiste SARKOZY DE NAGY BOCSA, nous reconnaissons ses mérites : c’est un redoutable homme politique ayant un exceptionnel sens de la tactique et de la propagande, dont on devine qu’il a « senti » en 2008 la gravité de la crise, quand des incompétents comme le ministre Christine LAGARDE nous serinaient que l’économie réelle ne serait pas touchée et d’autres fadaises, ou comme l’expert Olivier BLANCHARD (un économiste français nobélisable, dit-on dans les médias) qui comprenait peu de choses (lire notre note du 21 janvier 2009) …
GAUCHET prend pour exemple le financier Warren BUFFET, chez qui le discernement (i.e. savoir repérer les choses capitales) et l’appréciation des événements qui comptent pèseraient plus dans ses décisions que « l’expertise des matheux de [leurs] salles de marché ». Pour GAUCHET, le mode de raisonnement fondé sur le calcul rationnel est ennuyeux, parce qu’il « ignore ce qui fait vivre les sociétés humaines depuis toujours : la politique et l’histoire ». Une approche économique ayant pour axiome la rationalité des marchés présente un défaut majeur, puisqu’elle « ne permet pas de penser ce qui rend le marché possible et ce qui vient le perturber régulièrement ».
Les crises de 1929, de 1973 et de 2007 correspondent à des moments de réarticulation du système international. Concernant la période 1945 – 1973, la plus faste de la croissance capitaliste, son mode de régulation économique était efficace, mais d’aucuns en diront autant de la phase néolibérale qui vient d’atteindre ses limites. « L’illusion était de croire qu’on avait trouvé la martingale définitive du fonctionnement de l’économie ». Mais si l’économie autorégulée a failli, il n’empêche que le marché reste au centre, avec un Etat pacificateur et législateur définissant et protégeant les conditions de la libre concurrence.
Or, « la mondialisation a été faite pour contourner les règles. Elle n’est pas simplement l’extension du modèle occidental du marché, elle est aussi l’institutionnalisation d’un véritable trou noir. » Un tiers des capitaux circulant librement serait d’origine illégale ou criminelle : ces qualificatifs sont-ils devenus compatibles avec la loyauté des marchés ? Un exemple de « pratique mafieuse » : le gaz russe vendu à l’Ukraine est payé à une société implantée à Zoug, bourgade suisse réputée fiscalement … Et que dire des activités étranges dont le Luxembourg est le siège ?
« La mondialisation met en concurrence – de manière très hypocrites – des systèmes sans règles et des Etats organisés. Il s’agit, sans l’avouer, d’offrir des échappatoires à la régulation dont on se réclame par ailleurs. »
Dans l’espace juridique et économique européen, « l’élargissement à l’Est a été précipité dans le même dessein. »
Lire aussi nos notes politiques du 27 janvier au 2 février 2009, dont la « Critique du « oui à la Turquie » de Michel ROCARD l’idiot utile (IV) ».
Pour Marcel GAUCHET, les Etats n’avaient pas disparu et ils « ont été pris en otage. Le révolver sur la tempe, ils ont dû vider leurs caisses pour renflouer les banques. » Sans contrepartie et sans contrôle de l’usage des fonds. « Les Etats ont renoncé à penser le pilotage collectif. En ce domaine, tout est à rebâtir. »
Malheureusement, « il nous manque toujours une science économique qui saurait que l’économie ne marche pas toute seule, qu’elle n’est qu’un aspect du fonctionnement général des sociétés. », observe judicieusement Marcel GAUCHET.
Rappelons KEYNES : « La difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, elle est d’échapper aux idées anciennes qui ont poussé leurs ramifications dans tous les recoins de l’esprit. »
C’est pourquoi il convient de réhabiliter l’économie politique.
Alexandre ANIZY