Le bluff social chinois (IV)

Publié le par Alexandre Anizy

Examinons aujourd’hui (lire les notes économiques précédentes sur la Chine) le plan social de l’économie de l’Empire du Milieu.

Pour mémoire, le rattrapage économique du Japon a permis au salaire japonais d’égaler le salaire européen ou américain en 30 ans : celui des Chinois n’a pas varié de 1979 à 2001.

Avec 63,8 % de la population, la consommation des paysans ne représente que 34,6 % du total : depuis 2001, si pour 90 % des urbains les revenus ont augmenté, ils ont baissé de 0,7 % pour les ruraux, avec une baisse de 6 % pour les plus pauvres. Le fossé riches/pauvres se creuse aussi en ville : la moyenne des revenus les plus élevés est 12 fois supérieure à celle des revenus les plus faibles, cet écart ayant presque triplé en 10 ans.

En 1999, 1 % de la population active chinoise, soit environ 9 millions, possédait 60 % des richesses du pays. Un rapport rédigé par Carrefour estimait quant à lui le nombre de Chinois très riches entre 5 et 10 millions, le nombre des cadres supérieurs (2.000 à 5.000 USD de revenus annuels) à 30 millions, le nombre des petits consommateurs (1.000 à 2.000 USD de revenus) à 150 millions. Entre les différentes provinces, les revenus familiaux varient de 1 à 7.

« Les élites politiques, économiques et culturelles ont scellé une alliance au sommet. Cette classe dominante dispose de ses résidences, magasins, restaurants, écoles et de ses propres moyens de transport. (…) Cette élite se distingue toutefois par sa totale dépendance à l’égard du pouvoir. (…) Le train de vie de cette élite dépend surtout de ses avantages en nature, légaux et illégaux, dont la corruption est un élément essentiel. » (Thierry WOLTON, le grand bluff chinois, pages 115-116)

 
Plus une région devient riche (Canton, Shenzhen, par exemple), plus les salaires sont bas, et plus elle tendra à s’affranchir du code du travail chinois. A ceci, il faut ajouter la concurrence entre les provinces pour attirer les capitaux étrangers, qui a pour effet une tendance à la baisse générale des salaires : quand le gouvernement central intervient, il favorise toujours la partie où les salaires sont les plus bas.

Pour Pékin, 5 % de la population active est au chômage ; pour l’Organisation Internationale du Travail, c’est 30 % ; pour Rand Corporation, c’est 18 %. « La Chine offre ainsi le paradoxe d’avoir une conjoncture exceptionnelle et un chômage record » (T. WOLTON, idem, page 123).
Il convient d’ajouter à ce constat que le non paiement des salaires est une pratique habituelle. Dans le secteur de la construction, le montant des salaires non payés s’élèverait à 45 Milliards USD (selon China Daily).
50 % des nouveaux logements restent inoccupés.

Quant au nouveau système de sécurité sociale, il est ruiné avant même d’avoir pu faire ses preuves : absence de recettes (les employés n’ont pas les moyens de cotiser et les employeurs s’en dispensent), mauvaise gestion, corruption. 21 des provinces et municipalités autonomes sur les 32 que compte le pays ont des programmes de pension en faillite : le déficit s’élèverait à 1.000 Milliards USD, soit la quasi-totalité des réserves de change de la Chine !

Le mépris de l’Etat - Parti est manifeste dans le domaine de la santé. Pour le paysan chinois (rappel : 63,8 % de la population), l’accès aux soins est impossible puisque, pour une intervention à l’hôpital, il faut un dépôt de garantie équivalent à 1 an de revenus, et il faut payer d’avance les médicaments vendus par les médecins (pas de dessin pour les prix, n’est-ce pas ?)… En Chine, il n’y a pas d’avenir pour les pauvres : c’est le seul pays au monde où les femmes se suicident plus que les hommes, parce qu’elles sont victimes d’une double oppression, sociale et « traditionnelle ».

« Le modèle chinois se caractérise aussi par un Etat de non – droit sous la coupe d’un pouvoir arbitraire, à la fois juge et partie des conflits qui pourraient surgir dans l’espace social » (T. WOLTON, ibid., page 125) Avec dans le rôle du flic, l’unique syndicat autorisé.

Un exemple du système chinois : la privatisation des mines de charbon.
La quasi-totalité des mines a donc été achetée par la nomenklatura communiste. Vous pensez bien que la famille au sens large (on se croirait en Sicile…) n’a pas laissé échapper un secteur aussi juteux, puisque le pays manque cruellement d’énergie. Etat des lieux : le mineur chinois attaque les veines à la pioche (ailleurs, c’est foreuses et trépans) ; absence totale de sécurité ; corruption des autorités ; carence des dirigeants à laquelle s’ajoute l’appât du gain. Conséquences : 20.000 morts par an dans les mines chinoises, soit 10 fois plus qu’en Inde, soit 30 fois plus qu’en Afrique du Sud, 100 fois plus qu’aux USA, par million de tonnes de charbon extraites.   

Résumons la situation sociale et politique : une nomenklatura (les membres du PC avec leurs familles au sens large) qui entend maintenir ses privilèges et une grande majorité de la population qui est exclue des acquis du développement. Pour tenir, les dirigeants n’auront plus que la fuite en avant nationaliste.

Alexandre Anizy

P.s :
A suivre … le bluff pacifique chinois (V)
Lire aussi les notes précédentes sur la Chine (archives « notes économiques »