Coriat et Coutrot 2 économistes atterrés et désobligeants
Benjamin Coriat et Thomas Coutrot font partie du collectif des Economistes Atterrés, pièces majeures de cette association de salubrité intellectuelle qui ambitionne d’apporter au peuple d’autres informations, d’autres modèles économiques, que celles dont les grands médias abreuvent le public en perfusion continue. C’est pourquoi nous nous étonnons de leur tribune désobligeante (dans Marianne du 27 juillet 2013, un magazine qui vire au collage de brèves dans un torchon commercial, sous la maquette du vieux JFK) à l’égard de Frédéric Lordon (un autre EA) et d’Emmanuel Todd, qui osent penser différemment.
Que leur reprochent-ils ?
« On ne comprend rien à l’histoire récente si l’on oublie qu’après la Seconde Guerre mondiale l’obsession des élites occidentales (…) prévenir un nouvel affrontement franco-allemand. »
Pour leur part, ils semblent négliger le rôle néfaste d’un certain Jean Monnet (1), un haut fonctionnaire "américain au passeport français", comme pourrait dire l’infâme Eric Besson.
« A dénoncer "la dérive autoritaire de l’Allemagne" (Todd) "qui impose tel quel son propre modèle de politique économique" (Lordon), nos duettistes nient l’adhésion complète des élites européennes au projet néolibéral. »
Même si nous ne sommes que lecteur et pas un exégète de Todd ou de Lordon, il nous paraît absurde et surtout faux d’écrire que ces duettistes ne veulent pas voir le consensus de l’oligarchie européenne sur l’agenda néolibéral.
Concernant Emmanuel Todd, puisque Coriat et Coutrot raillent aujourd’hui le Todd de mars 2012 qui voyait du Roosevelt chez Hollande, nous soulignons qu’à cette date-là nous n’étions pas nombreux à dire que parler de "hollandisme révolutionnaire" était une stupidité (2). Il est vrai que nous étions alors en pleine campagne présidentielle : il ne fallait donc pas désespérer Billancourt, diviser son camp, et autres balivernes de propagande de populistes.
La critique de Coriat et Coutrot s’épuise vite quand ils envisagent des ruptures politiques, sans doute d’abord en Grèce, au Portugal ou en Espagne, ou bien une rupture imposée (par la BCE par exemple) dans la zone euro, car nous n’avons jamais lu que Todd et Lordon s’opposent « à la construction, dans le feu des luttes, d’une nouvelle conscience collective européenne fondée sur la solidarité et la responsabilité sociale et écologique. »
En fait, cette tribune n’est qu’un procès d’intention.
Mais il y a peut-être du Toni Negri chez Coriat et Coutrot, le Negri qui milite pour le Traité européen de 2005, parce qu’il considère qu’il doit favoriser la concentration inéluctable des pouvoirs économiques et politiques dans une économie capitaliste, pour que le fruit tombe dans les mains d’un prolétariat élu… Comme disait Georges Gurvitch, la dialectique transcendante et apologétique d’un matérialisme historique (infantile), en guise de socle théorique de la fuite en avant vers l’économie communiste de marché… Passons, puisqu’ils valent mieux que des idiots utiles.
Pour autant, il est bon de leur dire qu’un intellectuel est toujours sur la mauvaise pente quand il refuse d’estimer la position d’autrui, quand il commence à penser et à proclamer que l’intelligence est de son côté :
« Oui, l’intelligence est aujourd’hui de travailler à la solidarité des peuples et des destins en Europe plutôt que de préconiser le repli sur des bases nationales qui n’ont plus de réalité que fantasmatique. »
Ainsi ceux qui n’ânonnent pas la doxa eurocratique (en gros, le système Monnet : c’est parce qu’il n’y a jamais assez d’Europe qu’il faut en remettre une couche fédérale … et demain ça ira mieux !) sont au mieux des économistes aveuglés, au pire des imbéciles.
A quand la réification des adversaires, comme au "bon vieux temps" ?
Si on veut débattre pour que le peuple puisse décider en connaissance de causes, il ne sert à rien d’être désobligeant. Si la politesse n’est pas une vertu, elle est la condition pour que celles-ci apparaissent.
Alexandre Anizy
(1) : lire le livre La faute de M. Monnet de Jean-Pierre Chevènement
(2) lire notre billet du 4 mars 2012
(3) lire notre billet où il est question de l’économie communiste de marché
http://www.alexandreanizy.com/article-16224090.html