Divergences avec Frédéric Lordon
Dans l'entretien de Frédéric Lordon, qui vient en complément du travail de l'équipe réunie par Thomas Morel et François Ruffin pour défendre l'idée de la banqueroute (Vive la banqueroute ! Fakir éditions, 2013, 134 pages, 6 €), nous relevons deux divergences dans un cadre théorique hétérodoxe.
Le chaos financier dû à un défaut de paiement ou une banqueroute (1) :
« Ce sont les institutions financières (...) qui prendraient le choc en pleine poire et là ce serait terrible. Nous nous offririons une crise financière qui ferait de l'épisode Lehman Brothers un aimable pique-nique. Il faut le savoir. Ça n'est pas un point qu'on peut celer. Mais il faut le savoir pour s'en servir. (...) [le système financier en déroute, c'est] une occasion unique à saisir. (...) on le ramasse à la pelle et au petit balai. » (p.119) [l'Etat saisit purement et simplement des banques en ruine ; disons pour 1 € symbolique]
Agir autrement pour un "homme politique responsable" soulignerait d'une part son allégeance aux grandes fortunes en déconfiture.
Nous disons d'autre part que, si la volonté du peuple s'exprime sans hésitation pour une renaissance de la patrie par le retour en force de l'Etat social, avant l'explosion de la bulle obligataire mondiale bien évidemment, nous préconisons la prise de contrôle immédiate d'une banque systémique (par réquisition) afin de tenir en respect le système financier le plus longtemps possible, s'octroyant un répit utile pour prendre les mesures nécessaires au changement d'orientation économique et politique.
Il faut être proactif, plutôt que réactif comme le paraît Lordon.
La pseudo élite fait bloc mais son hégémonie culturelle a vacillé
« Les oligarques socialistes sont maintenant intellectuellement si convaincus de la justesse du mode de pensée néolibéral qu'ils en deviennent incapables de penser quoi que ce soit d'autre (...) le patron qui licencie, il est courageux, c'est du courage de licencier. Eh bien de même, Hollande est courageux, il est "responsable" d'imposer l'austérité à la population française. » (p.132)
C'est leur logique, et pour eux le reste n'est que balivernes. Voire pire :
« La folie, c'est le truc qui revient en permanence dans leur langage. Faire défaut sur la dette, c'est folie. User de l'inflation, c'est de la folie, contrôler les capitaux, nationaliser tout ça, c'est de la folie - ou de "l'archaïsme". » (idem)
Frédéric Lordon a perçu les signes d'une séquence sacrificielle, où les saigneurs sont "courageux" et les victimes un paramètre négligeable. Pour lui, c'est « une époque intellectuellement déréglée, et que le travail de rectification à opérer est immense » (p.134) En lisant Lordon, on a l'impression que la renaissance de la patrie viendra d'abord du travail des intellectuels... Nous croyons quant à nous que le dérèglement étant général, c'est le peuple souverain qui se chargera de la rectification, car ce qui s'est passé en 2005 avec le référendum montre bien sa compréhension intime des enjeux économiques et sociaux.
Alexandre Anizy
(1) Disons "défaut de paiement" pour le public, puisqu'un Etat ne fait jamais faillite, et banqueroute pour le privé.