L'abandon de la Sécurité nationale
François Heisbourg, coauteur du Livre blanc 2013 de la Défense, le dit clairement : « L'européanisation de notre défense est un objectif »,
parce que la réelle nouveauté,
« c'est le pivot américain. Les États-Unis interviennent désormais en deuxième rideau en Europe et en Méditerranée. On l'a vu récemment en Libye et au Mali (...) ». (in Libération du 30 avril 2013)
Autrement dit, les États-Unis sous-traitent la fonction de police régionale, dans le cadre de l'OTAN de préférence, puisqu'ils situent l'enjeu central dans la zone Asie-PAcifique (¹). Mais rien ne peut se faire sans eux, puisque la France a perdu son « autonomie stratégique (capacité de ravitaillement en vol, transport stratégique, renseignement). [La France] ne peut plus mener d'opérations que les États-Unis n'approuveraient pas. » (Vincent Desportes, ancien directeur de l’École de Guerre, in Libération du 29 avril 2013)
Acceptant ce rôle de second couteau, les experts en tirent les conséquences pour formater les Armées en fonction d'une restriction budgétaire envisagée de 2 % par an : diminution de 50 avions de combat, baisse de 25 % des bateaux de surface, réduction de 24.000 hommes. Ces choix seront faits parce qu'on refuse de repenser la dissuasion nucléaire, et parce que la question de la modernisation de cette force ne se posera que pour la loi de programmation 2020-2025... De toute évidence, l'ardente obligation de prévoir et d'anticiper n'était pas à l'ordre du jour des réunions des experts, et l'approche comptable prévalait (²).
Disons-le franchement : ce Livre blanc 2013 n'est pas à la hauteur des véritables enjeux. Pire : il ignore l'état pitoyable de l'armée.
« Mais regardez les équipements avec lesquels on s'est battu au Mali : près de 90 % d'entre eux étaient utilisés en 1991 dans l'opération Daguet [1ère guerre du Golfe], et ils avaient déjà 20 ans ! » (Vincent Desportes, idem)
Parce que la question de la force nucléaire est tabou, comme le dit le général Desportes, et que les politiciens ne sont plus que des comptables bornés, on ne remédiera pas aux problèmes de la vétusté et de l'obsolescence de l'équipement des armées.
De la débandade de 1940, Marc Bloch témoignait dans L'étrange défaite (poche Folio, novembre 2012) : « Beaucoup d'erreurs diverses, dont les effets s'accumulèrent, ont mené nos armées au désastre. Une grande carence, cependant, les domine toutes. Nos chefs ou ceux qui agissaient en leur nom n'ont pas su penser cette guerre. » (p.66) On dirait que l'Histoire se répète.
Nous avons d'ores et déjà une armée dépendante.
Avec des Livres blancs de cet acabit et des politiciens habités par des rêveries d'Europe, nous aurons une armée de figuration dans 30 ans.
Alexandre Anizy
(Nos livrels sont en exclusivité sur Amazon)
(¹) : lire Gérard Chaliand, Vers le nouvel ordre mondial, Seuil, avril 2013
(²) : rions un peu des domestic spirits comme celui de Christine Kerdellant (une Hec dileuse de perles) : « Le Livre a un gros défaut : il sanctuarise le nucléaire (alors qu'on peut économiser en ce domaine comme ailleurs, en réduisant le nombre de têtes nucléaires par exemple) (…). » (Express du 15 mai 2013) Le simplisme comptable pilotant la réflexion stratégique … Pauvre France !
Nous avons déjà épinglé en août 2009 cette journaliste pro business : lire la note
http://www.alexandreanizy.com/article-35147547.html
Remarquez, on peut trouver une utilité aux chroniques de la dame Express : en les lisant, on a un condensé de la pensée unique des imbéciles qui se voient en élite.
Annexe 1
Clouons le bec à Pierre Lellouche qui a déclaré : « Ce livre blanc contribue au déclassement de la France » (in Figaro du 30 avril 2013). Quand on est un farouche atlantiste, un ami des néoconservateurs américains Paul Wolfowitz, Richard Perle, Condoleeza Rice, quand on fut le président de l'assemblée parlementaire de l'OTAN, il est indécent de parler du déclassement de la France puisqu'on y a contribué.
Annexe 2
Xavier Bertrand (député maire UMP), pour qui la dissuasion nucléaire est de toute évidence tabou, voit dans la future loi de programmation (issue du Livre blanc et du débat parlementaire à venir) un « désengagement du gouvernement à soutenir nos fleurons industriels (…) la survie du tissu industriel et des emplois associés n'est pas garantie. » (in Figaro du 30 avril 2013, le journal de la famille Dassault – industriel militaire notoire). Puisque ce franc mac n'est pas connu pour être un expert des questions militaires, et si on écarte une action de lobbying, pourquoi cet article amassant les idées reçues ?