La Grande Purge selon Philippe Dessertine

Publié le par Alexandre Anizy

Le professeur Philippe Dessertine, qui ne parle pas l'econo-globish, ce qui est déjà une qualité, exprime souvent son analyse avec sincérité, c'est à dire sans fioriture (sans tabou, dirait un causeur …). S'il faut le ranger dans le camp des hystériques des déficits, auquel nous nous opposons bien évidemment, son dernier article paru dans le Figaro du 22 février a le mérite d'exposer clairement une analyse économique de la situation.


« L'affaire de la Grèce donne raison à cette assertion [« en fait, rien n'a changé »], au-delà de toute espérance. » : avant 2007, une politique monétaire visant à préserver le principe d'une croissance « sacrée autant que mortifère » ; après septembre 2008, un sauvetage sans contrepartie du système bancaire par l'ouverture des robinets financiers des États.

« A une différence près, infime : cette fois, les débiteurs insolvables ne sont plus les acteurs privés, mais les États, tous autant qu'ils sont, chargés de leurs propres déficits et, léger détail sans importance, de toutes les dettes pourries du système financier. »

[Le point fondamental qui nous oppose à Philippe Dessertine est le suivant : en vertu de quels principes, de quelles règles, peut-il affirmer que les États sont des « débiteurs insolvables » ?]

Pour mémoire : (re)lire notre note « l'hystérie des déficits » http://www.alexandreanizy.com/article-l-hysterie-des-deficits-44697700.html

Présentons ici un calcul approximatif et imparfait, mais édifiant, de Thomas Piketty. Entre septembre et décembre 2008, la FED et la BCE ont créé près de 2.000 milliards d'euros d'argent nouveau, qu'elles ont prêté aux banques à un taux d'environ 1 % pour des durées de 3 à 6 mois qu'elles ont renouvelées en gros toute l'année 2009. Estimons qu'avec ces 2.000 milliards, les banques ont prêté quant à elles à des taux de l'ordre de 5 %, ou bien qu'elles ont remboursé des dettes ayant un taux du même ordre : « la marge réalisée serait alors de 80 milliards (4 % de 2.000), soit l'équivalent de 80 % des profits réalisés par les banques. »


La spirale infernale va reprendre, nous dit Philippe Dessertine, mais cette fois-ci la prochaine « embardée sera irrécupérable ». Pourquoi ? Parce que le modèle économique de l'Occident a « quelque chose de pourri » : consommation effrénée, primes à la casse pour sauver le secteur automobile, grands équipements financés par de nouvelles largesses publiques …

Goldman Sachs, « la plus belle des banques d'affaires est à nouveau aux premières loges pour se délecter du naufrage », comme dans le cas de la Grèce : début 2000, la banque américaine offrait au gouvernement grec des produits de camouflage pour leur dette souveraine ; en 2010, elle refinance cette dette au prix fort, et en même temps elle spécule sur le risque de défaut de paiement de la Grèce …

A ce propos, qu'est-ce qui a mis en branle la crise grecque ? Selon Thomas Piketty, ce serait l'annonce par la BCE de l'euro imperator Jean-Claude Trichet qu'elle continue à s'appuyer sur les agences de notation pour acheter des titres publics, alors que rien ne l'y oblige dans ses statuts !

On a bien en effet les mêmes acteurs, les mêmes bêtises dogmatiques, la même cupidité.


« La moralisation du capitalisme, la lutte contre les bonus et autres fariboles ne remplaceront jamais la vraie réforme de fond, celle de la consommation des pays les plus riches, vivant bien au-dessus de leurs moyens. La vérité est qu'il faudra bien se résoudre un jour ou l'autre à la douloureuse destruction massive de dettes (…). Pas un désendettement homéopathique (…), un vrai, un lourd, signifiant une terrible contraction de toutes les finances publiques, de la consommation, des retraites, des allocations, des salaires ; liste non exhaustives. »

Bref, pour Philippe Dessertine, il faudra passer au guichet pour payer l'addition ; plus on attendra, plus la saignée nécessaire sera douloureuse. Au jour d'aujourd'hui, il ne serait déjà plus possible d'épargner les plus faibles (individus et peuples) dans le prochain cataclysme.



Alexandre Anizy


N.B. : Pour nous, une autre sortie de crise est possible, loin de l'orthodoxie économique de Philippe Dessertine comme de la recommandation monétaire du néo keynésienn Olivier Blanchard (toujours en retard d'une crise ou d'une mesure appropriée … voir notre note http://www.alexandreanizy.com/article-un-econo-globish-dans-sa-misere-olivier-blanchard-45230349.html ) déjà mise en œuvre à son insu aux États-Unis :

« (…) depuis un an, la FED a imprimé 300 milliards de dollars pour acquérir des bons du Trésor, sans demander leur avis aux marchés. L'Europe devra elle aussi accepter qu'une inflation à 4 % ou 5 % est la moins mauvaise façon de se débarrasser de la dette. Faute de quoi les citoyens européens devront une fois de plus régler la note. » (Thomas Piketty, déjà cité)

Euthanasier le rentier, comme disait Keynes, mais aussi changer d'autres règles économiques : c'est un plus vaste chantier.