Edwin Le Héron : la préférence pour la liquidité des banques (I)
Le monde est intelligible parce qu’il est théorisé. Autrement dit, la théorie donne une représentation de son fonctionnement, qui est évidemment limitée par l’état des connaissances humaines. Si on prend le domaine économique, la crise actuelle a mis en évidence un phénomène particulier : le moment où le système bancaire allait s’effondrer parce que les banques ne se prêtaient plus entre elles. Pourquoi ? Voici une réponse du postkeynésien Edwin Le Héron.
Rappelons la position de cet économiste dès octobre 2008 : lire notre note http://www.alexandreanizy.com/article-23813704.html
« La préférence pour la liquidité des banques : une analyse postkeynésienne du comportement bancaire » est la contribution d’Edwin Le Héron au numéro des Cahiers lillois d’économie et de sociologie titré « Monnaie et taux d’intérêt en analyse keynésienne » (L’Harmattan, septembre 2002, 182 pages, 16 €). Compte tenu de la complexité du sujet, nous considérerons comme acquises certaines définitions et problématiques économiques, qui sont généralement l’affaire des spécialistes, postkeynésiens en particulier ici.
Au lecteur curieux de tirer le fil de la pelote des concepts !
« L’objectif de cet article est de montrer qu’une étude approfondie du comportement bancaire avec une offre de monnaie endogène dans le cadre d’une économie monétaire de production (EMP) est compatible avec le principe de la préférence pour la liquidité. Toutefois nous abandonnerons la solution proposée par la Théorie Générale, en généralisant ce principe aux banques, suivant les perspectives des articles de Keynes de 1937. » (Edwin Le Héron (ELH), p.97)
Offre de monnaie et préférence pour la liquidité dans le keynésianisme
Dans la Théorie Générale, le traitement ambigu de l’offre de monnaie pose 4 problèmes.
- Hypothèse d’une offre de monnaie exogène constante à court terme
Cette hypothèse est contraire au cadre de l’économie monétaire de production (EMP), « où la monnaie est endogène, entrant dans l’économie par le financement de la production déterminée par la demande effective des entreprises. » (ELH, p.98)
Avec cette hypothèse, si le stock de monnaie est insuffisant pour financer la demande effective, il y a une explication purement monétaire au chômage, ce que Keynes veut éviter.
- Le taux d’intérêt
« En effet, des 3 équilibres impliquant le taux d’intérêt dans la Théorie Générale, 2 renvoient ex post aux ménages (égalisation des différents taux d’intérêt spécifiques dans le cadre d’une théorie du placement [chapitre 17 de la T.G.], et taux d’intérêt comme prix de la monnaie avec comme variable déterminante la demande de spéculation). Mais le 3ème équilibre renvoie ex ante aux entreprises avec l’égalisation de l’efficacité marginale du capital et du taux d’intérêt pour la détermination du niveau d’investissement. » (ELH, p.99)
Ainsi dans la Théorie Générale, la théorie de la demande effective, centrale selon Keynes, exige 1 taux d’intérêt ex ante et 1 offre de monnaie endogène, avec des banques à l’influence marginale, réduite à 1 offre monétaire exogène dépendant de la politique des autorités monétaires.
- Le concept d’autorités monétaires
C’est un deus ex machina, puisqu’il doit résoudre tous les problèmes de création et de régulation monétaires : « C’est réduire l’action des banques à la seule banque centrale. » (ELH, p.99)
- La monnaie est une institution fragile
« Keynes affirme la liquidité de la monnaie plus qu’il ne la justifie. Il se contente de lui conférer 3 propriétés. Selon nous, elles ne sont pas intrinsèques à la monnaie, mais constituent plutôt 3 conditions à respecter, ce qui nous oblige à nouveau à replacer les banques au centre de l’analyse (…) » (ELH, p.99)
A peine un an après la parution de la Théorie Générale, Keynes veut en corriger les faiblesses, notamment en résolvant la contradiction d’une offre de monnaie exogène dans le cadre d’une économie à monnaie endogène. Pour cela, il dit implicitement avoir raisonné en 2 étapes dans son livre majeur.
« Ex ante, la demande de monnaie, qui est uniquement une demande de monnaie active, se détermine selon la demande effective (besoin de monnaie d’entreprise) et un taux d’intérêt donné (celui de la période précédente) et l’offre s’y adapte. Offre et demande de monnaie sont endogènes (flux) et le taux d’intérêt est exogène. Puis, ex post l’offre de monnaie est considérée comme constante et la demande varie selon le motif de spéculation (monnaie inactive – stock). Cette fois, demande de monnaie et taux d’intérêt sont endogènes, fruits de la préférence pour la liquidité des ménages, et l’offre est exogène. » (ELH, p.100)
(A suivre)
Alexandre Anizy