Le 14 de Jean Echenoz
Dans sa dernière production, 14(éditions de Minuit, 2012, livrel de 123 pages), Jean Echenoz survole la Grande Guerre, i.e. "la boucherie". Est-ce bien raisonnable ? Il a composé une œuvre rabougrie qui ressemble à la séquence d'un surfeur : petits efforts pour atteindre et attendre le moment où on s'ébroue pour prendre la vague, et pénétrer dans un tunnel mortifère que le personnage quittera pour se libérer dans le sexe de sa femme.
Force est de constater que nous n'avons ni décroché, ni bu la tasse.
Si nous sommes admiratifs devant le dépouillement architectonique, la capacité à réduire les choses en une expression simple et explicite (nous pensons aux scènes de tranchée), la question du style reste problématique, non pas que nous ignorons les efforts de raffinement lexical, mais dans ce long travelling le rythme boitille quand il faudrait glisser.
« Là – ronflement rauque du couteau à pain sur la croûte, tintement de petites cuillers dans les effluves de chicorée -, ses parents achèvent leur petit déjeuner : peu d'échanges perceptibles entre Eugène et Maryvonne Borne : grondeuses déglutitions du directeur d'usine, exhalaisons mélancoliques de l'épouse du directeur d'usine. » (p.21-22)
Nous observons que le terme ronflementest inapproprié [dans sa quête de préciosité, l'auteur ne nous épargnera pas les adverbes saugrenus comme mêmementou bien mauvaisement, que la teigne Beigbedera également relevé ¹], que la répétition de l'adjectif petitsigne un relâchement dans le vocabulaire, que l'abus des deux-points ne trouve pas grâce à nos yeux, que la répétition voulue de directeur d'usineparaît insignifiante tout en contribuant à la claudication générale que nous avons soulignée.
En refermant le livre, nous nous sommes interrogés : un auteur endormi a-t-il émergé depuis Lac ? (lire la note du 7 août 2008) On en doute : la qualité inégale de l'écriture ne parvient pas à contrecarrer la vacuité des propos de l'écrivain Echenoz.
Alexandre Anizy
(¹) : chronique du zigoto dans le Figaro Magazine du 9 novembre 2012, où nous avons ri en lisant que « 124 pages pour 2 millions de morts : ce n'est pas un roman, c'est une compression de César ».