Lire L'Etat social ... de Christophe Ramaux
Ceux qui s'interrogent sur la sortie du chaos néolibéral (¹) qui pourrait aboutir à l'éclatement de l'Union Européenne dans les pires conditions, puisque rien ne serait organisé (²), vont trouver dans L’ État socialde Christophe Ramaux(Mille et une nuits, mars 2012, livrel de 412 pages) de quoi alimenter leurs réflexions. En effet, dans cet ouvrage dense, l'auteur dresse un panorama de la question, qu'il introduit par quelques constats factuels et théoriques.
D'abord celui-ci : « Le néolibéralisme a implosé en plein vol par là où il avait été poussé le plus loin, le secteur de la finance. » (p.7-8) ;
complété par celui-là :
« A l'heure où ces lignes sont écrites, les néolibéraux réalisent un véritable tour de force : alors que la crise est clairement celle de leur modèle, ils prennent prétexte de l'une de ses conséquences, la hausse des dettes publiques, pour ancrer plus profondément encore leur modèle défaillant. » (p.7).
Le hold-up en cours opéré par les classes dirigeantes est possible, parce que le néolibéralisme a profité de sa victoire idéologique pour rejeter toujours plus à la marge du système ceux qui pouvaient le gêner.
Donnons un exemple : à l'Université, cela fait plus de 10 ans qu'il n'y a pas eu de nomination d'un professeur d'économie issu du camp hétérodoxe, notamment postkeynésien. (NdAA)
De ce fait, mais pas seulement, il s'avère qu'aucune alternative cohérente ne s'oppose à la théorie dominante. Ce défaut d'une nouvelle Théorie Généralehypothèque les chances d'un changement salutaire de l'ordre économique et social.
Or, soutient Christophe Ramaux, cette alternative « est à portée de main, déjà sous nos yeux et nos vies quotidiennes : elle consiste dans l’État social et son fondement politique qu'est la démocratie ». (p.7-8)
De l’État social, retenons « une définition large, autour de 4 piliers : la protection sociale, mais aussi la réglementation des rapports de travail (droit du travail, négociation collective, etc.), les services publics et les politiques économiques (budgétaire, monétaire, commerciale, des revenus, etc.) de soutien à l'activité et à l'emploi. » (p.8-9)
Force est de constater que nous sommes face à un paradoxe : alors que les classes possédantes et dirigeantes disposent de justifications scientifiques pour l'extension du Marché(ce concept fantasmé au XIXe siècle) avec la théorie économique dominante (libéralisme plus ou moins teinté d’institutionnalisme), l'opposition réformiste use trop faiblement et souvent séparément des outils de l’État social parce que celui-ci n'a pas de support : « il est notre véritable révolution, mais nous ne disposons toujours pas de sa théorie. » (p.9-10)
Il est donc temps que s'y attellent des Transformateurs (³), parce qu'il s'agit bien d'amener le savoir de théories éparses et de réalisations diverses dans une matrice organique où puiseront des expériences diverses car locales.(ndAA)
L’État social est une révolution sous-estimée qui ne se résume pas à la protection sociale. Concernant celle-ci, la partition ternaire du danois Gosta Esping-Anderson (in les 3 mondes de l’État-providence) est pertinente, même si elle n'est pas exempte de critique. Nous avons 3 modèles : le libéral (les prestations minimales financées par l'impôt sont réservées aux pauvres, les autres devant faire avec des entreprises privées), le social-démocrate (des prestations de bon niveau financées par l'impôt, et attribuées selon des critères de citoyenneté), le corporatiste (ceux qui cotisent sont assurés).
Remarque sur un élément de langage : dans la bouche des dirigeants et des possédants, comme de leurs scribes, il n'est pas anodin que l'expression charges sociales remplacent quasiment toujours cotisations sociales, puisqu'ils veulent bourrer les crânes de l'idée d'un fardeau, d'un surpoids à éliminer.
Or à ces cotisations sociales correspondent des prestations sociales, comme la monnaie est à la fois créance et dette. Quand ils parlent d'argent, les possédants et les dirigeants aiment le pouvoir d'achat, i.e. la face jouissive, et quand ils évoquent la protection sociale ils privilégient la face contraignante.
Socialement, les possédants et les dirigeants pensent en négatif. (NdAA)
Concernant les Services publics, C. Ramaux rappellent qu'ils sont productifs en termes de valeurs d'usage (utilité de l'enseignement, de la santé, etc.), mais aussi de valeurs monétaires (ils contribuent au PIB pour environ un tiers de la production des salariés des entreprises) : l’État social crée de la richesse qui s'ajoute à celle du secteur privé.
Selon la théorie dominante, il existerait un marché du travail où « se confrontent une offre et une demande autour d'un prix en l'occurrence le salaire réel ». Plus le salaire augmente, plus la demande de travail par les entreprises baisse. Par conséquent, disent les libéraux et les membres de l'eurocratie, le chômage est causé par un coût du travail trop élevé...
Quand la simplicité conceptuelle vire à la bêtise factuelle !(ndAA)
Pour les keynésiens, d'un point de vue macroéconomique, le marché du travail n'existe pas. Le volume de l'emploi global dépend du niveau de l'activité économique, qui est tributaire des politiques économiques mises en œuvre (à savoir celle des Revenus, celles du Budget et du Fisc, celles de la Monnaie et du Change, celles du Commerce et de l'Industrie, etc.)
Qu'est-ce que l’État social ?
L’État social est porteur d'une révolution : le déploiement d'une économie avec du marché et de l'intervention publique.
A proprement parler, il n'existe pas d'économie libérale de marché.
Aux USA, la Social Security Card (1935) est pour tous, avec notamment la retraite publique (plus de 95 % des travailleurs) financée entièrement par cotisation sociale (et non par l'impôt) dans une caisse unique (en France, plusieurs caisses), fonctionnant par répartition.
De même : « Le plein emploi, on le sous-estime souvent de ce côté-ci de l'Atlantique, est au cœur du contrat social américain. » (p.36) Si les Américains acceptent moins de droit du travail, ils exigent des politiciens plus d'actions sur le budget, la monnaie, les barrières douanières dissimulées, etc. Au bout du compte, la durée d'indemnisation d'un chômeur américain est de 99 semaines, soit plus que dans certains pays d'Europe !
Or, au jour d'aujourd'hui en Union Européenne, le concept de flexicurité est le cœur de la stratégie de l'eurocratie : ses monstruosités perceptibles immédiates sont le retour du plombier polonais sur le marché français aux conditions polonaises ; les soi-disant effets positifs n'en sont encore qu'au stade de la promesse, comme d'habitude avec le projet néolibéral européen.
Comme pour l'emploi, les pays nordiques sont souvent cités en exemple pour leur gestion de la dette publique, pour ne retenir qu'une partie de leurs politiques globales … dont on fait une doctrine aberrante quand elle est appliquée en solo : l'austérité budgétaire est l'alpha et l'oméga de la politique économique pour baisser la dette publique.
Dans cette affaire, les fripouilles intellectuelles ont encore frappé, puisqu'elles ne disent pas que leurs exemples historiques (Danemark, Finlande, Suède, Irlande, Canada) avaient tous aussi baissé le taux d'intérêt et dévalué massivement !
Remarque sur les éléments de langage : « Accepter l'économie de marché revient à penser le fonctionnement de l'économie comme étant d'abord une somme de relations interindividuelles d'échange. » (p.41)
Or, en 2008, comme s'il en était encore besoin, le Parti Socialiste français a signé sa capitulation en adoptant une Déclaration de Principes : ils se prétendent partisans d'une économie sociale et écologique de marché, qui pose donc clairement le principe d'une économie de marché (les adjectifs servent exclusivement et sans modération sur les estrades électorales et les plateaux de médias. NdAA).
Actualité de l’État social
Jusqu'en 2007, il est faux de dire que l’État social aurait régressé, puisque la protection sociale mesurée par un indicateur de l'OCDE (les dépenses sociales publiques) ont augmenté de 4 points (de 17 à 21 % du PIB) entre 1980 et cette année-là.
Ajoutons que le salaire minimum est créé au Royaume-Uni en 1999 et en Irlande en 2000 … alors qu'il existe depuis 1938 aux USA !
Concernant l'emploi public, « aucune tendance générale à la baisse n'est donc repérable. Ce qui ressort bien davantage, c'est la variété des formes de socialisation. » (p.72)
Par contre, la taille du secteur public a indéniablement baissé : il faut souligner la forte contribution du gouvernement social-démocrate de Lionel Jospin.
La crise de 2007 a permis aux néolibéraux de poursuivre le travail de sape des piliers de l’État social : sous couvert de lutte contre l'endettement public, on détruit des emplois publics créateurs de valeurs, on poursuit la braderie des entreprises publiques, on s'interdit par la loi, voire la Constitution, des moyens de politique économique, on accentue toujours plus la dépendance des États à l'égard des marchés financiers.
La finance libéralisée n'est pas tombée du ciel, mais promue dans les écoles de commerce et les universités (soulignons ici la réputation mondiale de l'école française de mathématiques financières : de par ses effets nocifs, elle vaut bien celle du funeste savoir-faire de l'armée après la fin de la guerre d'Algérie – des hommes d'Amérique Latine en gardent les plaies) : « Alors que le dividende est considéré dans n'importe quel manuel d'économie ou de gestion comme le revenu résiduel, l'actionnaire devant supporter le risque des affaires, c'est tout l'inverse qui a été promu. » (p.115)
Il n'est pas question ici de nier l'apport de la finance à la bonne marche normale de l'économie : « La finance a son utilité [rendre liquide ce qui ne l'est pas. Ndaa], mais les logiques spéculatives lui sont consubstantielles. » (p.119) Seuls les aveugles ou les profiteurs contestent aujourd'hui le fait que la spéculation fait la loi sur les marchés.
Les banques font beaucoup plus : elles créent la monnaie ex nihilo. Mais de loi en loi, de traité en traité, l’État social a perdu son pouvoir de création, de contrôle et d'orientation monétaire. Or « La monnaie n'est pas un simple intermédiaire des échanges, elle est première. » (p.119) C'est « un lien social fondamental, au cœur de l'ordre social » (idem)
Le système néolibéral dominant est bigrement cohérent : libre échange, financiarisation de l'économie, austérité salariale, contre-révolution fiscale, tels sont les grands leviers par lesquels il s'est imposé. En conséquence, « Revenir sur ce régime ne pourra, pour le coup, se faire sans remettre en cause le libre échange, ce qui pose la question, encore tabou, du protectionnisme. » (p.126)
Les néo-keynésiens, les régulationnistes, et l’État social-libéral
Dans une 3ème partie fort intéressante, Christophe Ramaux fait le tour des grands courants de pensée économique, en particulier face à la question de l’État. Ici, nous viserons 2 courants.
Les néo-keynésiens ne désapprouvent pas l'intervention publique, c'est entendu, mais ils s'accordent avec les libéraux sur 3 points majeurs :
-
la concurrence parfaite est l'idéal ;
-
l'existence d'imperfections sur les marchés (c'est ce qu'il faut résoudre) ;
-
des mesures appropriés pour se rapprocher des résultats théoriques obtenus dans le cadre de la concurrence parfaite.
Leur divergence avec les libéraux se résume pour l'essentiel en 2 points :
-
concernant les imperfections, les libéraux y voient surtout des causes exogènes (État, syndicats, etc.), quand les néo-keynésiens visent des causes endogènes, comme par exemple le coût excessif du travail dû à une imperfection du marché du travail (mauvaises informations des entreprises sur la véritable qualité des employés, etc.) ;
-
par souci d'équité voire de justice sociale (disons la charité, ndaa), il ne faut pas supprimer les imperfections créées par des structures exogènes que sont les salaires minima, les allocations chômage.
En fait, la différence entre libéraux et néo-keynésiens repose sur les mesures à mettre en œuvre pour s'approcher de l'idéal, i.e. la concurrence parfaite. « On l'a dit, l'intervention de l’État préconisée par les néo-keynésiens n'est pas n'importe laquelle : l'objectif qui lui est assigné est de réaliser le programme du marché. L’État social étant en quelque sorte en permanence invité à se transmuer en État social-libéral. » (p.150-151)
Donnons concrètement une mesure appropriée de correction des imperfections : « (…) celle des "marchés de droits à polluer", lesquels sont une illustration saisissante de la façon proprement marchande de concevoir l'intervention publique : la reconnaissance d'imperfections sur les marchés, loin de réduire la sphère de ceux-ci, conduit, en l'occurrence, à préconiser la création ex nihilo , par l’État, d'un nouveau marché pour y faire face, un marché des imperfections en quelque sorte. » (p.152)
Cette nouveautétend à démontrer 2 choses : statistiquement, l'imbécillité est équitablement répartie dans la population ; le ridicule ne tue plus. (ndaa)
Un mot tout de même sur l'aperçu des marxistes modernes, puisque Christophe Ramaux remet en scène à juste titre Nicos Poulantzas qui, dans les années 1970, a étrillé les thèses rigides de Louis Althusser fort à la mode dans les années 60 chez les jeunes maoïstes qui deviendront des nouveaux philosophes... Pour faire simple, disons que Poulantzas a vu la lutte des classes dans l’État, qui n'est donc pas « la superstructure simple appendice de la base » (cité par p.156). Malheureusement, dans son dernier livre, Poulantzas verrouille son analyse du capitalisme en revenant au triptyque marxiste (rapports de production – lutte des classes – domination de la classe bourgeoise). Notons qu'il avait aussi évoqué l'avènement d'un « étatisme autoritaire », ce que d'aucuns nomment aujourd'hui l'économie communiste de marché.
Christophe Ramaux a non seulement mille fois raison quand il écrit qu'il faut sortir de Marx pour penser l’État social, mais quand il affirme que « (…) le marxisme permet de penser le capitalisme, mais ne permet pas de penser (…) les 2 principaux leviers de l'émancipation, qui permettent justement de sortir des apories de ce système, l’État social et la démocratie. » (p.160-161)
Raison également lorsqu'il dit que le prolongement de Keynes permet de penser l’État social : « J'introduis l’État : j'abandonne le laissez-faire. », disait-il ; l'intérêt général ne peut être assumé que par l’État ; il n'existe pas de marché du travail ; le niveau de l'emploi dépend en premier lieu du niveau de la production qui dépend de la Demande anticipée des entreprises ; etc. « Le fonctionnement global de l'économie relève bien plutôt d'une logique de circuit (...) » (p.163)
Pour penser l’État social, il faut « prolonger, systématiser la pensée keynésienne » (p.168-169), et nous ajoutons "oser Keynes au-delà du capitalisme".
Malheureusement même les keynésiens continuent à penser l'économie comme une économie capitaliste, ce qui nous semble en contradiction avec l'idée de l'économie monétaire de production fondée essentiellement sur le crédit.
Les régulationnistes appréhendent l’État « comme un produit des rapports de force entre classes, qu'il contribue en retour – on retrouve ici les thèses de Nicos Poulantzas – à réguler (...) » (p.171) Leur vision systématique de l’État social contient 2 limites : la première est l'assimilation de l’État social au fordisme, alors même que le régime fordien d'organisation du travail est entré en crise (avant 1975) – les tentatives de Robert Boyer au mitan des années 80 pour modéliser de nouvelles formes d'organisation du travail resteront sans dispute -, et que des modes opératoires associés au mal nommé fordisme ont perduré quasiment jusqu'à ce jour ; la seconde est la réduction de l’État social à un simple soutien à l'accumulation du capital.
Il n'est donc pas étonnant de voir 2 cadors régulationnistes (Michel Aglietta et Robert Boyer) s'arranger de, voire soutenir, la flexicurité des néolibéraux.
Un passé porteur d'avenir
« Si la vision de l'Etat-objet au service du capital doit être rejetée, celle de l'Etat-sujet bienfaiteur doit l'être tout autant. (…) surtout parce qu'il n'est pas un sujet totalement autonome, en suspens au-dessus de la société. » (p.223-224) Comme disait Poulantzas, « l’État n'est pas un bloc monolithique », mais « un champ et un processus stratégique où s'entrecroisent des nœuds et des réseaux de pouvoir » (cité p.224-225)
C'est pourquoi Christophe Ramaux discute des analyses théoriques, notamment celle de Pierre Bourdieu concernant l’État, mais aussi de l'intérêt général, de l'intérêt souverain selon Frédéric Lordon, de la citoyenneté selon Thomas H. Marshall, et s'oppose au chantre de la société civile Pierre Rosenvallon qui n'est in fine qu'antisocial et anti-démocrate.
Une 4ème partie fort intéressante, qui mériterait à elle seule une longue note.
Mondialisation et Europe : le glas des chimères (chapitre 10)
« Son fondement politique [l’État social, ndAA] est la démocratie et plus précisément son volet républicain qui pose le suffrage universel au cœur de l'organisation de la cité. » (p.312) Mais il reste encore de la consistance à donner à la norme de l'égalité absolue (1 personne = 1 voix) instituée par ce suffrage.
« La démocratie a trouvé le terreau institutionnel sans lequel elle ne peut exister au sein des États-nations. (…) De même que les républiques sont nationales, l’État social est, pour l'essentiel, un État social national. » (p.312)
La contre-offensive du capital contre l’État social s'est appuyée sur un levier puissant : la remise en cause des États-nations par la mondialisation. Ce faisant, elle vise aussi son fondement politique, i.e. la démocratie : « Le néolibéralisme a une dimension dirigiste, illibérale : il ne joue pas uniquement contre le volet républicain de la démocratie, mais aussi contre son volet proprement libéral, celui des libertés. » (p.313)
L’Europe s'est construite sous les auspices du néolibéralisme radical. En prendre la parfaite mesure, c'est lever le tabou du protectionnisme et prôner une conception progressiste de la nation.
Voilà sans doute le point de friction théorique de Christophe Ramaux avec l’internationalisme de Jean-Luc Mélenchon. (Rappelons que C. Ramaux a quitté le "Conseil économique" du candidat Mélenchon à la fin de 2011)
« L’Europe sociale est une véritable Arlésienne [Ah ! Les pleurnicheries récurrentes du social-traître Jacques Delors. NdAA]. Pire, lorsque l'Union prétend s'y atteler elle la transforme en cheval de Troie du néolibéralisme. » (p.322)
Démondialisation plutôt qu'altermondialisation, dit C. Ramaux.
Pour nous, ni l'un ni l'autre, parce que l'économique se joue au niveau planétaire. N'en a-t-il pas été toujours ainsi ? (Cf. Fernand Braudel) Nous préférons le terme Transformation. NdAA.
Comme le dit Frédéric Lordon, la question de la souveraineté est au cœur du débat : « Quoi qu'on en pense, la solution de la reconstitution nationale de souveraineté impose son évidence parce qu'elle a sur toutes les autres l'immense mérite pratique d'être là. » (cité p.340-341)
Le problème chez Lordon, c'est sa préférence pour la constitution d'une nouvelle nation regroupant une partie de l'Europe méditerranéenne, avec le Portugal et éventuellement le Royaume-Uni !
Chez certains, le trait de génie côtoie la fumisterie. (ndAA)
Crise du modèle néolibéral
« Le catastrophisme est une arme privilégiée du néolibéralisme. » (p.351)
Partout dans le Monde, et particulièrement en Europe, les experts économiques et les politiciens crient haro sur la dette publique ! A les croire, elle est la cause de tous les maux, y compris de la crise de 2007.
Avec Ramaux, faisons un peu d'économie, sérieusement.
Cela vous changera des élucubrations du Cercle des Econocuistres !(les Pastré, Lorenzi, Cohen, etc.) (ndAA)
1er argument : le poids réel de la dette publique
En 2010, la dette publique française s'élève à 1.600 Mds €, soit 82,3 % du PIB. Rappelons qu'elle s'élève à 100 % aux USA et à 220 % au Japon.
Mais « mettre en rapport un stock de dettes avec un flux annuel de production n'a en fait guère de sens », bien des financiers vous le diront.
En fait, le véritable poids de la dette publique française est l'intérêt payé pour le capital emprunté, soit 48 Mds € en 2010, soit 2,5 % du PIB. Ce poids dépend du stock de dettes et du taux d'intérêt, et aussi précisément de l'écart entre le taux d'intérêt de la dette et le taux de croissance de l'économie.
2ème argument : les générations futures ne paient pas la dette d'aujourd'hui
« Qui dit dette, dit créance. De ce fait, contrairement à ce qui est souvent dit, on ne lègue pas des dettes aux générations futures, on leur lègue aussi des créances pour un montant équivalent. » (p.353)
3ème argument : avec les actifs des administrations, le solde public est de 517 Mds €, soit un legs de 8.OOO € par personne
La dette brute matraquée par les catastrophistes ne prend pas en compte les actifs financiers et surtout non financiers (routes, écoles, etc.) des administrations. Avec eux, le solde constitue un legs de 517 Mds €, soit 8.000 € par personne.
Précision sur le patrimoine national et leçon importante d'économie
« (…) pour l'essentiel, ce sont des bâtiments et terrains (à 90 %), les machines comptant pour moins de 5 %. Le patrimoine financier, de son côté, y compte pour zéro. Les ménages détiennent certes des titres financiers, mais ceux-ci étant la contrepartie des dettes financières des entreprises et de l’État, cela s'annule finalement. » (p.353-354)
« On vérifie au passage une leçon économique d'importance : si le crédit permet de lancer des activités, ce qui est évidemment primordial, les titres financiers ne créent en eux-mêmes aucune richesse, ils représentent un droit de tirage sur la richesse monétaire produite par ailleurs. » (p.353-354)
Alors pourquoi les économistes patentés des médias (comme ceux du Cercle des Econocuistres) ergotent-ils sur la dette publique ?
Rappelons que c'est la dette privée qui provoqua la crise de 2007.
Parce que l'idéologie néolibérale dit que le secteur public est improductif et pèse sur le secteur privé.
Du point de vue keynésien comme celui de Ramaux, la question principale aujourd'hui est d'abord de sortir de la crise, ce qui suppose de rompre avec le modèle néolibéral qui s'appuie sur 4 volets : la finance libéralisée, le libre échange, l'austérité salariale, la contre-révolution fiscale.
Pour faire bref : il suffit d'en prendre le contre-pied.
Sortir de la crise de l'euro
Nous nous arrêterons ici à la question de l'euro, car dans l'Union Européenne elle commande tout.
Le problème de la zone euro n'est pas la dette publique mais les déséquilibres commerciaux internes. Qui dit déficit commercial dit forcément besoin de financement pour le payer, et inversement. « Jusqu'en 2008, c'est essentiellement par le truchement des créances et des dettes privées que ces transferts s'opéraient. Après la crise des dettes privées, la dette publique a pris le relais. On a là la racine réelle de la crise des dettes publiques. » (p.360-361)
« C'est essentiellement une crise de la balance des paiements. Une erreur majeure a été faite lors de la création de l'euro : celle de contrôler uniquement les déficits des comptes publics et absolument pas les comptes courants, en s'appuyant sur la doctrine libérale voulant que le secteur privé soit toujours équilibré par le marché. » (Luiz Carlos Bresser-Pereira, économiste brésilien, ancien Ministre des Finances, notamment en 1987 lorsque le Brésil restructura sa dette publique ; in Monde du 7 août 2012)
Quelle réponse proposent les experts et dirigeants européens ?
« La solution fédéraliste consistant à systématiser les transferts – sous la forme de dettes (avec l'émission de titres d'emprunts européens, les eurobonds, par exemple) ou sous la forme de subventions budgétaires – n'est pas viable. » (p.363-364)
En effet, les transferts massifs supposent une légitimité politique forte : les cas de la Belgique, de l'Italie, de l'Espagne, où il est déjà difficile de faire des transferts, démontrent l'irréalisme de cette solution au niveau de l'Union Européenne.
Pour faire passer ce poison, les dirigeants politiques sociaux-libéraux (ils le sont tous, en dernière analyse) affirment, comme le social-traître Jacques Delors qui pleurniche depuis presque 30 ans, qu'il faut accepter un peu de néolibéralisme pour ensuite s'attaquer à l'Europe sociale … Évidemment, c'est un leurre.
« (…) croire que l'on puisse durablement combiner une politique monétaire néolibérale et une politique budgétaire keynésienne est de toute façon un contresens théorique. » (p.364)
Le Traité que le président culbuto molletiste Hollandeveut faire voter à l'Assemblée (puisqu'il a obtenu l'ajout en annexe d'une page de dissertation emplie de promesses gratuites sur la croissance … un texte d'une valeur juridique quasi nulle, digne d'un programme électoral populiste ! - comme ils disent si souvent), et surtout pas par le peuple souverain, est le fruit d'un fédéralisme budgétaire néolibéral particulièrement autoritaire (nous sommes en route vers une économie communiste de marché. NdAA)
Puisque nous faisons crédit d'intelligence aux Hollande, Ayrault, Moscovici, etc., force est de conclure qu'ils trompent les Français. (NdAA)
Toutes choses égales par ailleurs, quelle peut être la solution ?
Il faudrait stopper la guerre économique qui sévit en Europe et qui a provoqué la désindustrialisation dans les pays du Sud de l'UE.
Il faudrait commencer par réduire les déséquilibres commerciaux. Pour cela, les pays excédentaires du Nord de l'UE devraient diminuer leurs exportations. « Et pour ce faire, il n'existe en vérité qu'une solution : la relance de leur consommation intérieure par une relance salariale (via des hausses de salaires directes et des salaires indirects sous forme de prestations sociales). » (p.364-365)
Autrement dit, pour l'Allemagne ce serait un virage à 180° par rapport à la politique économique menée sans discontinuité depuis le chancelier Gerhard Schröder. Si vous connaissez des politiciens français qui croient aux miracles et non pas aux rapports de force, imaginant Mutti Merkel et même les dirigeants sociaux-démocrates allemands capables de mettre en œuvre cette politique, alors nous vous conseillons de les renvoyer jouer dans les bacs à sable... (ndAA)
« L'Allemagne, qui n'a pourtant pas l'excuse d'être un pays émergent, fait donc pire que la Chine en termes de croissance tirée par les exportations. Et cela principalement au détriment de ses partenaires européens puisque les trois quarts de ses exportations leur sont destinés. » (p.360)
Christophe Ramaux énonce 3 scénarios d'éclatement de l'euro.
Par le haut : les 3 pays excédentaires (Allemagne, Hollande, Autriche) sortant de l'euro, leurs monnaies augmentent de suite, tandis que l'euro maintenu pour les autres leur évite la case douloureuse de la restructuration de leurs dettes.
Par le bas : en désordre et sous la pression des marchés, les sorties de l'euro de la Grèce, de l'Espagne, du Portugal, de l'Italie, les plongeraient dans une crise bancaire … avec une probable contagion.
Par un éclatement général organisé : le même jour (où tous les marchés sur Terre sont fermés), les 17 pays quittent l'euro et retrouvent leurs monnaies (avec dévaluation immédiate pour certaines ; avec mise en place de toutes les mesures techniques empêchant toutes tentatives de spéculation) ; c'est le retour aux monnaies domestiques arrimées à une monnaie commune qu'on appellera ECU ; d'un point de vue théorique, c'est la meilleure solution puisque l'idée européenneperdurerait concrètement.
« (…) la voie la plus sage est de mettre fin à l'euro d'une façon coordonnée et bien planifiée. (…) Si vous persistez à maintenir en vie l'euro, la probabilité de le voir s'effondrer de façon incontrôlée grossit de jour en jour. Ce qui ferait tomber ensuite toute la construction européenne. » (Luiz Carlos Bresser-Pereira, économiste brésilien, ancien Ministre des Finances, in Monde du 7 août 2012)
Malheureusement, cette sortie organisée est peu probable.
Pour Christophe Ramaux, la crise en zone euro masque la crise du modèle néolibéral. Sortir de la crise suppose donc d'avoir non seulement une alternative aux 4 volets du néolibéralisme (finance libéralisée, libre échange, austérité salariale, contre-révolution fiscale) mais aussi des gouvernements élus pour restaurer et étendre l’État social.
Pour comprendre la débâcle économique en cours, pour décrypter les véritables enjeux des futures péripéties eurocratiques, pour savoir qu'un autre projet politique et économique est possible, il faut lire L'État social de Christophe Ramaux, et le faire lire.
Alexandre Anizy
(1) : pour sortir du chaos néolibéral est le sous-titre du livre.
(2) : en écoutant un toujours catégorique Jean-Claude Juncker, dirigeant depuis environ 20 ans du Duché du Luxembourg – État paradisiaque, un des trous dorés de la finance mondiale– et membre quasi permanent des instances monétaires et financières internationales, déclarer le 7 août 2012 que la sortie de la Grèce de la zone euro « serait un processus gérable dans les conditions actuelles », alors qu'il affirmait le mois précédent que cela ne faisait pas partie de ses « hypothèses de travail », force est de constater que si ce sinistre individu, actuel président de l'Eurogroupe, ne maîtrise pas son sujet économique, il sait par contre prendre le vent … allemand de préférence.
(³) : aucune référence à Karl Polanyi et son livre la Grande Transformation,ouvrage surévalué et souvent cité, notamment dans les années 80 par l'école de la régulation (nous pensons à Michel Aglietta et Robert Boyer)