Montaigne pour Compagnon
Il faut remercier Antoine Compagnond'avoir réussi à rendre familier le sage Montaigne.Le public ne s'y est trompé, puisque le petit livre connaît actuellement le succès en librairie (Un été avec Montaigne, éditions des Equateurs – France Inter, avril 2013, 170 pages, 12 €).
On a tous en souvenir l'étude de quelques textes de Montaigne, estampillé figure incontournable de la littérature française que les programmes scolaires ont imposée, avec le profond ennui qui accompagna ces moments-là. Désormais, grâce au travail de Compagnon, il nous semble que la parole des professeurs est libérée. Ils pourront dépoussiérer la présentation du philosophe simple, à commencer par le style :
« Pour lui, les mots sont comme des vêtements qui ne doivent pas déformer le corps, mais le mouler, le laisser deviner (…). C'est encore une façon de refuser l'artifice, le maquillage. Non seulement Montaigne a choisi le français au lieu du latin, mais si un mot français lui manque, il n'hésite pas à recourir au patois, et il vante une manière d'écrire qui reste au plus près de la voix, "tel sur le papier qu'en la bouche". » (p.138) ;
parce que sur le fond, Montaigne sait que les mots l'expriment difficilement :
« A ses yeux, tous les troubles du monde – procès et guerres, litiges privés et publics – sont liés à des malentendus sur le sens des mots (...) » (p.30) ;
ce que le poète Paul Lacmain a condensé par :
« Les mots trahissent la pensée » (Oeuvres complètes, sur Amazon à 2,99€)
Il nous plaît de voir qu'Antoine Compagnon a souligné l'attitude de Montaigne dans l'art de la conversation :
« Il semble donc un parfait honnête homme, libéral, respectueux des idées, n'y mettant aucun amour-propre, ne cherchant pas à avoir le dernier mot. Bref, il ne conçoit pas la conversation comme un combat qu'il faudrait emporter. » (p.14)
Bien des comètes médiatiques devraient y songer.
Heureusement pour nous, ce fut par un bel été du temps passé, avant le gavage scolaire, que nous découvrîmes les Essais. Et plus tard, nous croyions avoir séparé le bon grain de l'ivraie, quand nous fîmes au lycée une critique virulente et maladroite du stoïcisme de Montaigne, parce qu'en cette année-là le sang coulait à Santiago... nous étions déjà indignés, à la manière d'Albert Camus.
Hic et nunc, Compagnon le passeur a su parler de la substantifique moelle qui irrigue les Essaisde Montaigne : savourez-le avant que d'oser vous régaler !
Alexandre Anizy