Régressions identitaires : Etienne Balibar et Emmanuel Todd

Publié le par Alexandre Anizy

 

Pour le philosophe Etienne Balibar, l'évolution néolibérale de l'Europe a deux conséquences notables.

« La première, c'est que la classe ouvrière (au sens large, oscillant entre le salariat et le précariat) … (…) … tend à identifier la défense de son statut (…) avec l'exclusion des migrants. (…) Comme si (…) la fétichisation de la forme nationale et la conversion de l'étranger en ennemi pouvaient conjurer la disparition du contenu social. » (dans Libération du 21 décembre 2009)

« Le deuxième phénomène est tout autre: c'est la confiscation de la politique en Europe par les gouvernements (…). (…) Cette confiscation s'explique par le fait que la classe politique et administrative qui se distribue entre les lieux du pouvoir postule toujours « l'ignorance du peuple » et n'a d'autre horizon que sa propre reproduction. » (idem)

La ratification du Traité de Lisbonne en Allemagne, en Hollande, en France, sans parler de l'Irlande, confirme cette analyse.


Etienne Balibar en arrive à cette proposition :

« L'effet combiné du désespoir des classes populaires (…) et de la stratégie auto-immunitaire des gouvernants, c'est qu'il n'y a plus de pouvoir « constituant », pas même vraiment de pouvoir « législatif » en Europe. Etatisme sans Etat (…). Mais c'est aussi que le discours nationaliste envahit tout (…). Mais ne nous y trompons pas, la xénophobie vise l'étranger en général. Elle vise la différence. » (ibidem)

Disons d'abord que la désignation des pantins Van Rompuy et baronne Ashton est un commencement de preuve quant à la pertinence de l'analyse.

(lire notre note http://www.alexandreanizy.com/article-la-tete-de-l-union-europeenne-40351675.html )

Disons enfin qu'en ce qui concerne la France, l'historien Emmanuel Todd analyse correctement le mécanisme de la régression identitaire :

« L'habileté du sarkozysme est de fonctionner sur deux pôles : d'un côté la haine, le ressentiment ; de l'autre la mise en scène d'actes en faveur du culte musulman ou les nominations de Rachida Dati ou Rama Yade (…). (…) dans tous les cas la thématique ethnique est utilisée pour faire oublier les thématiques de classe. » (dans le Monde du 27 décembre 2009)

Il nous semble intéressant de souligner ce point de convergence entre ces deux intellectuels.


Etienne Balibar en conclue logiquement que nous vivons « la fin de son utopie [le dépassement des nationalismes] ». Hormis « l'hypothèse communiste » qui résout tout d'un coup, comme il le souligne malicieusement, il n' y a point d'autres formulations d'ensemble. C'est « l'affaire d'une génération ».

« Surtout, il y faudrait des mots nouveaux, mieux articulés aux résistances et aux révoltes, comme aux aspirations générales de la société (…). »

En somme, la bataille idéologique ne fait que débuter.



Alexandre Anizy