Sortir de la méthode Pastré, noble banquier tunisien

Publié le par Alexandre Anizy

 

Professeur à Paris 8, Olivier Pastré affirme aujourd'hui dans Libération que le scénario de la sortie de l'euro pour la Grèce serait un suicide. A la lecture de cet entretien, il apparaît surtout que « pour le reste de l'Europe (…) la facture à payer serait élevée », ce qu'il vaut mieux éviter en plombant un vilain canard de l'oligarchie européenne, n'est-ce pas ? Dans ces conditions, à qui sont réservés les bienfaits d'un patriotisme économique bien compris ?

 

Sur ce sujet, le patriotisme économique étant alors un thème porteur, le professeur Olivier Pastré, noble banquier tunisien au temps du dictateur Ben Ali, avait décidé en septembre 2006 d'apporter ses lumières au public dans un livre titré « la méthode Colbert » (Perrin, 228 pages, 17,50 €). Comme d'habitude, nous n'avons pas été déçus par le bonhomme.

 

Quand, dans l'introduction, ils lisent ceci :

« Les marchés financiers dictent leur loi. La communication a envahi la sphère politique. La nation française elle-même n'est plus qu'une subsidiarité de l'Europe. » (p.13) ;

d'aucuns pourraient penser que l'auteur, diplômé d'une université américaine, a viré sa cuti, faute de connaître la méthode Pastré. Car, logé dans les méandres d'un raisonnement soporifique, le noyau dur de la pensée néolibérale est affirmé sans hésitation ni argumentation. Prenons un exemple.

 

« Les délocalisations sont inévitables. (…) Il faut donc s'y faire et, en même temps, en relativiser les conséquences. » (p.117)

Un économiste fataliste donc, qui sent bien que son rôle est d'expliquer inlassablement l'inéluctabilité d'un phénomène inoffensif, puisque

« (…) les délocalisations ne modifient en rien l'ancrage d'une entreprise à son territoire national. » (p.118),

prouvant ainsi qu'il néglige le transfert du savoir-faire industriel en ne voyant que la surface capitalistique des choses ;

mais de toute façon,

« On peut donc avancer. Il le faut. C'est impératif, car il n'y a pas d'alternative. Un échec complet du cycle de Doha (...) » (p.89) ;

faire l'apologie du libre échange, avec un accent thatchérien, dans un livre qui prétend rendre efficace la thèse du patriotisme économique, c'est le genre d'enfumage coutumier de cet économiste bien en cour.

 

 

En matière de pédagogie, le professeur Pastré n'a jamais eu la moyenne (puisqu'il apprécie les évaluations, nous lui donnons sa note – et nous savons de quoi nous parlons). Un exemple.

Il raconte qu'en 2005 une rumeur d'OPA sur Danone par Pepsi-Cola parcourait les marchés financiers (quelques spéculateurs en profitèrent forcément), les salles de rédaction, et même le milieu politique : « (…) il ne s'agissait que d'une intox. » (p.16) C'est tout.

Mais l'issue de cette troublante affaire (une enquête n'a-t-elle pas été menée?) est relatée sans faire de lien et en termes si vagues que le lecteur non averti sera bien en mal de décoder le propos : « Faut-il défendre nos entreprises opérant dans des secteurs sensibles contre d'éventuels raiders étrangers ? Là aussi, le saupoudrage est la règle (les casinos ont ainsi été considérés, pendant un temps, comme des entreprises stratégiques ; Danone – encore lui – a dû se réjouir, qui possède le casino d'Évian...). » (p.30) En réalité, cette rumeur d'OPA a donné naissance à un amendement de loi (que d'aucuns ont nommé "Danone") qui stipulait que le rachat d'un casino était soumis à une autorisation de l’État.

Pour un bon pédagogue, il y avait de quoi expliquer, par exemple, les concepts de manipulation de cours, de lobbying, de "pilule empoisonnée". Mais pas chez Pastré, où on évoque, on cite sans dire, on raille en langage sibyllin.

 

 

En matière de rigueur intellectuelle, le professeur Pastré aura toujours des lacunes, surtout sur les sujets qui clivent. Exemple.

« La révolution libérale du début des années 1980, impulsée par Ronald Reagan et Margaret Thatcher, n'a pas eu d'autre objectif que d'enrayer ce cercle vicieux. » (p.26)

C'est-à-dire "ce mode de régulation" "reposant sur l'intervention de l’État jusque dans la direction des entreprises, avait tendance à déresponsabiliser" les créateurs de richesse (comprendre les actionnaires, les entrepreneurs, les managers), "reposant sur une inflation auto-entretenue" ; pour résumer : « Le pari avait été fait, au cours de cette période, du salarié contre le rentier. » (p.25) Et non pas seulement la « stagflation, enfant adultérin de la stagnation et de l'inflation », comme la présente avec légèreté le professeur Pastré, qui n'ignore pas que le néolibéralisme est un projet de politique globale, un choix de société, et non pas un simple "policy mix".

 

 

Malgré ou à cause de ses défauts, la méthode Pastré séduit les médias : ça ne les remonte pas dans notre estime.

 

 

Alexandre Anizy

 

 

: lire les notes passées consacrées à quelques articles d'Olivier Pastré.