Tonifiant le café de Louis Pinto (III)

Publié le par Alexandre Anizy

 

Rendons grâce à Louis Pinto qui, dans son « café du commerce des penseurs à propos de la doxa intellectuelle », éditions du croquant, 150 pages, 13,50 €), ne nous enferme pas dans la chapelle de Bondieu.

« Le philosophe n'a pas à fournir une ration annuelle de sens pour apaiser les besoins spirituels des contemporains. L'historien n'a pas à inventer un passé opportun. Le sociologue n'a pas à proposer des paradigmes théoriques ajustés aux goûts changeants de médiateurs culturels en quête de nouveautés. » (Louis Pinto, p.146)

 

Justement, dans le chapitre 3, il est question d'un concept central de la pensée doxique :

« Le risque est au cœur d'un nouveau paradigme intellectuel. » (p.95)

Ont brodé sur ce thème des gens aussi différents que Jean-Pierre Dupuy, Bruno Latour, Edgar Morin, Ulrich Beck dont la – fausse ? – naïveté semble incommensurable (passage d'une logique de répartition des richesse à une logique de répartition des risques ; « l'exposition aux risques est générales, elle transcende les différences de revenus, de formations, etc. » cité p.95)

Sans oublier François Ewald et l'ineffable Denis Kessler qui opposent une classe supérieure qui serait riscophile (la retraite chapeau ne concerne que les techniciens de surface, c'est bien connu …) aux pauvres qui seraient riscophobes, en tentant d'amalgamer l'existentialisme avec leurs élucubrations (tendance "sélection naturelle des meilleurs").

 

Le risque va de pair avec l'individu-sujet, qui règne dans la pensée simpliste (chez Frédéric Taddeï, entendez les éructations récurrentes du clown joyeux Philippe Sollers sur l'être suprême, l'individu, la seule chose qui vaille en ce monde) :

« L'ère nouvelle est ou sera placée sous le sceau de l'ascension de l'individu-sujet qui ne peut se satisfaire de l'universalisme hérité de la philosophie des Lumières et du socialisme. » (p.97)

Mobilisant un capital théorique provenant de 4 sources disparates (Bergson, Ricoeur, Lévinas ; Guattari, Negri ; Tocqueville, Simmel et Tarde, Louis Dumont ; Raymond Boudon), les tenants de l'individu martèlent l'évidence de leur position en fustigeant le passéisme de leurs opposants.

 

Encore fallait-il une discipline ! La philosophie politique réapparaît dans les années 80 : « En particulier, l'agrégation de science politique avec une option philosophie a constitué dès 1973 grâce à l'action de François Châtelet et d'Evelyne Pisier-Kouchner une base institutionnelle précieuse qui offrait des postes et un circuit de circulation de biens spécialisés (…). Substituant les abstractions nobles du citoyen et de la Cité à la brutalité nue du monde social , cette spécialité a été au centre de la Reconquista philosophique contre les barbares et les infidèles de la foi structuraliste. » (p.113)

 

L' "intellectuel démocratique"(une catégorie définie par Olivier Mongin) a une mission théorique, celle de diseur de sens(face à l'évidente perte des repères). Pour cela, il doit commettre des rapports (les questions d'éthique : un puits sans fond) et siéger dans des commissions. Pécuniairement, il en sera bien remercié.

(Pinto énumère ainsi quelques activités, où même le milliardaire philosophe Bernard-Henri Lévy a émargé …)

 

 

A la fin de ce petit ouvrage "touristique", Louis Pinto donne la réponse à la question que vous vous posez à la lecture de ces 3 notes :

« A quoi et à qui peut donc bien servir l'analyse de la doxa ? (…) Sache où tu mets les pieds quand tu t'enflammes pour l'individu ou pour le multiculturalisme, quand on te demande d'admettre la fin de l’État - providence (...) » (p.145)

 

 

Alexandre Anizy

 

 

 

Publié dans Notes culturelles

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