Une autre solution pour la Grèce : suspendre le paiement de la dette publique, sortir de l'euro, relocaliser le financement de l'Etat
Le problème financier de la Grèce va être momentanément résolu ces jours-ci. Puisque les échéances politiques et l'état de l'opinion en Allemagne comme la fragilité du pouvoir légitime grec étaient connues depuis des mois, l'hypothèse d'un choix délibéré d'une pression extérieure progressive sur le gouvernement de Papandréou, pour obtenir une saignée importante qui ne guérira pas le malade, ne peut pas être écartée. Pour autant, les problèmes économiques et sociaux de la Grèce ne seront pas finis.
A notre avis, une autre stratégie d'économie politique n'a été débattue - sauf erreur de notre part - que de manière fragmentée par les "spécialistes" : c'est pourquoi il nous paraît intéressant d'en présenter un schéma général.
L'Union Allemande va finalement présenter sa "potion magique" complémentée par le FMI, qui obtient ainsi la légitimité de ses futures interventions directes dans les affaires grecques. Si la question de trésorerie est réglée, rien d'autre ne l'est réellement :
« le problème immédiat de la Grèce, ce sont les taux d'intérêt élevés dont elle doit s'acquitter. Lui proposer des liquidités à un taux écrasant, alors que le pays n'a pas accès au marché, ne ferait qu'aggraver son problème de solvabilité. » (Martin Wolf, le Monde du 7 avril 2010)
Il est bon de rappeler que les importants déficits budgétaires dans la zone euro sont des symptômes de la crise et non pas la cause : « Aussi les catastrophes budgétaires actuelles résultent-elles, en définitive, d'un recours à une politique monétaire accommodante [de la BCE, ndAA) mise en oeuvre pour compenser la faible croissance de la demande dans le centre de la zone euro, et, en premier lieu, en Allemagne. » (Martin Wolf)
La réduction budgétaire drastique promise par le gouvernement grec « paraît irréalisable, vu l'absence de politique monétaire et de flexibilité du taux de change » (Martin Wolf) Le FMI, qui est spécialiste en matière de balance des paiements, n'a aucune expertise en matière d'endettement (la Grèce est rongée par son service de la dette) :
« Personne sur les marchés, qui déterminent le destin des pays endettés, ne croit en effet que le Fonds Monétaire International réussira à imposer aux Grecs des conditions politiquement inacceptables ». (Jacques Attali, Express du 18 avril 2010)
En conséquence, la Grèce paiera de plus en plus cher ses emprunts et sera acculée au défaut de paiement, toutes choses égales par ailleurs. C'est pourquoi la solution de suspendre le paiement de la dette publique (voir Charles Wyplosz, le Monde du 28 avril 2010) est le première décision d'un plan de sauvetage alternatif, puisqu'elle aurait permis aux Grecs de négocier sans couteau sur la gorge le rééchelonnement de leur dette, tout en se donnant un peu de temps pour restaurer son budget.
Seulement voilà, les banques europénnes (notamment BNP et Deutsche Bank) sont les gros créanciers de la Grèce : si elles plongent, c'est un nouveau plan de sauvetage en perspective … à moins de laisser à leur sort les mauvaises banques (i.e. celles qui ont prêté à un client déjà surendetté, comme la Grèce). Le lobby bancaire a su se faire entendre, puisque la solution du défaut de paiement a d'emblée été écartée par les gouvernements européens …
Mais une suspension de paiement ne constitue pas en soi un programme d'économie politique : elle donne du temps pour négocier sereinement, tout en empêchant les caisses de l'Etat de se vider. Dans le schéma général d'une autre stratégie d'économie politique, la sortie de l'euro est la deuxième décision, capitale, parce qu'elle donnerait la maîtrise de la politique monétaire et la flexibilité du taux de change (voir Martin Wolf ci-dessus).
Nous n'aborderons pas ici les enjeux d'une sortie de l'euro (voir nos notes économiques sur ce sujet).
Parce que cette deuxième décision est lourde de conséquences, elle doit s'inscrire dans une vaste stratégie économique cohérente.
La troisième décision, c'est la relocalisation de la dette publique, car « pour s'affranchir du pouvoir de bailleurs abusifs, il faut changer de bailleurs. » (Frédéric Lordon, le Monde diplomatique, mai 2010)
Prenons un exemple. Le Japon n'a pas cédé aux sirènes de la mondialisation financière (il en avait les moyens, mais c'est un autre débat) : « Par un compromis typique de la façon japonaise, système bancaire et caisses de retraite ont en effet activement "joué le jeu", c'est à dire orienté massivement les avoirs des ménages vers les titres de la dette publique. » (Frédéric Lordon) C'est ainsi que la dette publique du Japon culmine à 200 points du PIB, quand la Grèce en crise n'est qu'à 130 points …
« (…) emprunter sur les marchés, c'est se soumettre au verdict des marchés. » (Frédéric Lordon) : pour l'avoir oublié (vraiment ?), l'oligarchie grecque (1) va faire payer très cher à "son peuple" les conséquences désastreuses de ses errements politiques.
Précisément, en Grèce, la relocalisation de la dette publique impliquerait le recours à un financement monétaire des déficits.
Ebaucher en quelques lignes, le schéma général d'une autre stratégie d'économie politique montre qu'il est possible de proposer un autre destin au peuple grec.
Alexandre Anizy
(1) : si la situation n'était pas dramatique, on se gausserait de cette curieuse alternance politique entre les familles Caramanlis et Papandréou.