Pourquoi maintenant ?
Sur la grande plage entre Stella et le site de thalassothérapie du Touquet, nous marchions paisiblement avec le souffle d’un vent frais et le murmure de la mer en fond sonore, quasiment seul tandis qu’au loin les foules s’agglutinaient de part et d’autre. Dans ces moments-là, l’esprit vagabonde, sautant allègrement d’un sujet à un autre, et il s’attèle parfois à un bilan. Ce jour-là, nous dressâmes le nôtre concernant les polars italiens : un pays aussi cultivé ne se résume certainement pas à trois figures prestigieuses comme Andrea Camilleri (lire ici ), Valerio Varesi (lire ici ), Giorgio Scerbanenco (lire ici ).
C’est pourquoi nous tombâmes sur Maurizio De Giovanni. En commençant par La méthode du crocodile (12-21 éditions), série de l’inspecteur Lojacono, dont voici l’incipit :
« La Mort descend sur le quai numéro trois à 8h14, avec sept minutes de retard. Elle se fond dans la foule des migrants journaliers, ballottée entre les sacs, les mallettes et les valises, qui ne sentent pas son haleine froide. La Mort marche d’un pas hésitant, se protégeant contre la hâte des autres voyageurs. »
Comparons avec le deuxième paragraphe de L’hiver du commissaire Ricciardi (Payot-Rivages, 2015), série dont il est préférable de suivre l’ordre calendaire des saisons :
« L’homme qui ne portait pas de chapeau savait, bien avant de l’avoir vu, que l’enfant mort était là : il savait que son profil gauche, celui qu’il verrait en premier, était intact ; alors qu’à droite, le crâne avait disparu sous le choc, l’épaule avait pénétré la cage thoracique et l’avait défoncée, le bassin s’était enroulé autour de la colonne vertébrale brisée. Et il savait aussi qu’au troisième étage de l’immeuble d’angle qui jetait, en ce début de mercredi matin, une bande d’ombre froide sur la chaussée, les volets étaient fermés ; un drap noir restait accroché à la partie la plus basse de la rambarde du balcon. Il ne pouvait qu’imaginer la douleur de la jeune mère qui, contrairement à lui, n’allait plus jamais revoir son fils. Tant mieux pour elle, pensa-t-il. C’était un supplice. »
Naples à deux époques distinctes et par conséquent deux phrasés différents, avec des personnages dont les caractères sont travaillés en profondeur, et toujours la qualité architectonique.
Maurizio De Giovanni joue dans la cour des grands.
Alexandre Anizy