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notes culturelles

L'enfant et la bouteille de Richard Brautigan

Publié le par Alexandre Anizy

            Si les enfants Carlos Ghosn et Jérôme Cahuzac avaient su, peut-être...

 

 

La bouteille

            Partie 3

       

Un enfant se tient immobile.

Il tient une bouteille dans ses mains.

Il y a un bateau dans la bouteille.

Il le regarde sans cligner

des yeux.

Il se demande où le petit bateau

peut naviguer s'il est retenu

prisonnier dans une bouteille.

Dans cinquante ans

tu le sauras, capitaine Martin,

car la mer (vaste comme elle est)

n'est qu'une autre bouteille.

 

 

Richard Brautigan

(C'est tout ce que j'ai à déclarer, Le Castor astral, édition bilingue, novembre 2016)

 

Vénus de Scerbanenco

Publié le par Alexandre Anizy

            Puisqu'on reparle de Simenon, il serait bon d'en faire autant pour Giorgio Scerbanenco.

 

 

            Pour découvrir cet auteur italien né à Kiev (1911 - 1969), prenez par exemple Vénus privée (Rivages, septembre 2010, poche à 8,50 €) et vous ne serez pas déçus.

            « Elle était grande, en effet. Elle l'attendait debout à la porte du bar. Il fut impressionné car, dès qu'il fut descendu de la Giulietta, elle vint vers lui, avec cette chaleur dans la démarche et dans le regard, comme si elle revoyait un ami très cher. Il y a encore dix minutes, il ne savait pas qu'il existait en ce monde, et aussi proche, une amie comme elle. » (p.134)

            Bien écrit, bien ficelé, ce polar vous guidera dans la société italienne.

 

 

Alexandre Anizy

 

L'harmonie silencieuse de Ron Rash

Publié le par Alexandre Anizy

            Dans les Appalaches, l'ordre brutal de l'économie de marché règne et c'est la main invisible du shérif qui contient la fureur. 

 

 

            Un bidon de carburant déversé intentionnellement dans une réserve de poissons va permettre au shérif Les d'éviter une injustice grâce à son obstination, de mettre les affaires au net pour un passage de témoin en douceur, de payer une dette personnelle. C'est tout cela que Ron Rash raconte dans Le silence brutal (Gallimard, collection noire, 2019), en mêlant délicatement deux styles :

            « Je m'assieds sur un sol qui fraîchit, bientôt humide de rosée. Près de moi une charrue à versoir abandonnée de longtemps. Des lianes de chèvrefeuille enroulent leurs verts cordons, des fleurs blanches accrochées là comme de petites ampoules de Noël. J'effleure un manche qu'ont poli rotations de poignet et suantes étreintes. Le souvenir des mains de mon grand-père, rondes de cals et aussi lisses que des pièces de monnaie usées. » (p.6/191) ;

            « Je n'arrivais déjà plus qu'en milieu de matinée, laissant Jarvis Crowe, mon successeur, s'habituer à faire tourner la baraque tout seul. Une semaine tranquille, donc. Mais quand je débarquai le lundi au bureau, Ruby, notre répartitrice de jour, m'apprit qu'il n'en serait rien. » (p.8/191)  

 

            La quête de la pureté n'est-elle pas la mère de tous les vices ? Il apparaît de nos jours que Le Vatican et ses confrères en savent beaucoup sur le sujet.

 

 

Alexandre Anizy

 

L'absurdité de Cheng

Publié le par Alexandre Anizy

            Sisyphe à la mode de François Cheng. 

 

 

Creuser vers la profondeur du dedans,

C'est affronter les défis du dehors.

Plus on gravit la transcendance sans nom,

Plus on appréhende en soi le sans-fond.

 

 

François Cheng

(Enfin le royaume, Gallimard, mars 2018)

  

Ambulance haïku de Richard Brautigan

Publié le par Alexandre Anizy

            A bien y réfléchir, il y a un poème de Brautigan pour chaque moment de l'existence.

 

 

Ambulance haïku    

 

Un morceau de poivron vert

            est tombé

du saladier en bois :

            et alors ?

 

 

Richard Brautigan

(C'est tout ce que j'ai à déclarer, Le Castor astral, édition bilingue, novembre 2016)

Ali Zamir n'est pas Dérangé

Publié le par Alexandre Anizy

            Le monde francophone a besoin d'un espace de dialogues et d'échanges, où chacun pourrait plus facilement découvrir des créateurs comme Ali Zamir.

 

 

            Grâce à un journal pas forcément culturel, nous apprîmes qu'Ali Zamir, écrivain comorien bourré de talent, venait de publier son troisième roman, titré Dérangé que je suis (Le Tripode, hiver 2019, 17 €).

            « Le ciel n'était qu'un monde majestueusement illuminé par ces nymphes autour de l'astre de la nuit. Ce soir-là, la lune aveuglait le regard et moi, je n'étais qu'un grain, un pépin qui flottait dans un océan. Mon regard était captivé par cet éblouissement, ma pensée capturée comme une proie, mon corps laissé comme un objet aux côtés des Pipipi. » (p.133) (1)

            Tout le livre est à l'avenant : un style magnifiquement ciselé. La langue est si bien travaillée que le texte vire à la préciosité, puisque l'architectonique est ténue. Pourtant, Dieu sait que la situation comorienne génère bien des misères et des injustices, autrement dit des drames. Alors ne désespérons pas : puisque le zéphyr de la bienveillance a déjà touché Zamir, viendra le moment de la restitution de son humaine compréhension.

 

 

 

Alexandre Anizy

 

 

(1) La répétition de regard gâche un peu le paragraphe.

 

Correspondance de Ginsberg

Publié le par Alexandre Anizy

            Quelque chose (en nous) de Ginsberg.

 

 

Chaque jour

 

Le Lama était assis

dans son lit

avec son gratte-dos

en bambou

son dentier

dans un grand

verre d'eau

posé au soleil

sur l'appui de la fenêtre

 

Allen Ginsberg

(Poèmes, Christian Bourgois éditeur, novembre 2012)

 

Doggerland : Elisabeth Filhol a presque réussi

Publié le par Alexandre Anizy

            Elisabeth Filhol devrait partager sa matière avec une freluquette comme Vanessa Schneider, dont le talent est inversement proportionnel à la densité de son réseau médiatique.

 

 

            D'abord il faut souligner le rythme décent des publications de Mme Filhol, qui prend le temps de travailler ses sujets : Doggerland (P.O.L, janvier 2019, en livrel) le montre une nouvelle fois.

            Ce dernier roman, plus réussi que le précédent ( lire ici ) quant au procédé narratif de l'auteur, donne à penser que le prochain pourrait être son chef-d'œuvre.

 

 

Alexandre Anizy 

Détachement de Marceline Desbordes Valmore

Publié le par Alexandre Anizy

            Admirée des grands, oubliée de tous : Marceline Desbordes Valmore.  

 

 

            Détachement

 

Il est des maux sans nom, dont la morne amertume

Change en affreuses nuits nos jours qu'elle consume.

Se plaindre est impossible ; on ne sait plus parler ;

Les pleurs même du cœur refusent de couler.

On ne se souvient pas, perdu dans le naufrage,

De quel astre inclément s'est échappé l'orage.

Qu'importe ? Le malheur s'est étendu partout ;

Le passé n'est qu'une ombre, et l'attente un dégoût.

 

C'est quand on a perdu tout appui de soi-même ;

C'est quand on n'aime plus, que plus rien ne nous aime ;

C'est quand on sent mourir son regard attaché

Sur un bonheur lointain qu'on a longtemps cherché,

Créé pour nous peut-être ! et qu'indigne d'atteindre,

On voit comme un rayon trembler, fuir... et s'éteindre.

 

            Marceline Desbordes Valmore

                        (Œuvre poétique, Jacques André éditeur, 2007)

 

 

 

N.B. : nous saluons ici le travail de Marc Bertrand, et celui de l'éditeur.

 

Devant la mort d'Hervé Prudon

Publié le par Alexandre Anizy

            En attendant le passage de la Camarde, Hervé Prudon s'est exprimé.

 

 

 

 

si la douleur prend ses quartiers

plus question de philosopher

plus question de dormir la guerre

on l'a perdue la mort on n'y pense plus

on a juste mal sans rien faire

vivre est devenu superflu

 

Hervé Prudon. Devant la mort (Gallimard, septembre 2018)