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notes culturelles

Attendre l'heure avec Alice McDermott

Publié le par Alexandre Anizy

            Le prix Femina étranger a honoré Alice McDermott pour un roman de qualité : La neuvième heure (Quai Voltaire / La Table ronde, 2018, en livrel).

 

 

             Soeur Illuminata humidifia la nappe. Ces temps-ci, elle utilisait une vieille bouteille de Coca-Cola avec un bouchon en caoutchouc perforé. Elle lécha le bout de son doigt abîmé et vérifia la température du fer. Puis s'attaqua à la nappe avec d'amples mouvements de bras, actionnant son coude comme un soufflet. « Tous les matins, nous envoyons des soeurs immaculées de par les rues, n'est-ce pas ? Un tissu propre à appliquer sur le monde souffrant.  (p.107/287)

            Nous avons pioché au hasard cet extrait pour montrer en quoi ce livre est important : un style exceptionnel, différent de celui de James Salter (ici) bien sûr, mais aussi remarquable (saluons au passage la traduction de Cécile Arnaud).

 

            Alice McDermott dit avoir une grande admiration pour Charles Dickens, notamment pour ses romans sociaux (1). Si nous voyons l'influence dans ce roman, la question demeure : n'y aurait-il pas de misère dans l'Amérique profonde d'aujourd'hui ? 

 

            Quoiqu'il en soit, nous aimerions tant que des milliers d'enfants écoutent leurs mères lisant La neuvième heure plutôt que Le Figaro Magazine ou Paris-Match.

  

 

Alexandre Anizy

Du Lucrèce de Pierre Vesperini à la poésie objective

Publié le par Alexandre Anizy

            Dans un livre savant, dont le propos limpide et l'écriture délicate nous ont surpris, Pierre Vesperini décrypte le De rerum natura de Lucrèce, bouleversant ainsi le champ des études épicuriennes. Et suite à une relecture récente de Verlaine, en passant par Rimbaud nous en arrivons à la poésie objective.

 

 

            « La philosophie d'Epicure est couramment présentée comme la plus moderne de toutes les écoles athéniennes. (...) En réalité (...) la philosophie épicurienne était la plus archaïque des écoles athéniennes. » (p.15) Plaçant son travail de recherche dans une démarche anthropologique, Pierre Vesperini situe le Jardin d'Epicure par rapport aux autres écoles : d'une part, alors qu'elles proposaient toutes d'honorer les dieux ( leurs cultes étaient leurs projets, résumés par un mot grec theothènai , i.e. "devenir dieu ; « Devenir dieu consistait à se hisser au-dessus de cette condition [humaine] comme l'avaient fait, selon les histoires que chacun connaissait, bien des héros de la mythologie : Héraklès, Castor et Pollux, Asclépios, Dionysos, Ménélas, etc.» (p.16) ), le culte du Jardin était Epicure lui-même, célébré chaque jour de l'année, parce qu'il se considérait comme un sage (sophos) qui devait être vénéré, pour le grand bien de celui qui vénère, s'inscrivant ainsi dans la tradition archaïque du sage comme "homme divin" theios anèr), mais à l'époque archaïque, les sages n'ont pas  ni école, ni culte ; d'autre part au Jardin, seul Epicure est le sage (on ne le devient pas, on l'est de naissance : il se vantait de n'avoir eu aucun maître) qui n'enseigne pas mais révèle à tous la Vérité (donc pas d'initiés, tout le monde est invité), qui gouverne et contrôle sa maison (les adeptes qui la quittaient étaient injuriés, puisqu'en interne la critique des dogmes était impossible).

            Bref, Epicure est le gourou d'une secte. Pour une présentation plus large de l'analyse de Pierre Vesperini, une démonstration implacable, le lecteur peut se reporter par exemple à l'article enthousiaste de Michel Onfray (1).

            Nous soulignons simplement ici une pratique de l'école épicurienne : le "franc-parler" (parrhèsia). « Ce mot est très à la mode aujourd'hui, depuis la publication du cours de Michel Foucault sur le "courage de la vérité". On y voit le symbole de la franchise, de la liberté de parole, des philosophes antiques, dignes précurseurs de l'intellectuel engagé. (2) En réalité, à lire Philodème [de Gadara, épicurien], on voit que la parrhèsia , dans l'école d'Epicure, recouvrait l'aveu de ses doutes, de ses manquements à la doctrine, de ses errances et de ses erreurs doctrinales. (...) Et ainsi, comme le dit Philodème, "on faisait son salut les uns par les autres". » (p.19) Cette parrhèsia, c'est l'autocritique permanente des partis marxistes-léninistes, l'aveu dans les procès staliniens.

 

            Nous nous arrêtons au chapitre IV titré Qu'est-ce qu'un poeta ? « De fait, le métier des poetae consistait à "travailler" les oeuvres des poiètai grecs ― comme d'autres artisans travaillaient la terre ou le bronze ― pour produire des objets hétéroclites : éloges ou épitaphes versifiées, chants solennels adressés aux dieux (carmina, hymni), livrets de spectacles pour les ludi, livres destinés aux bibliothèques de l'aristocratie. » (p.68) Les livres de cette dernière catégorie, dont fait partie De rerum natura , s'appelaient des litterae : c'étaient des objets d'art, des ornamenta , aussi précieux que les tableaux, les statues, les bijoux, etc. de par leur fabrication mais aussi par le transfert du savoir grec qu'ils opéraient. A Rome, ville savante où le plaisir de savoir est partagé, l'aristocrate pour tenir son rang doit apporter sa contribution : ainsi « perdre ses ornementa , c'était perdre son identité, qui, d'une façon générale, se confondait avec le statut social. On n'était rien d'autre que ce qu'on était socialement. »(p.48)  Sur commandes, les poetae transféraient en latin les oeuvres grecques (poèmes, pièces de théâtre) figurant dans les bibliothèques hellénistiques. Contrairement aux libri (autres écrits rapportant des savoirs ― manuels de rhétorique, résumés de doctrines, recueil de prophéties), les litterae appartenaient au monde de l' otium aristocratique (i.e. le temps du loisir) et étaient des objets de plaisir parce que « le savoir, y compris le savoir le plus austère en apparence pour nous, est à Rome un objet de plaisir, de delectatio » (p.36)

            Quel est le statut du poète professionnel ? Plus d'un siècle avant Lucrèce, Caton l'Ancien écrit qu'au début « le savoir du poeta n'avait rien de glorieux. Celui qui s'y livrait ou qui passait son temps dans les banquets était traité de grassator », soit un vagabond ou un brigand ou un flatteur. Puis Quintus Ennius vint à Rome où il fit une carrière extraordinaire de poeta , devenant le familier de grands familles, même rivales,  recevant la citoyenneté romaine : « le poeta apparaît non pas, certes, comme un égal, mais comme l' amicus le plus élevé dans la hiérarchie des clients, le seul invité à la table de son protecteur, comme son seul compagnon de plaisir, et son seul confident enfin ». Quelle est sa compétence singulière ? « il sait tout. Ce poeta  est un poeta doctus , un poète savant. (...) Il s'agit du savoir encyclopédique incarné à son époque par le Musée d'Alexandrie et sa bibliothèque ». Grâce à ce savoir grec, le poeta produisait des litterae latinae (des oeuvres d'art, ornamenta ) pour commémorer la gloire des nobles romains, devenant ainsi des monumenta (comme les statues, tombeaux, colonnes, temples : le poeta était en concurrence libre et non faussée avec d'autres professionnels).

            Résumons au plus simple : au temps antique de Lucrèce, le poète romain est un professionnel qui compose des textes au moyen d'objets de culture grecque.

 

 

            Venant d'achever une relecture de Paul Verlaine, nous nous interrogeons pour le coup sur cette question de poésie objective.

 

 

            Dans le Prologue des Poèmes saturniens, Paul Verlaine prévient que le poète s'est échappé du monde ordinaire, a renoncé à célébrer les glorioles des militaires ou des Républiques, a refusé le rôle de porte-voix de l'âme humaine :

C'est qu'ils ont à la fin compris qu'il ne faut plus

Mêler leur note pure aux cris irrésolus

Que va poussant la foule obscène et violente,

Et que l'isolement sied à leur marche lente.

Le Poète, l'amour du Beau, voilà sa foi,

L'Azur, son étendard, et l'Idéal, sa loi !

Ne lui demandez rien de plus, car ses prunelles,

Où le rayonnement des choses éternelles

A mis des visions qu'il suit avidement, (...) ;

et il met en application ses aspirations, notamment dans Après trois ans :

            « Aucun développement, aucune rhétorique, aucun mélange de la description et de la réflexion ou du sentiment. Et même, aucune description. La maison, le jardin ne sont aucunement décrits : les objets qui les évoquent sont isolés, et ils restent isolés dans l'âme qui semble ne recevoir d'eux que d'immédiates sensations. Rien n'est traduit ni commenté ; seule, l'impression ressentie est livrée par le chant poétique dans son isolement et sa nudité. » Jacques Borel (3)

Pleinement conscient de la nouveauté de son art, Verlaine l'écrit à Mallarmé en lui envoyant le recueil : « J'ose espérer que ... vous y reconnaîtrez ... un effort vers l'Expression, vers la Sensation rendue. » (4) Bien sûr, on peut penser que l'art verlainien est un impressionnisme, puisque l'association d'images rend compte de la sensation, mais c'est négliger le liant des compositions : la mélodie, l'élément distinctif de la poésie verlainienne. « Cette traduction immédiate du senti, c'est la musique qui, avant toute image, la communique. » Jacques Borel (5)

 

            C'est là, à notre avis, la grande différence avec Rimbaud, dont la force poétique se trouve principalement dans les images. Précisons aussitôt que la lettre du Voyant n'en constitue pas l'essence, puisque l'écriture rimbaldienne est une brève révolution continue. Jusqu'en octobre 1870, Victor Hugo est un maître par excellence, même si le Parnasse contemporain l'initie à la tendance contemporaine, mais inspiré par l'art, les gravures et les caricatures populaires, « Sa vision des choses, à cette époque, s'en trouva transformée. Elle tendit à se réduire à des surfaces coloriées, à des lignes fortement marquées, à des masses organisées de façon simple et efficace. » Antoine Adam (6). Lire les sonnets L'éclatante victoire de Sarrebruck et Le dormeur du val. Et en fin d'année 1870, Rimbaud explique à Delahaye que « nous avons seulement à ouvrir nos sens à la sensation, puis à fixer avec des mots ce qu'ils ont reçu. Notre unique soin, ajoutait-il, doit être de voir, d'entendre et de noter. Et cela, sans choix, sans intervention de l'intelligence. » Antoine Adam (7) : c'est le moment des Voyelles, poétique de la sensation brute. Il est en phase avec le Verlaine des Fêtes galantes (parues en 1869) : « C'est fort bizarre, très drôle ; mais vraiment, c'est adorable ! » (8) Puis au printemps 1871, c'est la grande crise du dérèglement de la langue et des sens :

« L'idée de voyance est donc, dans l'esprit de Rimbaud, inséparable de celle d'humanité. Le voyant n'est pas un isolé. Ce qu'il voit, ... c'est le mystère qui enveloppe la destinée de notre race, c'est le but vers lequel celui-ci se dirige. La voyance n'est donc pas liée à un effort de purification ou de sainteté personnelle. La conquête de l'inconnu ... n'a rien de religieux. » Antoine Adam (9) Rimbaud l'écrit d'ailleurs précisément :  « L'avenir sera matérialiste. »  Pour remplir sa mission, le poète doit cultiver son âme, aiguiser continuellement ses sensations en multipliant les expériences, notamment en usant des drogues comme le Baudelaire des Paradis artificiels, pour entrer en communion profonde avec les hommes.   Mais quand Rimbaud écrit en admirateur enthousiaste (10) en septembre 1871 pour soumettre quelques poèmes, et fonce immédiatement à Paris à l'appel de Verlaine, il est déjà passer à autre chose : le vers libre. (11)

            Néanmoins, nous pensons comme Nikola Bertolino que « (...) lors de sa camaraderie avec Verlaine, c'est à dire jusqu'à l'automne 1872 ou le printemps 1873 (...) Les deux poètes, dans leur effort commun de saisir l'essence musicale de la langue, avançaient sur des voies parallèles, mais leur direction principale, au cours de ces quelques mois, était définie par la poétique de Verlaine. » (12)

            S'ils étaient tous les deux en quête d'une "libération de la langue", ils divergeaient déjà sur la forme et la finalité du poème. Leur relation sexuelle ne fera qu'envenimer la querelle : l'ardennais timide et taiseux en révolte contre le bourgeois dionysiaque en rupture de ban. Rimbaud plonge en enfer : « Les dernières pages d' Une Saison disent cette fin du drame et nous livrent le sens secret de l'oeuvre. Les autres parties décrivent les conflits qui pendant deux ans (13) ont bouleversé l'âme de Rimbaud, ses révoltes, ses élans et ses défaites, son désir de fuir loin de l'Europe, d'échapper à un ordre social détesté et à une morale qui a fait son malheur. (...) Mais il nous faut bien comprendre que ce sont là des attitudes que Rimbaud maintenant répudie. Ce sont elles qui ont fait son enfer. (...) "A moi. L'histoire d'une de mes folies", déclare-t-il dès la première ligne de son poème [Alchimie du verbe]. Et ses derniers mots sont : "Cela s'est passé. Je sais aujourd'hui saluer la beauté". C'est à dire qu'il ne demande pas plus à la folie qu'aux mysticismes de lui fournir l'univers où il veut vivre, et que la force et la beauté du monde lui suffisent. » (14)     

            Concernant la Une saison en enfer, beaucoup de critiques l'analysent comme le rapport de la faillite complète d'une expérience. Reste les Illuminations dont Nikola Bertolino livre une interprétation très intéressante dans Rimbaud ou la poésie objective :

            « Ce n'est que dans les Illuminations que l'énoncé poétique de Rimbaud s'est affranchi complètement de ce contrôle égocentrique, en offrant certaines clés auxquelles le poète ne pensait peut-être même pas, et en montrant des possibilités insoupçonnées de transformation et de transposition dans les "traductions" multiples et différentes. C'est une conséquence extrêmement importante de l'expérience poétique dont l'objectif était la création de la "langue universelle". Le Rimbaud tardif essaiera de ses oeuvres toute trace de "l'atmosphère personnelle", pour pouvoir réaliser entièrement le principe de la poésie objective dont il parlait dans la première de ses deux lettres-manifestes (celle du 13 mai 1871, adressée à Georges Izambard). (p.80)

            Rimbaud, nous dit Bertolino, porte une « grande attention à la structure de signification des mots ». « Parmi les éléments de la parole, celui que Rimbaud appelle idée n'est rien d'autre que ce qui reste lorsqu'on écarte ses éléments inertes : la dénotation et la connotation attribuée. De cette façon, la parole est réduite à une sorte de connotation libre, authentique, spontanée et toujours inattendue. L' idée étant composée de ces noyaux vivants de la parole, ce sont eux qui forment la matière dont est constituée la "langue universelle" de la nouvelle poésie rimbaldienne. » (p.187)

Amusons-nous ici à esquisser le commencement de la confection d'un outil qui automatiserait la création poétique, en usant de la méthode MERISE (15) :

     objet                                                                         objet  

mot (urinoir)  --------- en relation avec ------------  symbole (fontaine)

    idem           --------- en relation avec ------------  son 

Nous laissons au lecteur le soin d'imaginer la suite.

Par ailleurs, nous nous sommes amusés à créer le poème Cocktail Mallarmé (lire ici ).  

Partant de la réalité existante, « la voyance poétique pénètre en elle ainsi qu'un microscope pénètre dans la matière, en l'agrandissant, en la décomposant, en la déformant, pour y trouver l'inconnu : son sens inattendu et merveilleux.(...) Autrement dit, la forme du créé est conditionnée par la forme du vu, par les suggestions structurelles et formelles de ce que le poète avait authentiquement vécu. » (p.236) Ainsi toute création artistique est forcément subjective.

Et comme l'écrit Jean-Luc Steinmetz (16), cela vaut pour la poésie objective : « Dans l'opération de dépersonnalisation qu'implique une certaine forme de poésie objective, le Je persiste, comme support de l'authenticité phénoménologique de l'individu. » L'analyse par Bertolino de certains poèmes des « Illuminations, parmi les derniers que Rimbaud ait écrits, [montre] combien la "dépersonnalisation", à ses propres yeux, était un but impossible à atteindre. » (p.213) Le paradoxe rimbaldien est paroxystique : « Si sa répugnance à toute expression de sa propre personnalité a pris finalement le dessus, ce n'était qu'au moment où sa "carrière" poétique se terminait, ce qui était la conséquence de la prise de conscience que son Je est socialement et moralement infecté, mais aussi qu'il ne peut être éliminé, que ce Je est présent dans tout ce qu'il dit, dans tout ce qu'il sent, dans tout ce qu'il voit. » (p.215) Dès lors il est possible de comprendre que « ce qu'on appelle son "silence" fait partie de sa trajectoire » (Jean-Luc Steinmetz, cité p.7)

 

 

            Concluons cette note par ceci : « Rimbaud ne voulait pas rendre neutre ou détériorer l'expression de son Je authentique. Bien au contraire, il désirait la faire absolue, en réalisant toutes les possibilités que ce Je avait de s'énoncer. » (p.214)      

            In fine, le Je n'est pas haïssable.

 

 

 

Alexandre Anizy

 

 

 

(1) Le Point n° 13 du 26 octobre 2017.

(2) Cette incompréhension grossière de Michel Foucault n'étonne pas : un intellectuel engagé qui a soutenu la Révolution iranienne de Khomeiny est un philosophe déraisonnable.   

(3) Paul Verlaine, Oeuvres poétiques complètes , La Pléiade, page 54.

(4) Ibidem, page 55.

(5) Ibid., page 181.

(6) Arthur Rimbaud, Oeuvres complètes, La Pléiade, page XVII.  

(7) Ibidem, page XVIII.   

(8) Dans la lettre du 25 août 1870 de Rimbaud à Georges Izambard, citée dans Paul Verlaine, Oeuvres poétiques complètes , La Pléiade, page XXI.

(9 Arthur Rimbaud, Oeuvres complètes, La Pléiade, page XXII. 

(10) Ibid., page 260 ; comme il le fit en mai 1870 avec Théodore de Banville : «c'est ce que j'aime en vous, bien naïvement, un descendant de Ronsard, un frère de nos maîtres de 1830, un vrai romantique, un vrai poète. » page 236.

(11) Ibid., notes de Verlaine dans La Plume évoquées par Antoine Adam, page XXVII.

(12) Nikola Bertolino, Rimbaud ou la poésie objective, éditions L'Harmattan, 2005, page 164.

(13) Une Saison en enfer est écrit entre avril et août 1873.  

(14) Ibid., Antoine Adam, page XXXV.

(15) Les ouvrages se rapportant à MERISE sont innombrables ; citons par exemple :

* Jean-Pierre Matheron, Comprendre Merise, Eyrolles, octobre 1988 ;

* Didier Banos & Guy Malbosc, Merise pratique - 1. points-clé de la méthode, Eyrolles, avril 1988. 

(16) Cité par Nikola Bertolino, Rimbaud ou la poésie objective, page 213.  

Désintégration façon puzzle d'Emmanuelle Richard

Publié le par Alexandre Anizy

            Il apparait que le nombril d'Emmanuelle Richard nous insupporte. 

 

 

 

            Il faut dire d'une part que la prose de la dame ( Désintégration, éditions de l'Olivier, 2018, en livrel ) mériterait des progrès en matière de ponctuation :

            « L'amour est le seul lieu où les questions de dignité ne devraient plus avoir cours, à mon avis, toutefois cette façon de se non-protéger va immanquablement de pair avec la destruction de soi-même. » (p.7/190) ;

d'autre part Emmanuelle Richard montre que l'accumulation de phrases simplissimes (sujet, verbe, complément) demeure un empilement, si elles ne sont pas agencées et ciselées en vertu d'un principe stylistique :

            « C'était le début de l'automne. J'étais sortie en débardeur. J'avais froid, je me suis serrée dans mes bras. Il m'a allumé ma cigarette. ["il a allumé ma cigarette", ou "il alluma ma cigarette" ― la répétition "ma ma" suggérant la succion du fumeur ― n'auraient-ils pas été plus correctes ? NdAA] Il avait un beau sourire. Il était dehors à cette heure en pleine nuit pour soigner les bêtes, deux petits chevaux malades qui nécessitaient des soins fréquents et réguliers. » (p.8/190)

            Nous rappelons que gratter jusqu'à l'os, ce n'est pas ça le talent, de James Salter par exemple ici .   

 

Emmanuelle Richard conclue son texte ainsi :

            « Pour l'instant, je travaille à cette chose qui me plaît. J'ordonne des phrases entre elles. Je pense à la beauté muette parfaite des fleurs. Je me déploie sur l'espace infini de la page où il fait si bon vivre. Je trouve mon équilibre là-dedans. Je suis bien. Un peu à l'écart. » (p.189/190)

Beaucoup à l'écart... mais c'est son plaisir... pas le nôtre.

Le vide sidéral de la littérature masturbatoire.

 

 

Alexandre Anizy

Retenez la plume de Gérard Laveau

Publié le par Alexandre Anizy

            Gérard Laveau invente le polar d'outre-tombe : une lecture jubilatoire.   

 

 

            Commençons par l'incipit et la suite, pour souligner d'emblée la qualité d'écriture qui n'a pas changé, comme Montceau.

            « La voiture entra dans l'ancienne cité minière entre minuit et une heure. La rue Carnot était déserte, pas trop éclairée. Les phares devançaient la Simca d'un pinceau de guingois au jaune faiblard. Ils léchaient des stores cadenassés et des affiches pour les dernières élections, des devantures obscures et des vitrines mornes où parfois, un mannequin blafard se tenait dans la posture d'un rôdeur aux aguets. »

            Les Presses du Midi sont bien inspirées quand elles publient Oublie que je te tue de Gérard Laveau (octobre 2018, 284 pages, 19 €). Avec cette nouvelle enquête, le détective Georges Amer plonge dans le marais de l'édition, dont le dédale ne lui est pas étranger ( Cf. les aventures précédentes ici et ).

 

            Fort d'une architectonique béton, l'auteur emmène ses lecteurs tambour battant, les transportant d'un jet de plume dans l'arrière-boutique culturelle. SAS Laveau glisse parfois sur la pente de Virginie, en plus raffiné puisqu'il a son bâton d'homme de lettres.

 

 

Alexandre Anizy

 

Le style de James Salter

Publié le par Alexandre Anizy

            On ne risque rien en plongeant dans un livre de James Salter, hormis le plaisir d'une lecture enchantée. 

 

 

            Après la mort de James Salter en 2015, les éditions de l'Olivier ont décidé de publier en 2018, dans le cadre d'une dynamisation de leur catalogue, un recueil de nouvelles anciennes complétées de quatre inédites, livre titré Last Night (éditions de l'Olivier, 2018, en livrel). Pour découvrir le style de James Salter, nous le préférons à son roman Et rien d'autre (éditions de l'Olivier, août 2014), dont la promotion nous avait agacé (1).

 

Prenons quelques incipit :

            « Barcelone à l'aube. Pas une lumière dans les hôtels. Toutes les grandes avenues vont à la mer. » (p.4/256)

            « Un jour de juin, Philip épousa Adele DeLereo. Le temps était nuageux et le vent soufflait. Plus tard, le soleil apparut. » (p.154/256)

            « Walter Such était traducteur. Il aimait écrire avec un stylo à encre vert qu'il avait l'habitude de lever légèrement en l'air après chaque phrase, comme si sa main avait été un ressort. » (p.179/256)

            « Elle était petite avec des jambes courtes et son corps avait perdu ses formes. » (p.197/256)

            « Les hommes n'ont pas besoin d'être beaux. Ce n'est pas ce qui compte. » (p.247/256)

Des phrases courtes qui accentuent le sens de l'épure, comme un patchwork d'images qui invite le lecteur à compléter lui-même, c'est ce que nous apprécions chez Salter. Avec la ponctuation savante qui rythme intelligemment le récit. Comme ici :

            « Quand, à la fin, ils s'étaient tous figés, la main sur le coeur, Newell, resté à l'écart, seul, avait résolument fait le salut militaire, fidèle, comme l'imbécile qu'il avait toujours été. » (p.153/256)

 

            A vos prochaines vacances, osez un double Salter.

 

 

Alexandre Anizy

 

 

(1)

http://www.alexandreanizy.com/article-james-salter-vaut-la-tartt-125069235.html

 

 

Le meilleur de Louise Erdrich

Publié le par Alexandre Anizy

 

            On peut égratigner un auteur sans pour autant renoncer à le lire : c'est le cas de Louise Erdrich. 

 

 

            En 2012, l'écrivaine Louise Erdrich publiait The round house, qui sortit chez nous l'année suivante sous un titre mystérieux Dans le silence du vent (Albin Michel, disponible en livrel). En le relisant aujourd'hui, nous constatons l'importance de l'incipit : « Des petits arbres avaient attaqué les fondations de notre maison. » (p.4/309). Ici, chaque mot a son importance, comme chaque lieu. « J'ai pris l'ouvrage de droit que mon père appelait La Bible. Le Manuel de droit fédéral indien de Felix S. Cohen. Mon père l'avait reçu des mains de son père ; la reliure rouille était éraflée, le long dos craquelé, et chacune des pages comportait des commentaires manuscrits. Je tentais de me familiariser avec la langue désuète et les perpétuelles notes de bas de page. Mon père, ou mon grand-père, avait mis un point d'exclamation p.38, à côté de l'affaire en italiques qui m'avait naturellement intéressé, moi aussi : Etats-Unis contre 43 gallons de whisky. » (p.5/309)

 

            Cette fois-ci, contrairement à son livre LaRose,

http://www.alexandreanizy.com/2018/06/l-epine-de-louise-erdrich.html  

elle ne s'égare pas, reste dans son sujet jusqu'au bout, nous donnant ainsi un état de la situation de sa communauté indienne.

 

            Dans le silence du vent, c'est un roman captivant de Louise Erdrich.  

 

 

Alexandre Anizy

 

Kivu libre, Rwanda francophone, et baudruche Macron

Publié le par Alexandre Anizy

            Jean Van Hamme a raconté le Kivu, avec Christophe Simon, ce qui nous amena à Louise Mushikiwabo.   

 

 

            Le Kivu est une région du Congo frontalière du Rwanda, où on extraie beaucoup de minerais... Alors il y règne la corruption, la guerre de libération, enfin toutes ces saloperies fomentées et attisées par des gens puissants pour piller intensément, c'est à dire sans entrave. Cette BD de Simon & Van Hamme le révèle talentueusement en 63 planches.

            Kivu, c'est une piqûre de rappel : le multilatéralisme n'a pas désarmé la Bête immonde.  

 

            La France participe activement à cette ronde africaine, et sa diplomatie boiteuse vient d'illustrer à nouveau l'hypocrisie des Centres du capitalisme à l'égard des Périphéries, comme disait l'économiste Samir Amin. Comment ? En soutenant Louise Mushikiwabo, ministre du Rwanda, un pays qui conchie la France dans l'affaire de son génocide, un pays qui a mis fin à l'enseignement du français et a pris l'anglais pour langue nationale, Louise Mushikiwabo donc pour le poste de secrétaire générale de l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), Jupitérito a montré le niveau de lisibilité de son dévouement pour sa langue maternelle : zéro.

  

            Peu à peu, les Français découvrent à leurs dépens la baudruche Macron : tardivement hélas ! (1)

 

 

Alexandre Anizy

 

 

(1) http://www.alexandreanizy.com/2016/04/bel-ami-macron-en-marche-dans-la-cour-des-miracles.html

 

Fan du PSG : le cas Protche

Publié le par Alexandre Anizy

            Le PSG a brillé face à l'Etoile Rouge de Belgrade, mais il n'y a plus de lanterne pour éclairer le faux noble Grégory Protche.      

 

 

            Est-ce parce qu'il s'est vu cité,  

« Enfin cool. C'est l'adjectif que Patrick Besson employait à son sujet dans Les Années Isabelle - lorsque j'allai le voir en 1992 au Salon du livre, je lui fis signer son livre à la page où figurait la description si judicieuse du maestro et fus un peu déçu que Safet n'eût pas pour lui l'importance qu'il avait pour moi. J'aimais la Yougoslavie à cause de Susic et lui à cause de la Yougoslavie. » (p.111/196) ,

ou par simple esprit d'entraide corporatiste,

            [Journaleux de tous les pays, congratulez-vous !]

que Patrick Besson le croato-français ( Ja takodjer u Beogradu volim odsjesti u hotelu Palace ) tartine un papier dithyrambique sur Je suis né la même année que PSG de Grégory Protche (JCLattès, 2018, en livrel) ?  

            Car il faut avoir perdu le sens de la mesure et de la retenue pour écrire :

« Grégory Protche (48 ans) vient de m'offrir un plaisir rare : celui de ne pas lire un écrivain mort. (...) le seul ouvrage que je peux rapprocher de celui de Protche est Mort à crédit , dont le titre est meilleur. (...) Une génération. Celle de Moix, de Beigbeder, de Zeller, de Foenkinos et de Protche. Mais Grégory n'est pas un fils à papa, n'ayant pas eu de père. » (Le Point n°2389 du 14 juin 2018)

Notons qu'en loucedé le rejeton de Montreuil, qui attend sa plaque bleue aux coins d'une rue, glisse une vacherie sur les "french petits matous de la littérature".

M'enfin ! Riry Prot d'chien n'est pas Céline, c'est pas du lourd !

 

            Lui son costaud, c'est Safet-la-Crème !

« Mustapha avale des kilomètres, mais c'est Safet qui est enrobé. Susic est colérique et culpabilisateur. Dahleb, indulgent, sait que ce qui compte, dans un collectif, c'est l'équilibre, celui de l'adversaire et celui des forces, rien ne le motivant plus que de rencontrer une équipe meilleure que la sienne. Mustapha est bon même contre les mauvais. » (p.27/196)

« Comme avec Mustapha Dahleb en 2000, Jacques Vergès en 2001, Michel Platini en 2004 ou Hubert-Félix Thiéfaine en 2005, devant Safet Susic en 1986, je bredouille, bafouille, rougis, perds mes mots et toute ma salive. Adieu questions soignées, déclarations absolues et projets de photo avec l'idole. La bouche ouverte, je le regarde au lieu de parler. » (p.93/196)

« Je crois m'être remis plus vite de la rupture avec Hélène que du départ de Safet Susic du PSG. » (p.110/196)

            Mais Besson n'en démord pas :

« Peu d'auteurs ont ce style d'une précision footballistique. Grégory sait quand passer la belle phrase et quand marquer le bon mot. » (Le Point, ibid.)

 

            Pour Eric Zemmour, c'est autre chose. Plus socio, moins yougo.

« Le foot, encore le foot, toujours le foot. A la télévision, sur internet, dans les journaux. Et dans les livres aussi. Une avalanche de livres. Enseveli sous l'avalanche [sans trop d'effort, EZ aurait pu éviter la répétition !], on en repère un, pas le plus important peut-être, ni le meilleur sans doute. Pour le titre d'abord : Je suis né la même année que PSG attire l'oeil et amuse. L'éditeur a bien joué ! On ouvre, on lit. L'auteur nous raconte sa vie. C'est une autofiction footballistique. » (Figaro du 28 juin 2018)

            Il n'empêche que l'information nous est repassée sous les binocles en 2 semaines : est-il permis de rater le protche ?

            Alors avec Zemmour, c'est forcément politique. Mondialisé, of course.

« [PSG] Une création du show-biz,  de couturiers et de chanteurs, reprise par Canal+ puis par les princes du Qatar. Tout est dit rien que par ses propriétaires successifs. Pas de racines, pas d'histoire, le club du vide mondialisé et cosmopolite. » (Figaro, ibid.)   

Mais pas seulement. Zemmour se fait critique, et comme une teigne balance le verdict !

« Notre Déroulède du PSG a du rythme, de la gouaille, de la tripe. Souvent trop. Trop de "fait chier", trop de longueurs, trop de tunnels, trop de style parlé, relâché auraient dit nos vieux maîtres. Ceux que Protche, né après 68,  n'a pas eus ! N'est pas Céline qui veut.

Zemmour est finaud, loin d'être con. Son papier, c'est pas de la lèche !

 

 

            Maintenant que la question littéraire est pliée, causons au moins ballon rond avec l'auteur, car sur ce terrain-là, l'entente pourrait être cordiale. Citons Zemmour citant Protche :

« Comme le dit joliment Protche, "on devient supporter par la défaite. La victoire, c'est pour les filles, les parents, les médias et les annonceurs, ceux qui n'aiment pas le foot, ceux qui aiment les buts et le spectacle, ceux à qui un score suffit pour résumer un match." Grégory Protche est de la dernière génération qui a connu le football d'avant l'arrêt Bosman de 1995. Et çà change tout ! » (ibid.)

            Bon, personnellement nous avons une tendresse enfantine pour les Sangliers ardennais, du temps de Louis Dugauguez, avec les Lemerre, Gasparini (un gars de Piennes, comme Roger Piantoni), Yves Herbet, Philippe Levavasseur, Michel Watteau...  et l'amour du beau jeu prime sur tout ! C'est pourquoi notre classement pour la Coupe du Monde 2018 est :

1. Belgique

2. Croatie

3. France

 

 

Alexandre Anizy

Evitez de tomber dans la falaise de Patrick Grainville

Publié le par Alexandre Anizy

            Quand une broderie laisse de marbre...

 

 

            Autrefois, Patrick Grainville nous intéressait un peu : dans le paysage littéraire français, il apportait un vent de folie dionysiaque.

            Et cet été, nous sommes tombés dans Falaise des fous (Seuil, janvier 2018, en livrel). Ce produit commercial bien pensé n'a qu'un défaut majeur : être un roman et non pas un récit documentaire. Dès lors, le lecteur ne peut pas prendre pour signe comptant les informations relatives au cercle des artistes peintres disparus.

 

            Ayant passé la limite d'âge, le vieux Grainville aurait mieux fait de se dorer la pilule en contemplant des corps callipyges sur les plages de Corfou.

 

 

Alexandre Anizy

 

En rade amère personne ne reste

Publié le par Alexandre Anizy

            A Brest, la mer est un cimetière.

 

 

            Pour son premier roman titré Rade amère (éditions du Rouergue, 2018, en livrel), Ronan Gouézec fournit une dose punk aux lecteurs saturés de polars formatés : no future en terres de Siam !

            S'il travaille en profondeur, l'auteur pourra émerger.

 

 

Alexandre Anizy