Dès que Jean-Claude Michéa publie un livre comme c'est le cas le 5 octobre avec « le complexe d'Orphée. La gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès » (éditions Climats), les magazines établis comme le nouvel observateur ou marianne s'empressent de le commenter ou de le recevoir. On peut se demander pourquoi, tant le propos est ténu et répétitif.
Il nous semble que l’œuvre de Michéa se construit autour d'une intuition fondatrice : la doctrine de la gauche comme de la droite (PSUMP ou UMPPS) repose sur « le vieux dogme progressiste selon lequel il existe un mystérieux sens de l'histoire, porté par le développement inexorable des nouvelles technologies, et qui dirigerait mécaniquement l'humanité vers un monde toujours plus parfait – que celui-ci ait le visage de "l'avenir radieux"ou celui de "la mondialisation heureuse". » (Nouvel Observateur du 22 septembre 2011, p.108)
Dans « Impasse Adam Smith. Brèves remarques sur l'impossibilité de dépasser le capitalisme sur sa gauche » (Champs Flammarion, février 2006, 192 pages,) Jean-Claude Michéa dit rapidement qu'il n' y a qu' « une seule possibilité de développer de façon intégralement cohérente l'axiomatique ambiguë des Lumières : c'est l'individualisme libéral. » (p.16) Force est de constater aujourd'hui que les pseudo élites qui gouvernent ont intériorisé la théologie libérale comme une contrainte économique incontournable. Si pour Newton l'attraction terrestre soudait les mouvements désordonnés, pour la mécanique sociale les philosophes des Lumières ont opté pour l'intérêt, i.e. l'utilitarisme, alors qu'à la base de la vie humaine, on relève le cycle du don (donner, recevoir et rendre).
« (…) le prétendu réalisme de la science économique repose avant tout sur une représentation purement métaphysique de l'homme (...) » (p.41)
La figure qui incarne le plus cette fin commençante de l'Histoire est le « nomade Bouygues », cet ersatz pathétique de l'humain¹.
« Toute la question, cependant, est de savoir jusqu'à quel point notre corps, et notre psychisme, peuvent, sans défaillir, soutenir cette contrainte capitaliste d'une jeunesse éternelle, c'est à dire d'une existence à jamais atomisée et perpétuellement mobile. » (p.46)
Mais Michéa ajoute que l'utopie libérale a déjà le remède : refabriquer l'homme grâce à la biotechnologie, pour ce que Fukuyamanomme "post-humanité".
Quand au début des années 80 la Gauche établie renonce à la critique radicale du capitalisme, elle se libère en même temps du compromis historique (socialisme ouvrier avec camp républicain contre 1 ennemi, les tenants de l'ordre Ancien) qui la fondait, elle n'est plus alors que "Progrès"et "Modernisation" (éléments de langage de gens aussi sinistres que Hollande, Aubry, etc., sans parler de l'infâme Strauss-Kahn), i.e. toutes les fuites en avant de la civilisation libérale (ce que le médiocre Bertrand Delanoë avoua un jour maladroitement en se disant libéral).
« (…) cette Gauche moderne, ou libérale-libertaire, qui contrôle désormais à elle seule l'industrie de la bonne conscience » est en effet le véhicule adapté pour forger l'infrastructure psychologique et imaginaire d'un monde libre et moderne, i.e. composé d'atomes toujours mobiles qui « vivent sans temps morts et jouissent sans entraves ».
Après « l'impasse Adam Smith », qui était le versant "sciences économiques"de son analyse, Michéa a creusé le sillon pour en proposer ce mois-ci le versant "sciences politiques". C'est du moins ce qui ressort des articles cités ci-dessus. En somme, rien de neuf.
Mais pour ceux qui voudraient plonger, nous signalons que la lecture de Michéa s'apparente au butinage sur la Toile, puisque l'auteur renvoie en permanence les anagnostes modernes dans les notes de bas de page ou les scolies : de cette partie de flipper faiblement philosophique, ils en sortent forcément secoués, à défaut d'être impressionnés.
Alexandre Anizy
(¹) : Michéa n'a vraiment pas tort lorsqu'il écrit : « Les moines-soldats du libéralisme moderne – les Minc, les Attali, et autres Sorman – n'ont jamais ajouté aucune idée véritablement nouvelle à ce vieil évangile. En tout cas, rien qui soit philosophiquement postérieur à ce que l'on trouve déjà au XIXe siècle, dans les œuvres très médiocres d'un J.B. Say ou d'un F. Bastiat. » (p.37)