En 1929, l’éditeur Grasset publiait « une lettre » de l’écrivain vaudois C.F. RAMUZ, l’incipit de « Salutation paysanne » (242 pages). Le lendemain de notre note « la question de la Wallonie », il nous semble intéressant de la résumer, notamment pour un point de différenciation avec la situation wallonne.
Pour commencer, l’écrivain suisse remercie l’éditeur français d’être venu le chercher et d’avoir persisté alors que les ventes n’étaient pas au rendez-vous.
Puis il aborde un deuxième thème : « [votre première lettre] était sortie de l’Etat français pour passer dans un autre Etat où il se trouvait qu’on parlait français (entre autres langues), mais qui n’était plus la France, au sens politique du mot. C’était la France encore par la langue, et ce n’était donc plus la France, tout en l’étant : situation ambiguë (…). Je suis heureux d’être Vaudois ; je suis même fier d’être Vaudois.» (p.15-16)
Mais la frontière n’est pas seulement politique : elle est aussi géographique, parce que la chaîne de montagnes du Jura sépare les 2 Etats. Si le côté français du Jura s’élève progressivement par une succession de plateaux, le côté suisse est « une descente presque à pic, de sorte qu’il n’y a pas symétrie, ni continuité dans la conformation du sol, mais rupture et rupture soudaine ; - et nous sommes ici comme dans un nid, nous autres Vaudois, (…) » (p.19)
Après une description géographique de son territoire, RAMUZ précise : « le Pays de Vaud, comme il s’est appelé dans les vieux temps et il le mérite ; car il est avant tout un pays, quoique tout petit : on veut dire qu’il est complet, qu’il connaît toutes les productions et qu’en cas de besoin, il pourrait entièrement se suffire à lui-même. » (p.22)
« [ce pays] n’a jamais fait partie de la nation française. Et socialement non plus, il n’a jamais pris place dans la collectivité française (…). » (p.24)
Concernant la Wallonie, force est de constater qu’il n’y a pas de frontière géographique entre les 2 territoires politiques.
Le vaudois RAMUZ aborde un troisième thème. « Vous êtes des Français de France, nous des Français de langue et par la langue seulement. » (p.25) Il précise aussitôt : « J’aime votre XVIIe siècle, j’aime le français, un certain français dont il a définitivement sanctionné l’usage, mais n’y puis voir pourtant (parce que je viens du dehors) qu’un phénomène tout occasionnel, tout contingent (…). (…) je me refuse de voir dans cette langue « classique » la langue unique (…) codifiée une fois pour toutes. » (p.28) Et nous arrivons à la préoccupation majeure de RAMUZ : « Et ce ne serait rien encore si seulement « j’écrivais mal », mais on m’accuse encore de mal écrire « exprès », ce qui aggrave mon cas (…). » (p.31)
Le vaudois tient à se justifier : « (…) ayant toujours tâché au contraire d’être véridique et ne m’étant mis à « mal écrire » que précisément par souci d’être plus vrai ou, si on veut, plus authentique (…). Voilà le point central pour moi d’où je suis parti pour bien faire et où on me ramène assez honteusement en me disant que j’ai mal fait. » (p.32)
Pour RAMUZ, le français a deux catégories : le langage académique et le langage parlé. « (…) peut-être qu’on pourrait essayer de ne plus traduire. L’homme qui s’exprime vraiment ne traduit pas. Il laisse le mouvement se faire en lui jusqu’à son terme, laissant ce même mouvement grouper les mots à sa façon. » (p.38-39)
Et RAMUZ a fait son choix : « J’ai écrit (j’ai essayé d’écrire) une langue parlée : la langue parlée par ceux dont je suis né. J’ai essayé de me servir d’une langue-geste qui continuât à être celle on se servait autour de moi, non de la langue-signe qui était dans les livres. » (p.56)
Voilà pourquoi le grand Louis Ferdinand CELINE a dit qu’à part lui il ne restait que RAMUZ.
Alexandre Anizy