Le ghetto français d'Eric MAURIN
Nous tenons à présenter le livre d’Eric MAURIN « le ghetto français » (Seuil octobre 2004, 94 pages, 10,50 €), dont le sous-titre est évocateur : enquête sur le séparatisme social. C’est un remarquable travail d’analyse des données de l’enquête Emploi menée chaque année par l’INSEE, couplée à un travail statistique d’évaluation de la répartition de chaque catégorie sociale de l’enquête et à une comparaison avec une situation théorique de mixité parfaite (i.e. les membres de chaque catégorie sociale étant répartis de manière parfaitement aléatoire sur l’ensemble du territoire).
La cause profonde de ce séparatisme social est « (…) la précocité et l’irréversibilité des mécanismes d’enfermement des individus dans des destins écrits d’avance ». (p. 8) Ce phénomène est apparu à l’orée des années 80 (l’ère mitterrandienne) et la ghettoïsation a commencé par le haut : « (…) l’œuvre des élites qui mobilisent toutes leurs ressources pour se mettre à l’écart » ; « (…) le degré de concentration des personnes les mieux diplômées est plus intense encore que celui des personnes les mieux rémunérées » (p. 14) ; « Les ghettos les plus fermés sont des ghettos de riches ».
La recherche obstinée de la meilleure école primaire (et suivantes) occasionne une course à l’entre soi que le prix du logement permet de réaliser : « Au fil des recensements généraux de la population, la dérive est sans appel : au fur et à mesure qu’elles gagnent en importance, les classes supérieures repoussent les classes moyennes vers les périphéries (…) » (p. 19). C’est la qualité du voisinage qui prime sur celle de l’immeuble ou de la maison.
Eric MAURIN compare la France à d’autres pays, USA notamment : pour résumer, on peut dire que la France n’a pas de leçon à donner en matière de ségrégation territoriale par exemple. Il esquisse aussi quelques axes impératifs d’une politique de changement. Il affirme par exemple : « Il serait utopique d’espérer désamorcer la concurrence pour les meilleurs lycées en gardant l’enseignement supérieur tel qu’il est, avec des grandes écoles ultra - élitistes, des filières universitaires de relégation, et très peu de passerelles entre les deux. » (p. 87)
En effet, on ne gagne pas contre le marché, même quand le marché est sous l’emprise d’un mouvement déraisonnable. C’est André ORLEANS qui a analysé dans ses travaux le comportement des acteurs sur les marchés financiers, où il est paradoxalement rationnel de suivre « un marché emballé ».
La stratégie rationnelle des individus ne peut être contrecarrée que par un changement radical des règles du jeu social, imposé par un Etat légitimé par un vote démocratique, où les valeurs qui régissent la société auraient été clairement débattues.
Encore faut-il que chaque individu croie en la sincérité des autres. Comme en économie, c’est une question de confiance.