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notes culturelles

Mater Dolorosa de Jurica Pavičić

Publié le par Alexandre Anizy

Jurica Pavičić, on en a déjà parlé ici : un auteur attachant qui raconte la Croatie d’aujourd’hui dans le cadre d’un polar bien troussé (Mater Dolorosa, Agullo, 2024).

Alexandre Anizy  

 

La fumée selon Charles d'Orléans

Publié le par Alexandre Anizy

Rondeau 35

 

Jamais feu ne fut sans fumée,

Ni douloureux cœur sans souci,

Ni réconfort sans espérance,

Ni joyeux regard sans plaisir,

Ni beau soleil qu'après l'averse.

 

Ma sentence est vite exprimée :

Qu'un plus savant la tourne mieux !

J'invoque ici mon expérience :

Jamais feu ne fut sans fumée,

Ni douloureux cœur sans souci.

 

Il n'y a pas de jeu sans rire,

De soupir sans quelque regret,

De souhait sans désir brûlant,

De soupçon qui ne déconcerte ;

La chose est prouvée par les faits :

Jamais feu ne fut sans fumée.

 

Charles d'Orléans

(En la forêt de longue attente, Poésie/Gallimard, édition bilingue de Gérard Gros, novembre 2001)

  

Le Liban 1975-1983 selon Frédéric Paulin

Publié le par Alexandre Anizy

             Pour essayer de comprendre le Liban d’aujourd’hui, il peut être utile de commencer par lire ce premier tome d’une trilogie mené bombes pétantes.

 

Plagiant Jean-Luc Manet dans Livres Hebdo, nous disons que Frédéric Paulin, en digne journaleux, novélise le marasme libanais avec son Nul ennemi comme un frère (Agullo, 2024). Sanglant et désespérant.

            On y voit la naissance du Hezbollah, le massacre des Palestiniens dans le quartier de Sabra et le camp de Chatila par les phalangistes chrétiens avec la bienveillance de l’armée israélienne, l’ivresse du pouvoir chez Mitterrand, les débuts d’Action directe, l’opportunisme de Chirac, le raid des Super-Etendards français sur Baalbek et la polémique qu’il déclencha, etc. On suit sans y croire les amours improbables d’une juge… tout va à tombeau ouvert.

 

Pour ceux qui ont connu cette époque, le roman est un rappel des faits avec une mise en perspective. Pour les autres, un pédagogue pourrait dire que c’est une entrée en matière sans prétention. Mais est-ce le but recherché par Paulin ?  

 

Alexandre Anizy  

 

Grégory Rateau en écho d'Alexandre Anizy

Publié le par Alexandre Anizy

            Lisez plutôt.

 

 

Ils ne m’ont rien pris

ils ne m’ont rien laissé

j’ai traversé de longs sommeils

où parfois la figure de l’ami

s’imprimait sur un tissu de lin blanc

mais au réveil

seuls restaient des regrets

et l’éternité à vivre sans illusions

 

Grégory Rateau

(Imprécations nocturnes, Conspiration-éditions, 2022)

 

 

Je suis un ouvrier sans travail

L'auguste chômeur de vos matins givrés

Un chanteur qui décade

Un railleur qui déraille

Ô folle intelligence

Un polémiste sans talent

Le dernier des arrivistes

Un homme sans dieu sans maître

Sans passion

Un dada qui déraisonne

Un jongleur de mots

Qui fait ses pitreries

Un misogyne sans aucun doute

Un poète réaliste

Qui crache sur tout

En bref

Un type sans illusion

Telle est ma définition

 

Alexandre Anizy  

(Lumières froides, editions-abak, mai 2023 – écrits des années 70)

 

De passage d'Andrée Chedid

Publié le par Alexandre Anizy

 

De passage

 

Revit-on jamais

Les moissons d'autrefois

Les errances du passé

Les chimères de jadis

La parole écoulée ?

 

Nos images

Ne sont-elles qu'image

Nos corps

Ne sont-ils que chimie

Nos pensées

Regagnent-elles le giron primordial ?

 

Ainsi dérivent

Nos figures

Si tributaires

Si dérisoires

 

Ainsi nous captive

La Vie

Si prodigieuse

Si illusoire

 

Ainsi s'esquivent

Nos années

Sitôt vécues

Et consommées.

 

Andrée Chedid

(Rythmes, poésie-Gallimard)

 

Ivo Andrić dans la Pléiade, crénom !

Publié le par Alexandre Anizy

Grâce à deux romans extraordinaires, dont nous offrons ici des échantillons pour en goûter la prose, Ivo Andrić devrait selon nous entrer dans la Pléiade.

 

« Ainsi l’homme fraude avec lui-même et devient avec le temps de plus en plus et sans fin débiteur envers lui-même et envers tout ce qui l’entoure. » (La chronique de Travnik, éditions Motifs, juin 2011, p.36)

« Cela signifiait que tous les chemins ne faisaient avancer les hommes qu’en apparence, qu’en réalité ils les faisaient tourner en rond, comme les labyrinthes trompeurs de contes orientaux, et ils l’avaient finalement conduit là, parmi ces papiers froissés et ces brouillons en désordre, en un point où le cercle recommençait, comme à chaque autre point de ce cercle. Cela signifiait qu’il n’existait pas de voie médiane, ce chemin bien droit qui menait à la stabilité, à la tranquillité et à la dignité, mais qu’en réalité tout le monde tournait en rond, en suivant toujours le même chemin trompeur, et que seuls changeaient les gens et les générations qui, trompés en permanence, avançaient sur ce chemin. (…) On avançait, c’était tout. Et avancer n’avait de sens et de dignité que si l’on savait trouver ce sens et cette dignité en soi. Point de chemin, point de but. On avançait, c’était tout. On avançait, on se fatiguait, on s’usait. » (Idem, p.653)  

 

 

« Il arrive en effet que survienne une de ces années exceptionnelles dues à l’action conjuguée et particulièrement bénéfique de la chaleur du soleil et de l’humidité de la terre, lorsque la large vallée de Višegrad frémit d’une force débordante et d’un besoin général de féconder. La terre se gonfle et tout ce qu’elle renferme encore de vivant germe, bourgeonne, se couvre de feuilles et de fleurs et donne au centuple. On voit clairement le souffle de fécondité, on le voit vibrer comme une vapeur bleuâtre au-dessus de chaque sillon et de chaque motte. Chèvres et vaches lancent des ruades et se déplacent avec peine à cause de leurs mamelles pleines et gonflées. Les ablettes, qui chaque année au début de l’été descendent le Rzav par bancs entiers pour frayer à son embouchure, affluent en telle quantité que les enfants les attrapent par seaux dans les bas-fonds, puis les rejettent sur la berge. Même la pierre poreuse du pont se gonfle d’humidité, comme si elle était vivante, nourrie de cette sorte de vigueur opulente qui émane de la terre et plane sur toute la ville comme une chaleur agréable et joyeuse dans laquelle tout respire plus vite et s’épanouit avec plus d’exubérance.

De tels étés ne sont pas fréquents dans la vallée de Višegrad.

Mais lorsque cela arrive, les gens oublient tous les malheurs qu’ils ont connus et ne pensent pas à ceux qu’ils pourraient encore connaître, ils vivent de la vie trois fois plus intense de cette vallée touchée par une fécondité miraculeuse et ne sont eux-mêmes qu’une part du jeu de la chaleur, de l’humidité et de la sève débordante. » (Un pont sur la Drina, poche biblio, p.312)

 

Coeur de Jules Supervielle

Publié le par Alexandre Anizy

Coeur

 

Suffit d'une bougie

Pour éclairer le monde

Autour duquel ta vie

Fait sourdement sa ronde,

Coeur lent qui t'accoutumes

Et tu ne sais à quoi,

Coeur grave qui résumes

Dans le plus sûr de toi

Des terres sans feuillages,

Des routes sans chevaux,

Un vaisseau sans visages

Et des vagues sans eaux.

 

Mais des milliers d'enfants

Sur la place s'élancent

En poussant de tels cris

De leurs frêles poitrines

Qu'un homme à barbe noire,

― De quel monde venu ? ―

D'un seul geste les chasse

Jusqu'au fond de la nue.

 

Alors de nouveau, seul,

Dans la chair tu tâtonnes,

Coeur plus près du linceul,

Coeur de grande personne.

 

Jules Supervielle

(Oeuvres poétiques complètes, La Pléiade)

 

 

Le déluge de Dolores Redondo

Publié le par Alexandre Anizy

            Le talent peut-il jaillir sans travail ?

 

Nous ne le pensons pas et En attendant le déluge, le dernier opus de Dolores Redondo (Gallimard, 2024), en fait une nouvelle fois la démonstration (lire ici ).   

Au diable la redondance, parce que Redondo le vaut bien ! 

 

Alexandre Anizy  

 

Un autre eden pour James Lee Burke

Publié le par Alexandre Anizy

Il y avait longtemps que nous n’avions pas lu un « noir mélancolique » de James Lee Burke, sans doute l’un des plus grands auteurs américains du genre (lire ici ). Un autre eden (Rivages noir, 2024) nous permit d’en retrouver la patte.

Hélas, si le versant psychologique y est soigné, le versant surnaturel masque la débilité de l’affaire en nous ennuyant. De plus, malgré la palanquée de personnes remerciées par l’auteur, il est navrant de voir une Mustang rouge (c’est au mitan des années 1960 que Ford sortit cette voiture ; p.27/222), quand la présentation de l’ouvrage situe l’action au début des années 1960… Ce n’est pas sérieux.

Oublions vite cet opus, peut-être alimentaire.  

        

Alexandre Anizy  

 

Françoise Hardy vue par Prévert

Publié le par Alexandre Anizy

            C'est ce qu'elle inspira au poète. 

 

Une plante verte  

 

            Dans les serres de la ville, une plante verte chante la vie

 

            Françoise Hardy

 

            Elle écrit les paroles, les mots de ses chansons et c'est cartes à jouer ! reines de l'enfance, reines de la jeunesse, de la tendresse coupées par le roi noir de la lucidité.

            Elle chante le désarroi des amours d'aujourd'hui, la liberté dangereuse de l'amour libéré, le lancinant tourment de l'amour séparé.

            La vie d'« fille comme tant d'autres », c'est tout cela qu'elle chante, tout simple, tout vrai.

            Peu importe de savoir où elle est si elle est « dans le vent ».

            Le vent est dans le temps.

            Le temps est un oiseau vivace, rapide, indifférent et lent.

            Dans les serres du temps, une belle fille toute droite chante contre lui, en souriant. 

            Chante l'amour perdu, retrouvé, partagé et l'on est sous le charme.

            D'autres attendent sous l'orme, regardent le temps passer sans voir ce qu'il y a dedans.

            Sous le charme de Françoise Hardy on entend palpiter la vie.

 

Jacques Prévert

(Textes divers, Pléiade, Oeuvres complètes, vol.II)

 

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