"Voici le temps des imposteurs" de Gilbert Cesbron
Si « Voici le temps des imposteurs » n'est pas le meilleur roman de Gilbert Cesbron, il est sans doute le plus critique. En effet, on peut y lire la description sans tabous (une concession ironique à la mode verbale) du monde cynique de la presse : commencer par la prise de pouvoir grotesque au journal collaborationniste le Soir, par trois Résistants quasi débutants, situe d'emblée le problème.
Bien sûr, le style sobre et incolore ne vous marquera pas. Mais il a au moins le mérite de la justesse.
« Et voici qu'au lendemain des journées d'août [1944, ndAA], parée de la victoire des autres et se baptisant « peuple », cette foule arrogante et veule instituait ses tribunaux populaires et réclamait la mort du vieux souverain qu'elle avait idolâtré. Les soldats étaient repartis, les héros se tenaient à l'écart et, pour se justifier à leurs yeux, les lâches donnaient la chasse à plus lâches qu'eux. » (p.58 de l'édition 1974 du Service Culturel de France, empruntée à la bibliothèque municipale)
En lisant ce passage, nous pensons à Alphonse Boudard (« les combattants du petit bonheur »; en poche) : lire notre note http://www.alexandreanizy.com/article-15357832.html .
Dans cet ouvrage de Cesbron, on voit une peinture au vitriol des ambitions marchandes et morales du milieu de la presse, à travers des personnages inspirés par des monstres sacrés comme Pierre Lazareff ou Daniel Filipacchi. On est loin de la vénération que leur porte Philippe Labro dans son bouquin « un début à Paris » (Gallimard, 1994, 349 pages, 125 FRF) : lire notre note http://www.alexandreanizy.com/article-27601174.html .
Alors qu'il était populaire, i.e. un gros vendeur, après la parution de ce livre en 1972 la visibilité de Gilbert Cesbron dans les médias n'était plus comparable à celle d'autrefois, quand il se contentait d'être un écrivain catholique sensible aux réalités sociales : était-ce une mesure de rétorsion immédiate ?
Quoi qu'il en soit, le mal dénoncé par Gilbert Cesbron est fait : pire, les choses se sont agravées, puisque les médias forment un rouage essentiel de la formation de l'opinion publique dans la société du spectacle. C'est pourquoi la presse actuelle, qui ressemble de plus en plus à la Cour de Versailles où des courtisans de toutes sortes vivaient au crochet de l'Etat ou se ruinaient pour en être, est maintenant investie par les rejetons de l'aristocratie.
Alexandre Anizy