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notes culturelles

Le fantôme de Richard Brautigan

Publié le par Alexandre Anizy

            Il y a le ciel, le soleil et la mer, mais tout passe, tout casse, tout lasse. Pourtant, que la montagne est belle !

 

 

Sonnet  

 

La mer est comme

un vieux poète bucolique

mort d'une

crise cardiaque dans

des latrines publiques.

Son fantôme hante

encore les urinoirs.

La nuit, on peut

l'entendre qui tourne

en rond pieds nus

dans le noir.

Quelqu'un a volé

ses chaussures.

 

 

Richard Brautigan

(C'est tout ce que j'ai à déclarer, Le Castor astral, édition bilingue, novembre 2016)

 

De la bande à Macron selon Cavafis

Publié le par Alexandre Anizy

            Le recrutement sur curriculum vitae d'une troupe de godillots n'augurait rien de bon, et dans quelques années, d'aucuns s'étonneront des affaires. En attendant les barbares, la mytholepsie * du monarque de cabaret en devient risible.  

 

 

 

A l'enseigne du célèbre philosophe

 

Il suivit pendant deux ans les cours d'Ammonios Sakkas ;

puis il en eut assez de la philosophie et de Sakkas.

 

Sur quoi il est entré en politique

Mais pour l'abandonner. Le Sous-préfet était stupide ;

et son entourage, des bûches solennelles et compassées ;

c'est peu dire que leur grec était barbare, les misérables.

 

Un temps, sa curiosité fut attirée

par l'Eglise ; se faire baptiser

et devenir Chrétien. Mais bien vite,

il changea d'avis. Il se fâcherait certainement

avec ses parents, traditionalistes notoires,

et ceux-ci lui couperaient ― chose affreuse ―

sur-le-champ leurs généreux subsides.

 

Il lui fallait pourtant bien faire quelque chose. Il devint

l'habitué des mauvais lieux d'Alexandrie, le pilier

des repaires les plus inavouables de la débauche.

 

En cela, la destinée s'était montrée favorable ;

elle lui avait donné un visage des plus agréables.

Et lui, profitait de ce don du ciel.

 

Sa beauté durerait bien pendant

une dizaine d'années encore. Mais après ―

peut-être irait-il à nouveau chez Sakkas.

Et si entre-temps le vieillard venait à mourir,

il irait chez un autre philosophe ou sophiste ;

ce ne sont pas les gens compétents qui manquent.

 

Ou pour finir, il n'est pas impossible qu'il se remette

à la politique ― se souvenant méritoirement

de ses traditions familiales, du devoir

envers la patrie, et d'autres clichés tapageurs de ce genre.

 

Constantin Cavafis   

 (En attendant les barbares et autres poèmes, Poésie/Gallimard)

 

 

* Lire l'excellent article de Christian Salmon :

https://www.mediapart.fr/journal/france/140420/emmanuel-macron-met-la-france-sous-hypnose

 

Post-scriptum

            Hier après-midi à l'Assemblée Nationale, les soudards macronistes ont profité du texte sénatorial (2) visant à la protection juridique des maires et des employeurs... pour l'élargir (1) aux membres du gouvernement etc. : le parapluie géant de l'impunité générale est ouvert.

            Après le capitaine de pédalo, la France est dirigée par un moussaillon mytholepse, assisté par un quartier-maître sournois qui, en énacrate briscard de la politicaillerie, prend soin de protéger d'abord ses fesses.

 

(1) Bruno Retailleau chez Jean-Jacques Bourdin sur BFM-RMC, jeudi 7 mai 2020 à 8h30.

(2) Cf. L'imMonde du 7 mai 2020.

 

L'humanisme de Pessoa

Publié le par Alexandre Anizy

             Ah, si tous les gars du monde suivent le précepte de Fernando...   

 

 

Ne dis aucun mal de personne :

C'est de toi que tu dis du mal

Lorsque contre autrui tu bougonnes.

Chacun à chacun est égal.

 

Fernando Pessoa

(Pléiade, Oeuvres poétiques)

 

Polar cramé d'Eric Todenne

Publié le par Alexandre Anizy

 

            A cette aune-là, même Karine Tuil (lire ici ) a du talent !   

 

 

            Samedi soir, après tant de jours sous confinement, une envie de changement d'atmosphère nous ramena en Lorraine (1) par le biais d'Eric Todenne et Terres brûlées (Viviane Hamy, 2020, en livrel), dont on venait de lire du bien (2). Telle était du moins l'intention. Mais face à une sorte d'énumération permanente, la tablette faillit tomber des mains. Situer le personnage à Nancy n'impliquait pas d'écrire avec des sabots.

 

La 4 L camionnette jaune s'était immobilisée devant la porte du pavillon de l'avenue des Chartreux. Une portière s'ouvrit, le gravier crissa sous les pieds du facteur, le clapet de la boîte aux lettres grinça puis se rabattit dans un bruit métallique. (p.73/260)

 

            C'est là que nous désertons la ligne Todenne.

 

Parce que :

― entre 4 L et camionnette, il fallait choisir ;

― le gravier crisse toujours dans les mauvais livres ;

― grincer, bruit métallique... et badaboum.  

Amusons-nous un peu en rewritant (anglicisme choisi spécialement pour Todenne) :  

" Avenue des Chartreux, la 4 L jaune s'immobilisa devant le pavillon. Le facteur pénétra dans le jardin pour déposer le courrier dans la boîte grinçante."

 

 

            Il paraît qu'ils sont deux pour mijoter les plats (2).  L'union ne donne pas le talent, voilà la morale du jour.

 

 

Alexandre Anizy

 

 

(1) Profitons de ce billet pour dire que MC Solaar a écrit une chanson magnifique : Les mirabelles.  A écouter sans modération !!

(2) Marianne Payot dans L'express du 23 avril 2020.

 

Le tambour de William Melvin Kelley

Publié le par Alexandre Anizy

            Le premier roman de William Melvin Kelley mérite l'attention des amateurs.

 

 

            Pourquoi Tucker Caliban fait-il cette chose dingue ? « C'était fini maintenant. Presque tous les hommes qui flânaient sous la véranda de l'épicerie Thomason s'étaient rendus à la ferme de Tucker Caliban ce jeudi où tout avait commencé, mais aucun d'eux, à l'exception peut-être de M. Harper, ne s'était douté que c'était le commencement de quelque chose. » (incipit de Un autre tambour, Delcourt, 2019)    

 

 

Alexandre Anizy

 

Haïku de Kerouac

Publié le par Alexandre Anizy

            Dans l'avalanche, une perle sacrilège ― mon œil chaleureux  

 

 

 

Juju beads on                                                                Gri-gri sur le

        Zen manual ―                                                                 manuel zen ―

My knees are cold                                                          Froid aux genoux

 

Jack Kerouac                                        (Le livre des haïku, la petite vermillon,

                                                          trad. Ph. Mikriamos dans Poèmes, Seghers)

                                                                                

 

Visa transit de Nicolas de Crécy

Publié le par Alexandre Anizy

            Billet furtif.  

 

 

            En mai 2019, Nicolas de Crécy ajoutait un item  à sa longue bibliographie : Visa transit (Gallimard Jeunesse, en livrel). L'intérêt ? C'est le dessin qui maintient le lecteur dans cette pérégrination insipide.

 

 

Alexandre Anizy

 

 

P.S. : les incrustations du poète Michaux surprennent agréablement dans cette non-aventure.

 

 

Ce que nous dit "Libres d'obéir" de Johann Chapoutot

Publié le par Alexandre Anizy

            Voilà un essai que les coquelets de l'élisphère n'étudieront pas à HEC, Insead, Polytech. etc. Grand mal leur fasse !

 

 

            Johann Chapoutot est un historien spécialiste du nazisme : son œuvre, à commencer par sa thèse Le national-socialisme et l'Antiquité soutenue en 2006, en témoigne déjà abondamment. Dans son nouvel essai Libres d'obéir, le management du nazisme à aujourd'hui (Gallimard, décembre 2019), il montre l'héritage nazi dans les théories modernes du management : par exemple, le Management par objectif de Peter Drucker n'est que la version allégée du "management par délégation" de Reinhard  Höhn (membre du NSDAP et de la SA, ce juriste très actif, fait Général, a échappé aux poursuites pénales en 1945, comme l'essentiel des dirigeants nazis avec la bénédiction américaine, pour continuer sa recherche et enseigner le management aux "pas si nouveaux dirigeants" allemands). Un lecture édifiante.

 

            Ici, nous voulons d'abord relayer les travaux de Chapoutot qui établissent des faits : « L'Allemagne nazie fut une organisation complexe où le pouvoir chercha à acheter le consentement par le contentement et fut en négociation ― au moins tacite ― quasi permanente avec son peuple (...). Cette réalité politique, participative plus que répressive [c'est nous qui soulignons], avait un sens idéologique (...)» (p.130)

            Maintenant, à partir du constat de Chapoutot (le nazi « Höhn n'a jamais abandonné son cadre conceptuel de référence, à la fois principe et idéal ― celui de la communauté, fermée de préférence. » p.123), nous voulons esquisser une problématique qui pourrait être un sujet de thèse. En 1949, la République Fédérale d'Allemagne (RFA) était prête pour la reconquête, puisqu'elle possédait :

  • sa stratégie : l'atlantisme ;
  • son idéologie : l'ordolibéralisme (de Walter Eucken, entre autres) ;
  • son organisation : l'économie sociale de marché (d'Alfred Müller-Armack, ex NSDAP) ;
  • sa méthode : le management par délégation (de Reinhard Höhn, ex NSDAP). 

 

 

            Libres d'obéir de Johann Chapoutot est un essai transformé, parce que chaque lecteur en sort avec son questionnement.

 

 

Alexandre Anizy

 

 

P.S. :  Le meurtre de Weimar de Johann Chapoutot vient de ressortir (PUF, Quadrige, 96 pages, 10 €) : le fait qui pousse Hitler à l'épreuve de force avec le pouvoir politique, l'épuration des SA... Clair et précis.

L'hôpital permanent de Pessoa

Publié le par Alexandre Anizy

            D'actualité.   

 

 

La vie n'est rien qu'un hôpital

Dans lequel manque presque tout.

Ainsi nul n'y guérit son mal :

On ne s'en sort que dans un trou.

 

Fernando Pessoa

(Pléiade, Oeuvres poétiques)

 

 

Les grigris vus par Andrée Chedid

Publié le par Alexandre Anizy

            Que de béquilles opiacées pour les petits hommes ! 

 

 

 

Pour mieux tenir debout

L'homme inventa la fable

Se vêtit de légendes

Peupla le ciel d'idoles

Multiplia ses panthéons

Cumula ses utopies

 

Se voulant éternel

Il fixa son oreille

Sur la coquille du monde

A l'écoute

D'une voix souterraine

Qui l'escorte    le guide

Et l'agrandit

 

Andrée Chedid

(Rythmes, poésie-Gallimard)