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notes culturelles

Les intellectuels les allumettes et Prévert

Publié le par Alexandre Anizy

A méditer avant d'aller voter.

 

IL NE FAUT PAS

 

Il ne faut pas laisser les intellectuels jouer avec les

allumettes

Parce que Messieurs quand on le laisse seul

Le monde mental Messssieurs

N'est pas du tout brillant

Et sitôt qu'il est seul

Travaille arbitrairement

S'érigeant pour soi-même

Et soi-disant généreusement en l'honneur des travailleurs du bâtiment

Un auto-monument

Répétons-le Messssieurs

Quand on le laisse seul

Le monde mental

Ment

Monumentalement.

 

Jacques Prévert

(Paroles, dans la Pléiade, volume 1, 1992)

 

La sagesse selon Aya Cheddadi

Publié le par Alexandre Anizy

 

Sagesse des enfants blessés

 

Est-il concevable de nier

qu'un jour le corps et le monde

ont divorcé

 

Derrière la jeunesse apparente

de la peau le spectre de ce qui

aurait pu rentrer dans la file continue

des êtres marchant vers la mort

 

Vie ou mort l'un est le mensonge de l'autre

et il suffit de rire pour que toute plainte

sonne creux faux

inauthentique

 

Ne pas attendre la compassion

Qui trop réelle emprisonne

dans une image diminuée

du temps imparti

 

Solitude obligatoire

feuille de chêne qui s'effrite

dans un tableau réussi m'a dit ma mère

on s'aperçoit que tout meurt

 

Un avant-goût de vieillesse

Peut-être arriverai-je un jour

à l'aimer cette sagesse

des enfants blessés

 

 Aya Cheddadi

(dans la revue ARPA n°120-121 d'octobre 2017)

 

Why not James Sallis ?

Publié le par Alexandre Anizy

            Bourlingueur, James Sallis a gratté dans le milieu intellectuel. A 72 ans, il a publié un texte un brin fataliste.  

 

 

            Peut-on vraiment parler de polar à propos de Willnot de James Sallis (Payot & Rivages, 2019, en livrel) ? Pas vraiment, même si les morts suspectes, les coups de feu, le fugitif, le FBI et le shérif ne manquent pas. Point d'enquête puisque le personnage central est un médecin qui voit les choses et les hommes venir à lui. Le désenchantement règne dans cette histoire, et c'est pourquoi le titre pourrait être interprété comme un "non futur" ou une "non volonté". Gide, Camus, l'école de Francfort étant cités, ce qui est rare dans un roman noir américain, on pense alors au I would  prefer not to du Bartleby d'Herman Melville. Réaliste sans amertume, Sallis ose une assertion sur son métier :

            « Les écrivains - les artistes - sont des produits. Et les produits se périment. » (p.33/180)

            Willnot est un roman encombré, le fruit soit d'un remplissage talentueux, soit d'un capharnaüm maîtrisé. Il n'empêche qu'il mérite un détour, puisque le style est singulier.

 

 

Alexandre Anizy

 

L'illusion de Gilda Piersanti

Publié le par Alexandre Anizy

            L'écrivaine Piersanti parvient à maintenir l'illusion pour garder le lecteur : est-ce suffisant ?

 

 

 

            Avec beaucoup de talent et de métier, Gilda Piersanti a construit "Illusion tragique " (Le Passage édition, 2017), un polar où elle mêle fiction et réalité. Finalement, nous ne sommes pas convaincus.

 

 

Alexandre Anizy

L'enfant et la bouteille de Richard Brautigan

Publié le par Alexandre Anizy

            Si les enfants Carlos Ghosn et Jérôme Cahuzac avaient su, peut-être...

 

 

La bouteille

            Partie 3

       

Un enfant se tient immobile.

Il tient une bouteille dans ses mains.

Il y a un bateau dans la bouteille.

Il le regarde sans cligner

des yeux.

Il se demande où le petit bateau

peut naviguer s'il est retenu

prisonnier dans une bouteille.

Dans cinquante ans

tu le sauras, capitaine Martin,

car la mer (vaste comme elle est)

n'est qu'une autre bouteille.

 

 

Richard Brautigan

(C'est tout ce que j'ai à déclarer, Le Castor astral, édition bilingue, novembre 2016)

 

Vénus de Scerbanenco

Publié le par Alexandre Anizy

            Puisqu'on reparle de Simenon, il serait bon d'en faire autant pour Giorgio Scerbanenco.

 

 

            Pour découvrir cet auteur italien né à Kiev (1911 - 1969), prenez par exemple Vénus privée (Rivages, septembre 2010, poche à 8,50 €) et vous ne serez pas déçus.

            « Elle était grande, en effet. Elle l'attendait debout à la porte du bar. Il fut impressionné car, dès qu'il fut descendu de la Giulietta, elle vint vers lui, avec cette chaleur dans la démarche et dans le regard, comme si elle revoyait un ami très cher. Il y a encore dix minutes, il ne savait pas qu'il existait en ce monde, et aussi proche, une amie comme elle. » (p.134)

            Bien écrit, bien ficelé, ce polar vous guidera dans la société italienne.

 

 

Alexandre Anizy

 

L'harmonie silencieuse de Ron Rash

Publié le par Alexandre Anizy

            Dans les Appalaches, l'ordre brutal de l'économie de marché règne et c'est la main invisible du shérif qui contient la fureur. 

 

 

            Un bidon de carburant déversé intentionnellement dans une réserve de poissons va permettre au shérif Les d'éviter une injustice grâce à son obstination, de mettre les affaires au net pour un passage de témoin en douceur, de payer une dette personnelle. C'est tout cela que Ron Rash raconte dans Le silence brutal (Gallimard, collection noire, 2019), en mêlant délicatement deux styles :

            « Je m'assieds sur un sol qui fraîchit, bientôt humide de rosée. Près de moi une charrue à versoir abandonnée de longtemps. Des lianes de chèvrefeuille enroulent leurs verts cordons, des fleurs blanches accrochées là comme de petites ampoules de Noël. J'effleure un manche qu'ont poli rotations de poignet et suantes étreintes. Le souvenir des mains de mon grand-père, rondes de cals et aussi lisses que des pièces de monnaie usées. » (p.6/191) ;

            « Je n'arrivais déjà plus qu'en milieu de matinée, laissant Jarvis Crowe, mon successeur, s'habituer à faire tourner la baraque tout seul. Une semaine tranquille, donc. Mais quand je débarquai le lundi au bureau, Ruby, notre répartitrice de jour, m'apprit qu'il n'en serait rien. » (p.8/191)  

 

            La quête de la pureté n'est-elle pas la mère de tous les vices ? Il apparaît de nos jours que Le Vatican et ses confrères en savent beaucoup sur le sujet.

 

 

Alexandre Anizy

 

L'absurdité de Cheng

Publié le par Alexandre Anizy

            Sisyphe à la mode de François Cheng. 

 

 

Creuser vers la profondeur du dedans,

C'est affronter les défis du dehors.

Plus on gravit la transcendance sans nom,

Plus on appréhende en soi le sans-fond.

 

 

François Cheng

(Enfin le royaume, Gallimard, mars 2018)

  

Ambulance haïku de Richard Brautigan

Publié le par Alexandre Anizy

            A bien y réfléchir, il y a un poème de Brautigan pour chaque moment de l'existence.

 

 

Ambulance haïku    

 

Un morceau de poivron vert

            est tombé

du saladier en bois :

            et alors ?

 

 

Richard Brautigan

(C'est tout ce que j'ai à déclarer, Le Castor astral, édition bilingue, novembre 2016)

Ali Zamir n'est pas Dérangé

Publié le par Alexandre Anizy

            Le monde francophone a besoin d'un espace de dialogues et d'échanges, où chacun pourrait plus facilement découvrir des créateurs comme Ali Zamir.

 

 

            Grâce à un journal pas forcément culturel, nous apprîmes qu'Ali Zamir, écrivain comorien bourré de talent, venait de publier son troisième roman, titré Dérangé que je suis (Le Tripode, hiver 2019, 17 €).

            « Le ciel n'était qu'un monde majestueusement illuminé par ces nymphes autour de l'astre de la nuit. Ce soir-là, la lune aveuglait le regard et moi, je n'étais qu'un grain, un pépin qui flottait dans un océan. Mon regard était captivé par cet éblouissement, ma pensée capturée comme une proie, mon corps laissé comme un objet aux côtés des Pipipi. » (p.133) (1)

            Tout le livre est à l'avenant : un style magnifiquement ciselé. La langue est si bien travaillée que le texte vire à la préciosité, puisque l'architectonique est ténue. Pourtant, Dieu sait que la situation comorienne génère bien des misères et des injustices, autrement dit des drames. Alors ne désespérons pas : puisque le zéphyr de la bienveillance a déjà touché Zamir, viendra le moment de la restitution de son humaine compréhension.

 

 

 

Alexandre Anizy

 

 

(1) La répétition de regard gâche un peu le paragraphe.