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Des destins de William Cliff

Publié le par Alexandre Anizy

            William, un vieux garçon toujours dans le vent...

 

 

 

Je passe tout mon temps écrivant de la poésie

comme pour graver dans l’écoulement du temps

une éternité que j’aurais choisie.

 

Hélas ! hélas ! j’ai la tête toute moisie

par des idées, des lambeaux noirs entre mes dents

me faisant croire avoir des soucis importants

malgré mon rêve ancré aux abysses du Vide.

 

Eh bien, mon cœur, à travers ce temps qui vous mord,

tendez votre aile frêle et sans plus de remord

prenez votre envol et gravissez la grisaille !

 

Allez, allez malgré tout ce qui vous assaille,

ces noirs autans qui vous mitraillent de tous bords,

allez, allez déverser votre âpre criaille

au mauvais temps qui vous canarde là dehors !

 

 

William Cliff

(Des destins, La Table Ronde, 2023)

A part d'Andrée Chedid

Publié le par Alexandre Anizy

 

A part

 

A part le temps

Et ses rouages

A part la terre

En éruptions

A part le ciel

Pétrisseur de nuages

A part l'ennemi

Qui génère l'ennemi

 

A part le désamour

Qui ronge l'illusion

A part la durée

Qui moisit nos visages

 

A part les fléaux

A part la tyrannie

A part l'ombre et le crime

Nos batailles nos outrages

 

Je te célèbre ô Vie

Entre cavités et songes

Intervalle convoité

Entre le vide et le rien.

 

Andrée Chedid

(Rythmes, poésie-Gallimard)

 

Terra Alta II et III de Javier Cercas

Publié le par Alexandre Anizy

            Que penser de la trilogie (pour l’instant) ?

 

Quand nous avons lu le premier tome au moment de sa parution, nous n’avons pas estimé utile d’en parler, d’autant que nous avions déjà écrit sur cet auteur (lire ici). Mais puisque rien ne suscitait notre envie dans la production pléthorique des polars, nous achetâmes la suite.

Indépendance (Acte sud, 2022) est caustique : Javier Cercas dégomme la bourgeoisie d’affaires indépendantiste de Catalogne, plus intéressée par le Pouvoir que par l’indépendance de la province.

Le château de Barbe-Bleue (Actes sud, 2023) surfe sur l’actualité des milliardaires prédateurs sexuels, et la corruption à Majorque. Structuré habilement, bien écrit.

« Après Le Monarque des ombres, le premier livre – très difficile – que j’aie jamais voulu écrire, car il parlait du passé franquiste d’une partie de ma famille, j’ai eu la certitude que j’avais clos le cycle narratif de l’autofiction. Si je le poursuivais, je courais le risque de me répéter ou de m’imiter. J’ai senti l’urgence de me réinventer », racontait Cercas en 2021¹.

 Changement réussi, et bénéfique puisque l’auteur a reçu le prix Planeta en 2019.

 

Alexandre Anizy  

 

(¹) imMonde du 21 mai 2021.

Pas la dalle chez Fred Vargas

Publié le par Alexandre Anizy

            Avec cette autrice, on lit à sa faim.

 

Nous étions en froid avec Fred Vargas (lire ici ), mais son nouvel opus Sur la dalle (Flammarion, 17 mai 2023, en livrel¹) la remet à son niveau, mis à part le titre faiblard : à ce compte-là, pourquoi pas « dans le foyard » ?

 

Alexandre Anizy  

 

(¹) Ayant dû changer très souvent la taille de police pour ne pas en perdre des bribes, nous ne félicitons pas Flammarion pour la qualité du produit, encore moins le sous-traitant Pixellence pour la fabrication.

Emotion de Nakahara Chûya

Publié le par Alexandre Anizy

Emotion d’un soir de printemps

 

Cesse la pluie, souffle le vent.

 Les nuages passent, cachent la lune.

Messieurs dames, ce soir est un soir de printemps.

 Très tiède, souffle le vent.

 

Je ne sais quel profond soupir,

 Je ne sais quelle lointaine vision,

S’éveille, et pourtant insaisissable.

 A quiconque, indicible.

 

C’est une chose à quiconque

 Indicible, et pourtant, justement,

N’est-ce pas ce qu’on dit être la vie ?

 Et pourtant, inexplicable…

 

Ainsi, les hommes, seul à seul,

 Sentent avec leur cœur, et s’ils se regardent,

Se sourient gentiment, mais c’est tout.

 Et ainsi donc, s’en va leur vie !

 

Cesse la pluie, souffle le vent.

 Les nuages passent, cachent la lune.

Messieurs dames, ce soir, est un soir de printemps.

 Très tiède, souffle le vent.

 

Nakahara Chûya

(Poèmes, traduction de Yves-Marie Allioux, éditions Philippe Picquier, poche, 2018)

De Pessoa à Montaigne

Publié le par Alexandre Anizy

Presque anonyme tu souris,

Le soleil dore tes cheveux.

Ah, pourquoi donc, pour être heureux,

Est-ce qu'il faut n'en rien savoir ?

 

Fernando Pessoa

(Pléiade, Oeuvres poétiques)

 

Nous reviennent alors les mots de Montaigne :

Jamais homme n'est donc heureux puisqu'il ne l'est qu'après...

 

 

La gemme d'Ali Cobby Eckermann

Publié le par Alexandre Anizy

            Vient le temps du renouveau poétique : l’exemple Eckermann.

 

            Il nous semble que partout dans le monde les lecteurs sont lassés des romans sortis des fabriques d’écriture, des pleurnicheries autofictionnelles, des choses écrites sans âme ni souffle. Ah ! La chaîne, forcément. Ils peuvent alors se tourner vers la poésie, si elle ose déborder du formalisme qui la cadenasse depuis si longtemps.

            Ruby moonlight d’Ali Cobby Eckermann (éditions Au vent des îles, 1er trimestre 2023, traduction de Mireille Vignol), qui illustre notre propos, est un récit poétique du massacre des aborigènes et d’un amour impossible. En voici deux extraits.

 

Embuscade

 

crac

crac

crac

crânes

corps

cœurs

clan massacré

mourants

mourants

morts

 

En quelques mots qui claquent, cognent, saignent, on y baigne…

 

Tempo

 

lever de soleil

passent les jours

coucher de soleil

 

les feuilles se transforment

passent les semaines

les étoiles se décalent

 

le soleil s’adoucit

passent les mois

l’air se rafraîchit

 

     l’hiver revient

 

Ali Cobby Eckermann

Ruby moonlight. Un roman sur l’impact de la colonisation en Australie du Sud dans les années 1880.  

 

Leçons du poète Jacques Réda

Publié le par Alexandre Anizy

            Jacques Réda est lorrain et il aime les arbres ; alors il est naturel que nous le rencontrions, même tardivement.  

 

       Achevé d’imprimer par Floch à Mayenne en janvier 2023 (éditions Gallimard), Leçons de l’arbre et du vent est le dernier recueil du poète Jacques Réda, dont la ligne poétique fait écho à la nôtre dans Uniterrien ( editions-abak.com , 2023).

            Picorons allègrement.

 

Désormais,  profaner semble un devoir du prêtre. (p.22)

 

Si l’Arbre écrit souvent un poème admirable,

Solitaire ou dans l’épaisseur d’une forêt,

C’est que le sol était d’avance favorable.

(…)

Les arbres ont trouvé leur trajectoire entière

Inscrite dans le plan global de l’univers,

A l’inverse de notre engeance condamnée,

Toujours plus hardiment, année après année,

A le combattre pour survivre. Ainsi les vers… (p.42)

 

A la chasse du vrai, nous allons donc d’erreur

En erreur, en progrès fomentant des ravages.

(…)

Pour tempérer l’effet de ma dernière strophe,

Et faire un sort à mon statut de vieux ronchon,

J’ajouterai que l’homme est peut-être un bouchon

Apte à flotter de catastrophe en catastrophe. (p.48)

 

Un dernier souffle, pour la route…

 

Moi qui ne suis pas plus coupable que les autres

Mais pas moins, je demande à tant de bons apôtres

Qui nous avaient promis un monde sans défauts,

De revoir leur copie où presque tout est faux  ̶ 

La santé, le confort, l’euphorie éternelle  ̶ ,

Bonimenteurs dont on connaît la ritournelle,

Sans pour autant vouloir engager un débat.

A quoi bon ? (p.84)

 

 

Reine rouge de Juan Gomez-Jurado

Publié le par Alexandre Anizy

Si vous supportez le surnaturel magique dans le genre policier (à dose homéopathique), alors vous devriez lire Reine Rouge de Juan Gomez-Jurado (Fleuve noir, édition numérique 12-21).

 

Alexandre Anizy 

 

Roman zénithal de Philippe Claudel

Publié le par Alexandre Anizy

            Longtemps nous avons fui les œuvres de Philippe Claudel, bien qu’il soit du pays lorrain. Sa production prolifique et son activité cinématographique nous rendaient méfiant.

 

Arrive sur les tables des librairies son dernier roman titré Crépuscule (Stock, 2023, en livrel)¹ : l’œil est attiré et quelques recensions en disent le thème. Cette fois-ci, on peut se rencontrer. 

            Dès la première page, le charme opéra, tant la qualité du style estomaquait : « Il ne savait jamais quoi faire non plus de ses mains qu’il avait épaisses, larges, eczémateuses et gonflées. Par sa timidité pataude et sa masse, l’Adjoint évoquait un bœuf ou un cheval de trait. Ne lui manquait que le piquet auquel l’attacher pour le temps de sa vie, et le merlin pour la finir. »

« Leurs croquis achevés, les deux hommes s’étaient retirés dans le Poste. Baraj avait bourré la cheminée de fagots de genévriers et de deux bûches de chêne qu’il fendait dans ses moments de désœuvrement. Ceux-ci étaient si nombreux que le bûcher occupait tout le bas du Poste, et en faisait le tour, ne laissant pour ouvertures que celle de l’entrée sur le devant, et sur le derrière celle de la grande porte de l’écurie où les rosses rhumatisantes achevaient leur existence en mâchonnant du foin. Le bois ainsi accumulé donnait au bâtiment déjà courtaud une allure de fortin imprenable. » (p.16/328)

Plus loin : « Ce n’était pas à proprement parler la laideur de chacun qui se révélait ainsi, par un jeu d’éclairage et d’ombres, mais son origine irrémédiablement animale, cette bestialité tapie en chaque être humain, maquillée de manières et d’habits, qui n’attend que son heure pour éclore et pousser son groin au grand jour. » (p.72/328)

            Et encore : « Voilà un mois qu’avait eu lieu le meurtre du Curé Pernieg. L’épisode de la profanation de la mosquée et des souillures peintes sur les maisons musulmanes ne fut pas suivi d’un autre incident majeur, alors même que la communauté le redoutait, tandis que de nombreux habitants chrétiens de la petite ville quant à eux l’espéraient, ces bonnes âmes droites, batraciens de bénitier, récitant chaque soir en chemise avant de se coucher leurs Ave et leurs Pater, les genoux meurtris au sol et la nuque ployée, mais le cœur plein de fiel. » (p.135/328)

 

            Alors nous nous interrogeâmes : avons-nous raté cet écrivain talentueux depuis longtemps ? Pour y répondre, rien de mieux que de plonger dans son premier roman : Meuse, l’oubli (Balland, octobre 2000). Si le motif est ténu, le style maintient l’intérêt du lecteur :

            « J’ai apprivoisé les trois beloteurs du café de l’Ancre, qui est sur la place, et où je vais souvent nourrir mon penchant pour la boisson et le vague à l’âme ; parfois, j’y emmène le Conquérant.

            Il a fallu du temps, et de pleins silences. Deux sont d’anciens carriers, le troisième tenait la boucherie de la rue des Etuves ; son gendre a pris le relais. Tous trois, comme ma logeuse, ont passé septante années. Ils possèdent l’art d’éterniser les verres de bière et les mégots de gris. Leurs regards portent des plaies, de puissantes fatigues qui s’estompent quand leurs mains enserrent les valets et les rois, rejettent les piques, amadouent les carreaux. Ils jouent sans parler, à peine un sifflement parfois lorsque l’un rafle la donne avec l’élégance d’un torero. Le père que je n’ai pas connu aurait sans doute leur âge. » (p.36)

            Il nous semble que tout y est déjà : l’humanité derrière un sens de l’observation, le style.    

 

            Pour le moins, nous concluons en affirmant que Crépuscule est le roman d’un grand écrivain.

 

Alexandre Anizy 

(¹) Soulignons ici la belle couverture de Lucille Clerc.

 

 

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