Ayant connu le général Desportes lorsqu'il débutait sa carrière à Tübingen (1), nous constatons qu'il a su évoluer sur l'OTAN... Tardivement, c'est entendu, mais il tend à prouver que la Raison l'emporte au fil du temps.
Comme nous le faisions remarquer dans notre analyse de son livre titré La dernière bataille de France (lire ici l'intégralité de notre billet du 14 novembre 2015) :
Malgré un réquisitoire argumenté, l'auteur ne se résout pas à prôner la sortie de l'OTAN. Il se place même au milieu du gué alors que le torrent de l'Histoire va déferler sur la France : « L'OTAN ? oui, mais profondément transformée, sans primus inter pares et dans laquelle les Européens seraient au minimum "l'actionnaire majoritaire". » (V. Desportes, dans les Echos du 27 octobre 2015) Sur le rivage de Seine, Desportes voudrait bousculer l'establishment pour mettre à l'ordre du jour de l'organisation américaine une réforme contraire aux intérêts des Etats-Unis, un peu comme ces économistes effarés qui demandent une réforme de l'euro contraire aux intérêts du maître et concepteur de cet outil monétaire, i.e. l'Allemagne. La realpolitik n'est décidément pas française.
Doit-on écarter la chimère d'une "défense européenne" à laquelle Vincent Desportes semble porter le coup de grâce, comme un rapport récent du Sénat (3) ? « (...) il n'existe pas de défense européenne, il n'existe pas d'armée européenne car il n'existe pas d'union politique, de communauté de vision, pas même cette communauté d'intérêts indispensable à la conception d'un outil de défense commun. » (p.61) Non, puisque Vincent Desportes réaffirme ailleurs : « Notre horizon doit être l'Europe de la défense. » (les Echos du 27 octobre 2015)
Dans ces conditions, le discours de Vincent Desportes est incohérent : alors que l'Europe de la défense est une impasse conceptuelle, que sans les Etats-Unis l'Europe aurait une armée creuse en l'état actuel des choses, il souhaite une réforme de l'OTAN qui est stratégiquement le meilleur obstacle à la construction des armées nationales indépendantes en Europe.
C'est pourquoi nous concluions :
Seule la sortie de l'OTAN rendrait cohérente la perspective que Vincent Desportes semble esquisser. Comme il ne l'envisage pas, force est de constater son impasse. Pourtant en matière de stratégie, il s'est montré d'un meilleur niveau avec son livre La guerre probable :
http://www.alexandreanizy.com/article-la-guerre-probable-selon-vincent-desportes-116031869.html
Que dit Vincent Desportes aujourd'hui ? (2)
L'OTAN est devenue une menace pour les pays européens. (...) Il est temps que l'OTAN soit remplacée par la défense européenne.
Quels sont ses arguments ? D'abord elle déresponsabilise les Etats européens, qui se croient à l'abri sous le protectorat américain, et pire, ne s'imaginent plus capables de se défendre par eux-mêmes. Ensuite elle constitue un carcan qui favorise les tensions intra-européennes. Enfin Desportes constate objectivement que « La seule Europe qui vaille pour les Etats-Unis, c'est une Europe en perpétuel devenir. Ils ont toujours poussé pour les élargissements, y compris vis-à-vis de la Turquie. »
Que propose Desportes ?
« Il faut créer un noyau dur capable de doter le continent d'une autonomie stratégique et capacitaire. »
Si le général Desportes est sur le bon chemin, il demeure dans l'ambiguïté des oripeaux occidentaux. En effet, s'il appelle à une construction de l'Europe stratégique, il ne préconise pas la sortie de l'OTAN, faisant comme si cette organisation menaçante se laisserait vider de sa substance par la création parallèle d'une Europe militaire...
Soyons clairs : les Etats européens qui formeront le noyau dur devront préalablement, ou plus exactement de manière concomitante, sortir de l'OTAN. Pour cet événement, il ne faut donc pas compter sur la Pologne, ni sur l'Allemagne.
Concernant ce que nous appelons "les oripeaux occidentaux", force est de constater que Desportes ne s'en est pas totalement libérés puisqu'il écrit : « Nous avons, nous Occidentaux, contribué à faire ressurgir la menace russe. »
Mais le général se soigne puisqu'il ose affirmer aujourd'hui : « Je pense que la Russie doit être intégrée à l'espace européen et que nous devons faire en sorte qu'elle ne soit plus une menace. » Cette position nous semble plus logique et cohérente que celle exprimée en 2015.
Peu à peu Vincent Desportes se défait des reliques idéologiques du XXe siècle pour quitter le cercle de la déraison. Grâce à cette démarche courageuse, il aborde les défis du monde du XXIe avec pertinence.
Alexandre Anizy
(1) Le lieutenant Desportes nous ayant envoyé en taule (des arrêts simples, soyons précis et modeste), le lecteur notera que nous ne sommes pas rancunier.
(2) Entretien publié dans le Figaro du 25 mai 2019.