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La dernière fumette de Patrick Modiano

Publié le par Alexandre Anizy

 

Le temps n'a pas prise sur Patrick Modiano : on le quitte dans les années 80 sur on ne sait plus quoi, et on le retrouve avec L'herbe des nuits (Gallimard, octobre 2012, 178 pages, 16,90 €), toujours dans ce même Paris obscur qui n'appartient qu'à lui …

 

Le lecteur avisé survole donc ces nouvelles pages, savamment travaillées pour distiller la nostalgie des eaux troubles d'un passé sans cesse revisité, parce qu'on est blasé de l'inconsistance que d'aucuns prennent pour du mystère.

« Il y avait ainsi, à cette époque, à Paris, la nuit, des points trop lumineux qui servaient de piège et je tâchais de les éviter. Quand j'y échouais, au milieu d'étranges consommateurs, j'étais sur le qui-vive et j'essayais même de repérer les sorties de secours. « Tu te crois à Pigalle », m'a-t-elle dit. » (p.35)

Quand la musique se répète, le lecteur se lasse.

 

Et nous est alors revenu ce vers de René Char :

« L'oscillation d'un auteur derrière son œuvre, c'est de la pure toilette matérialiste. » (Pléiade, p.70)

 

 

Alexandre Anizy

 

 

 

 

 

Franz Bartelt : un écrivain ardennais talentueux

Publié le par Alexandre Anizy

 

Franz Bartelt vit dans les Ardennes, publie chez Gallimard (la blanche et la noire), et nous n'avions rien lu de ce sanglier ! Il fallait réparer sur le champ cet oubli fâcheux...

 

Commençons par Le jardin du Bossu(Folio, novembre 2010, 236 pages) . C'est un polar décalé dont la fin n'est pas crédible, et dans lequel l'auteur donne libre cours à l'humour et l'ironie mordante : le plaisir du lecteur est dans la manière. En voici un échantillon pioché au hasard (qui fait bien les choses en l'occurrence) :

 

« Au début de la révolution, j'ai rencontré une professeur de français très portée sur la gauche. Elle avait bien dix ans de plus que moi. Je la revois sur le perron de l'Hôtel de Ville. Elle prônait la libération sexuelle. Elle ne devait pas savoir encore exactement ce que c'était, parce qu'elle était obligée de lire sur un papier. C'était une malade de l'émeute. Une agitatrice. Une factieuse. Elle voulait tout foutre par terre, démolir les églises, couper des têtes, se baigner dans le sang des bourgeois. Ça m'étonnait un peu, vu que chez elle elle n'écoutait que les disques de Félix Leclerc. J'aimais pas tellement le Canadien, mais je ne disais rien. A cette époque, on ne faisait pas l'amour aussi facilement qu'aujourd'hui. Du moment qu'elle couchait avec moi, je voulais bien n'importe quoi. J'étais même prêt à raffoler de Tino Rossi. » (p.88)

 

Le coup de patte permanent, avec légèreté...

 

 

Poursuivons avec Le testament américain (Gallimard, avril 2012, livrel de 132 pages). Il serait inconvenant de vous en raconter le thème, car ce court roman loufoque et irrévérencieux, très sexuel, n'est pas à mettre dans les mains de prudes ou de coincé(e)s du falzar, mais important de dire que l'essentiel est une fois encore dans le style. Nouvel échantillon :

 

« Anne-Marie Mingue était une vraie professionnelle de la télévision. Elle pratiquait la fellation avec ce sang-froid qui caractérise les gens de métier. Sa carrière avait été ponctuée d'un nombre décroissant de sexes érigés. Au début, jeune stagiaire, elle avait mâché tout le monde dans les coins, (…). » (p.86)

 

Âmes délicates, cœurs purs, calotins de toutes obédiences, fuyez cet ouvrage naturel !

 

 

Achevons notre promenade littéraire du côté de chez Bartelt avec La mort d'Edgar (Gallimard, 2010, livrel de 177 pages), un ensemble de 9 nouvelles. Nous avons particulièrement apprécié « Histoire de l'art », une charge loufoque dans laquelle on peut lire :

« Le ministre de la Culture décora l'artiste. Son discours parlait de fluidités invisibles et de force en éclipse. Il fut applaudi chaleureusement par l'assemblée, en majorité composée d'artistes subventionnés et de femmes entretenues. Devant un engouement aussi généralisé, n'importe quel créateur aurait géré la féconde gesticulation au mieux de ses intérêts bancaires. Mais Mamoh Grelock n'était pas du genre à se laisser subvertir par l'euphorie que dispense le succès. Depuis le début, il s'inscrivait, philosophiquement, dans une démarche darwinienne. » (p.47)

« En trois battements de cils, il peignait un compotier rempli d'oranges de Birmanie et de bananes du Mexique, sur fond de colonnes antiques et de gouttières contemporaines. » (idem)

Côté sexe, nous vous laissons le plaisir de découvrir les affres de la création dans la nouvelle titrée « le vrai romancier ».

 

 

Fin de notre défense et illustration de la littérature ardennaise : Franz Bartelt est bourré de talents, qu'on se le dise !

 

 

Alexandre Anizy

 

 

Deux erreurs d'analyse de Jean-Luc Mélenchon

Publié le par Alexandre Anizy

 

Depuis la rentrée d'automne, Jean-Luc Mélenchon a peaufiné son discours sur la scène politique, passant de "Nous ne sommes pas l’opposition, nous sommes les ayants droit de la victoire" et "nous demandons notre dû",en août, à « Il y a une majorité de gauche à l’Assemblée : je propose qu’elle change de centre de gravité. Je suis prêt à être Premier ministre : je ne peux dire mieux ! »,en novembre (Rue89, le 28 novembre)

Deux phrases, deux erreurs : beaucoup pour un seul homme.

 

La première erreur, c'est de croire qu'il existe une majorité de gauche à l'Assemblée. En tant qu'ancien membre du PS, Mélenchon est bien placé pour savoir que ce parti n'a de socialiste que le nom :

« De meilleures conditions pour les retraités les plus pauvres, le mariage des homos, l'abolition de la ridicule loi Hadopi, la suppression de la nomination des patrons de chaînes et radios publiques, le droit de vote des immigrés [sur ce sujet, après avoir agité le chiffon rouge sur les estrades, nous venons d'assister à une nouvelle reculade … combien en quasiment 30 ans? NdAA], quelques éoliennes de plus et quelques centrales de moins, mais tout cela, la droite est capable de le faire – comme elle fit une loi sur la burqa et un Grenelle de l'environnement. Mais où est la seule réforme qui pourrait justifier le mot "socialisme" ? » (Bernard Maris, plaidoyer (impossible) pour les socialistes, Albin Michel)

Citons aussi le malheureux Président de la Commission des Finances du Conseil Régional Nord-Pas-de-Calais, Michaël Moglia, qui a « la tristesse mais enfin la lucidité, après 23 années de militantisme, dont 9 au sein de la direction nationale du PS, de constater [qu'il s'est trompé] » : Benoît Hamon hier, Emmanuel Maurel aujourd'hui, tentent de maintenir en façade l'image d'un vrai parti de gauche ; Montebourg au gouvernement, lui-même Moglia dans le Nord, ont joué un rôle puisque « à un parti en pleine dérive idéologique il fallait ses idiots utiles. » Et de conclure : « Le PS a oublié les ouvriers. Mais pas seulement eux : les exclus de tout poil et les 11 millions de pauvres qui vivent en France ne comptent pas, ou si peu. » (Libération, 6 décembre 2012)

Tout est dit, non ?

 

 

La deuxième erreur consiste à croire (ou feindre) que le Président culbuto molletiste Hollande pourrait appeler Mélenchon à Matignon pour appliquer le programme du Front de Gauche. Pour énoncer une connerie pareille, il faut être aveuglé par son raisonnement et/ou sous-estimer l'animal politique nommé François Hollande qui,

« s'il use et abuse des jongleries et des roueries, [il] n'en sait pas moins ce qu'il veut. (…) la ligne de son gouvernement, elle relève du social-libéralisme le plus classique : engagement européen énergique, diminution des déficits au pas de course, volonté de réduire les dépenses publiques, pacte de compétitivité, le tout humanisé par des réformes en faveur des jeunes, de l'égalité hommes-femmes et par les drapeaux délibérément agités (mariage et adoption pour les homosexuels, réflexions sur la fin de vie, engagement de mettre fin au cumul des mandats [la prochaine reculade ? NdAA], introduction de la proportionnelle … [seulement pour que le FN de la famille Le Pen bloque l'échiquier à droite, permettant ainsi une nouvelle configuration gouvernementale dirigée par le même Président … rien de neuf ! Que du Mitterrand 84 réchauffé … NdAA]) » (Alain Duhamel, Libération du 6 décembre 2012)

Si la tempête arrive, comme le croit Mélenchon, le Président culbuto molletiste Hollande se tournera vers son véritable camp, sa classe d'origine, la petite bourgeoisie provinciale, ce que Michaël Moglia n'est pas loin de penser lorsqu'il écrit : « (…) donnerez-vous raison à ceux qui ont vu dans la discrète réception d'élus du Modem à l’Élysée, il y a quelques jours, l'amorce d'un renversement d'alliance au profit du centre droit ? »

Une reconfiguration politique se prépare longuement et en catimini : si les fers sont au feu, celui du Front de Gauche n'y est pas.

 

Mais ces deux erreurs d'analyse en sont-elles réellement ? Comme Jean-Luc Mélenchon est un homme intelligent, il est permis de douter.

 

 

Alexandre Anizy

 

 

 

Le postanarchisme de Michel Onfray

Publié le par Alexandre Anizy

 

Michel Onfray se déchaîne encore cet automne en publiant 3 ouvrages. On s'inquiète pour sa santé et on réitère notre conseil :

http://www.alexandreanizy.com/article-a-michel-onfray-travailler-plus-pour-ecrire-moins-52224938.html

 

Dans « le postanarchisme expliqué à ma grand-mère. Le principe Gulliver » (éditions Galilée, octobre 2012, 98 pages, 18 €), il survole son sujet, en y mettant la touche personnelle, comme :

« Les prêtres de mon enfance, les patrons et la hiérarchie de l'usine de mon village m'ont affranchi sur la nature du pouvoir. » (p.20) ;

ce qui n'est pas une coquetterie de diva philosophe, quand on relie ses expériences à son propos :

« L'anarchie est moins une idéologie à vociférer qu'une pratique à incarner. » (p.49),

qu'il convient aussitôt de compléter par :

« Le postanarchisme n'est pas pour demain – mais pour tout de suite. » (p.54)

 

Qu'est-ce que le postanarchisme ? Onfray dit que c'est un concept utilisé aux États-Unis pour un ensemble de pensées qui regroupe les points-clés de l'anarchisme, en tentant de les dépasser dans le cadre contemporain. Séparant l'ivraie des classiques, Onfray retient ce qui lui semble le bon grain de : Goldwin, Proudhon, Stirner, Louise Michel, Fourier, Bakounine, Kropotkine, Thoreau, Élisée Reclus, Sébastien Faure, Alexandre Jacob, Zo d'Axa, Émile Pouget, Émile Armand, Makhno, Pelloutier, Voline, Malatesta, Emma Goldman, Louis Lecoin (chacun comprend l'utilité de cette énumération).

« (…) le postanarchisme propose de réfléchir à partir des acquis d'une pensée majoritairement française et de proposer une sortie du nihilisme à l'aide d'un corpus philosophique relativement récent. » (p.75)

Et de citer : Foucault, Bourdieu, Deleuze et Guattari, Lyotard, Derrida. Pour résumer : "contre les réacs de l'anti 68" ; "Paris 8 au Salon !"². Il faut « réactiver la pensée critique issue de Mai 68 et de Vincennes ».

« La fin de la macropolitique débouche sur l'avènement de la micropolitique, la vérité du postanarchisme. Je nomme principe de Gulliver cette logique nouvelle, plus modeste, plus humble, moins clinquante, mais qui en finit avec le modèle messianique et religieux. » (p.97)

 

Onfray esquisse les bases d'un projet de recherche et d'un programme politique. Rendons lui ce mérite.

 

 

Alexandre Anizy

 

(¹) : ce titre sans humour nous fait penser à une collection pour les Nuls, et même pire, à un publicitaire qui prétendait que sa mère le croyait "pianiste dans un bordel" (peut-on mettre de l'esprit dans un paquet de lessive ?). Navrant.

(²) : nous parlons ici de l'université de Vincennes – St Denis, du moins avant qu'elle ne rentre dans le moule, avec des gens comme Olivier Pastré par exemple.

 

Le Feu selon Henri Barbusse

Publié le par Alexandre Anizy

 

Pour notre part, nous ne pouvons pas nous contenter en ce qui concerne 14-18, l'événement qui engendra bien d'autres saloperies au cours du XXe siècle, du survol habile d'un faiseur comme Jean Echenoz avec son 14 : il importe d'en dire plus sur cette boucherie. Il suffit pour aujourd'hui de renvoyer le lecteur à Henri Barbusse, dont Le Feu (le livrel est gratuit) a obtenu le prix Goncourt 1916.

 

Dans ce journal d'une escouade (sous-titre du roman), l'auteur relate la vie ordinaire des soldats sur le front.

« Biquet raconte ses tribulations suppliantes pour trouver une blanchisseuse qui consente à lui rendre le service d'laver du linge, mais « c'était chérot, foutre ! ». » (p.66)

Barbusse rapporte tout, usant à bon escient du langage populaire.

 

Si par goût ou fantaisie on s'égare sur le chemin littéraire de monsieur Echenoz, il convient de lire Le Feu d'Henri Barbusse pour ne pas perdre contact avec la réalité.

 

 

Alexandre Anizy