Depuis la rentrée d'automne, Jean-Luc Mélenchon a peaufiné son discours sur la scène politique, passant de "Nous ne sommes pas l’opposition, nous sommes les ayants droit de la victoire" et "nous demandons notre dû",en août, à « Il y a une majorité de gauche à l’Assemblée : je propose qu’elle change de centre de gravité. Je suis prêt à être Premier ministre : je ne peux dire mieux ! »,en novembre (Rue89, le 28 novembre)
Deux phrases, deux erreurs : beaucoup pour un seul homme.
La première erreur, c'est de croire qu'il existe une majorité de gauche à l'Assemblée. En tant qu'ancien membre du PS, Mélenchon est bien placé pour savoir que ce parti n'a de socialiste que le nom :
« De meilleures conditions pour les retraités les plus pauvres, le mariage des homos, l'abolition de la ridicule loi Hadopi, la suppression de la nomination des patrons de chaînes et radios publiques, le droit de vote des immigrés [sur ce sujet, après avoir agité le chiffon rouge sur les estrades, nous venons d'assister à une nouvelle reculade … combien en quasiment 30 ans? NdAA], quelques éoliennes de plus et quelques centrales de moins, mais tout cela, la droite est capable de le faire – comme elle fit une loi sur la burqa et un Grenelle de l'environnement. Mais où est la seule réforme qui pourrait justifier le mot "socialisme" ? » (Bernard Maris, plaidoyer (impossible) pour les socialistes, Albin Michel)
Citons aussi le malheureux Président de la Commission des Finances du Conseil Régional Nord-Pas-de-Calais, Michaël Moglia, qui a « la tristesse mais enfin la lucidité, après 23 années de militantisme, dont 9 au sein de la direction nationale du PS, de constater [qu'il s'est trompé] » : Benoît Hamon hier, Emmanuel Maurel aujourd'hui, tentent de maintenir en façade l'image d'un vrai parti de gauche ; Montebourg au gouvernement, lui-même Moglia dans le Nord, ont joué un rôle puisque « à un parti en pleine dérive idéologique il fallait ses idiots utiles. » Et de conclure : « Le PS a oublié les ouvriers. Mais pas seulement eux : les exclus de tout poil et les 11 millions de pauvres qui vivent en France ne comptent pas, ou si peu. » (Libération, 6 décembre 2012)
Tout est dit, non ?
La deuxième erreur consiste à croire (ou feindre) que le Président culbuto molletiste Hollande pourrait appeler Mélenchon à Matignon pour appliquer le programme du Front de Gauche. Pour énoncer une connerie pareille, il faut être aveuglé par son raisonnement et/ou sous-estimer l'animal politique nommé François Hollande qui,
« s'il use et abuse des jongleries et des roueries, [il] n'en sait pas moins ce qu'il veut. (…) la ligne de son gouvernement, elle relève du social-libéralisme le plus classique : engagement européen énergique, diminution des déficits au pas de course, volonté de réduire les dépenses publiques, pacte de compétitivité, le tout humanisé par des réformes en faveur des jeunes, de l'égalité hommes-femmes et par les drapeaux délibérément agités (mariage et adoption pour les homosexuels, réflexions sur la fin de vie, engagement de mettre fin au cumul des mandats [la prochaine reculade ? NdAA], introduction de la proportionnelle … [seulement pour que le FN de la famille Le Pen bloque l'échiquier à droite, permettant ainsi une nouvelle configuration gouvernementale dirigée par le même Président … rien de neuf ! Que du Mitterrand 84 réchauffé … NdAA]) » (Alain Duhamel, Libération du 6 décembre 2012)
Si la tempête arrive, comme le croit Mélenchon, le Président culbuto molletiste Hollande se tournera vers son véritable camp, sa classe d'origine, la petite bourgeoisie provinciale, ce que Michaël Moglia n'est pas loin de penser lorsqu'il écrit : « (…) donnerez-vous raison à ceux qui ont vu dans la discrète réception d'élus du Modem à l’Élysée, il y a quelques jours, l'amorce d'un renversement d'alliance au profit du centre droit ? »
Une reconfiguration politique se prépare longuement et en catimini : si les fers sont au feu, celui du Front de Gauche n'y est pas.
Mais ces deux erreurs d'analyse en sont-elles réellement ? Comme Jean-Luc Mélenchon est un homme intelligent, il est permis de douter.
Alexandre Anizy