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Chemins vers Michèle Lesbre

Publié le par Alexandre Anizy

Malgré l'avalanche de médiocrités qui encombrent les tables des librairies (nous pensons à ces femmes incrustées dans les médias comme les Colombe Schneck, Justine Lévy, etc., qui n'ont rien à dire mais ont le pouvoir de le faire savoir en enfilant les perles de leurs petites misères d'enfants gâtées), il est encore possible de trouver de vrais auteurs qui réjouissent leurs lecteurs en soignant leurs styles, comme Michèle Lesbre qui vient de sortir Chemins (Sabine Wespieser éditeur, février 2015, en livrel à 11,99 € - trop cher !).

« La péniche s'appelait Minette, le couple nous attendait. Un petit jour humide et frais donnait des frissons. La femme m'a offert un café brûlant tandis que le moteur se mettait en marche. Ils m'ont abandonné pour effectuer les manoeuvres nécessaires, un ballet précis, rythmé, porté par leur complicité muette, des regards, des gestes, des mimiques, tout un langage intime et tendre. » (p.82/128)

Les trois fois rien de Michèle Lesbre disent presque tout.

Alexandre Anizy

Vargas glaciaire

Publié le par Alexandre Anizy

La malédiction s'est abattue sur le 13ème roman policier de Fred Vargas titré Temps glaciaires (Flammarion, mars 2015, 497 pages, 19,90 € ; en livrel à 14,99 € - trop cher !) : glissant sur une séquence ennuyeuse, le lecteur est tenaillé par l'envie de lâcher l'ouvrage pour vaquer à d'autres plaisirs. Que s'est-il donc passé ?

Alors que l'auteur déclare :

« Je suis obsédée par le tempo, le rythme du livre. » (1),

force est de constater que la partition n'est pas homogène ;

« Et, alors que tous mes livres tournent autour des 600.000 signes (...) » (idem),

il aurait mieux valu que celui-ci frise les 500.000.

Au diable LE format, Fred ! Diantre, l'audace s'imposait !

Que nous sachions, un auteur comme Vargas, obligée de changer d'éditeur pour cause de liaison dangereuse avec un agent littéraire, ne se paie pas à la ligne !

Alexandre Anizy

(1) Entretien de Fred Vargas dans Express du 4 mars 2015

Volonté et fortune de Carlos Fuentes

Publié le par Alexandre Anizy

Si nous reconnaissons l'apport incommensurable des écrivains latino-américains à la littérature mondiale dans la deuxième moitié du XXe siècle, nous gardons néanmoins l'esprit critique pour chaque production des statues du commandeur. Il en est ainsi de La volonté et la fortune de Carlos Fuentes (Gallimard, 2014, traduit de l'espagnol par Vanessa Capieu, livrel à 17,99 € - le prix habituellement scandaleux de cette maison !).

Malgré nos efforts pour suivre le fil de cette histoire complexe mais finalement construite sur une trame ordinaire improbable (on pense alors au Quatre-vingt-treize de Victor Hugo), nous n'avons pas réussi à nous y intéresser. Cependant nous avons apprécié la liberté de ton, même sur des choses scabreuses, faisant passer bien des auteurs iconoclastes pour ce qu'ils sont, à savoir des enfants de chœur. Est-ce suffisant pour vous plonger dans ce roman ? Non.

Alexandre Anizy

Ne pas se comporter comme Victor Serge ou Jean-Luc Mélenchon

Publié le par Alexandre Anizy

Les éditions Grasset ont ressorti dans leur collection "Cahiers Rouges" le roman de Victor Serge intitulé « S'il est minuit dans le siècle » (262 pages, 9,20 € ; 1ère édition en 1939). D'un point de vue littéraire, cette réédition ne s'imposait pas vraiment. En effet, le style romanesque de Victor Serge est ordinaire.

Nous en soulignons ici le premier chapitre : Mikhaïl Ivanovitch Kostrov, un compagnon d'armes de la 1ère heure des Bolcheviks, qui a pris ses distances avec le pouvoir russe, est arrêté par la police politique, à une époque où Staline éliminait méthodiquement les révolutionnaires de 1917 qui n'avaient pas prêté allégeance au nouveau tsar (et même ceux qui le firent n'en furent pas pour autant sauvés !) ; il va connaître les geôles et les interrogatoires des flics rouges, pour finir inéluctablement au goulag.

Si nous comparons uniquement ce chapitre au chapitre "Boris Davidovitch" du « Tombeau pour Boris Davidovitch » de Danilo Kiš,

voir notre note

http://www.alexandreanizy.com/article-tombeau-pour-boris-davidovitch-de-danilo-ki-55548647.html

nous donnons l'avantage à Kiš sans hésitation, parce qu'il décrypte mieux la psychologie des duellistes et par conséquent met en évidence la perversité du système stalinien.

D'un point de vue politique par contre, nous considérons que ce livre devrait toujours être disponible pour le public. En effet, la carrière du révolutionnaire professionnel Victor Serge est exceptionnelle et instructive.

Résumons la vie de ce militant : au temps de la bande à Bonnot qu'il côtoie, Victor Serge est connu dans les milieux anarchistes (et donc de la police), notamment parce qu'il dirige la publication "l'anarchie", et il est inculpé puis condamné à 5 ans de prison (peine purgée) ; en 1917, il va participer à l'insurrection de juillet à Barcelone ; de retour en France, il fera tout pour rejoindre la Révolution russe, et y parviendra en 1919. Membre du PC russe et de l'exécutif de l'Internationale, on lui confie la revue "Internationale communiste". Jusqu'à la mort de Lénine, il sera un bon petit soldat bolchévique. Après, il critique le dirigisme, la bureaucratie … et il finit exclu du PC en 1927 … et déporté en 1933. Grâce à un élan d'intellectuels français (André Gide, André Malraux, Alain), et tout particulièrement de Romain Rolland, il sera libéré par Staline.

Un parcours exceptionnel, assurément.

Ce qui est édifiant chez Victor Serge, c'est l'aveuglement politique au coeur de la bataille. En effet, alors qu'il n'est pas trop mal informé, il écrit dans l'été 1920 une brochure Les Anarchistes et la révolution russe (publiée en août 1921) :

« Eh bien ! il me semble que nous devons, nous, anarchistes, accepter ou répudier en bloc toutes les conditions nécessaires de la révolution sociale : dictature du prolétariat, principe des soviets, terrorisme, défense de la révolution, fortes organisations.

De ce bloc on ne peut rien ôter sans que tout s'écroule. La révolution est telle. C'est le fait. (...) Etes-vous contre elle ou avec elle ? Ainsi se pose brutalement la question. »

(page 142, Mémoires d'un révolutionnaire et autres écrits politiques 1908 - 1947, Robert Laffont, collection Bouquins, octobre 2001, 1.047 pages) (1)

Et c'est pourquoi il se range derrière le parti bolchevique pour la répression implacable des insurgés de Cronstadt : « Avec bien des hésitations et une angoisse inexprimable, mes amis communistes et moi, nous nous prononcions finalement pour le parti. » (page 606)

Comment un militant anarchiste aguerri a-t-il pu avaler de telles couleuvres ?

En fait, Victor Serge fait partie de ceux qui ferment les yeux sur les horreurs du chemin croyant qu'ils atteindront leur but : l'Histoire montre qu'ils se perdent en route ou qu'ils sont éliminés par leurs amis moins naïfs.

Victor Serge nous fait penser à Jean-Luc Mélenchon lorsqu'il demande sans condition au soir du 15 mai 2012 de voter pour le culbuto molletiste Hollande (2), qui persiste à idolâtrer le francisquain Mitterrand, qui est toujours fier du bilan du bradeur Lionel Jospin (3)...

En dernière analyse, c'est le même aveuglement.

Alexandre Anizy

(1) Parce qu'il est proche du centre de décision des révolutionnaires bolcheviques, Victor Serge accède à des informations et des documents secrets, comme par exemple le fait que le journaliste du Figaro Raymond Recouly, spécialiste des affaires étrangères, était payé 500 franc par mois par la Russie tsariste (agent de l'Okhrana - la police secrète) pour influencer l'opinion et pour espionner les autres journalistes ! Raymond Recouly, c'est aussi le genre de journalistes qui écrivait dans Gringoire, journal d'extrême-droite à partir de février 1934, puis qui publiait en 1941 Les causes de notre effondrement (éditions de France).

Ah ! le journalisme, quel beau métier ! N'est-ce pas Fabrice Arfi et Antoine Perraud ?

(2) Pourtant il connaît bien le lascar depuis 30 ans !

(3) Les privatisations ont atteint un sommet sous l'ère du socialiste Jospin, qui avec son ministre Strauss-Kahn permit à Lagardère de commettre le hold-up du siècle lors de la création de EADS, comme le raconta si bien le Canard enchaîné.

Les terroristes : d'Anatole France à Sophie Wahnich

Publié le par Alexandre Anizy

            Dans Les Dieux ont soif  (en livrel gratuit), Anatole France montre la dérive d'un homme intelligent et policé durant la période de la Terreur : « Evariste Gamelin, peintre, élève de David, membre de la section du Pont-Neuf, précédemment section Henri IV (...) » (incipit). L'auteur décrit le glissement inéluctable d'un être pétri d'idéalisme dans une société en ébullition et en conflit avec les royautés étrangères.

            Les Dieux ont soif est un excellent roman, parce qu'Anatole France produit des effets de vérité (1) : notamment quand l'irrationnel s'empare d'Evariste Gamelin, devenu un intraitable juge expéditif, pour le conduire à l'élimination physique d'un supposé rival amoureux, usant ainsi de son pouvoir exorbitant pour commettre un meurtre légal. En somme, un crime parfait.

            Hier comme aujourd'hui et demain, que ne fait-on pas au nom de l'intérêt supérieur de la Nation ou de l'Etat ?

 

Encore s'il suffisait de quelques hécatombes,
Pour qu'enfin tout changeât, qu'enfin tout s'arrangeât !
Depuis tant de "grand soir" que tant de têtes tombent,
Au paradis sur terre on y serait déjà.
Mais l'âge d'or sans cesse est remis aux calendes,
Les Dieux ont toujours soif, n'en ont jamais assez,
Et c'est la mort, la mort, toujours recommencée...
Mourons pour des idées, d'accord, mais de mort lente,
            D'accord, mais de mort lente.

                        Georges Brassens . Mourir pour des idées

 

 

            Du coup, nous avons replongé dans l'histoire de la Révolution française, précisément sur la Terreur, avec le remarquable livre de Sophie Wahnich : La liberté ou la mort. Essai sur la Terreur et le terrorisme (La Fabrique éditions, 2003, 111 pages, 13 €). Après trois décennies de révision où la vulgate historiographique de François Furet et consorts en arrive à une conclusion aberrante (Révolution = Totalitarisme), les travaux de Wahnich et quelques autres vont commencer à percer dans les médias. Ils n'auront pas de mal à intéresser le public, tant le simplisme de la ligne politique des humanitaires (pour la bande menée par l'obscène milliardaire Bernard-Henri Lévy, la Révolution est intolérable) finit par l'offusquer, notamment cette frivole Monique Canto-Sperber lorsqu'elle assimile (2) les terroristes du 11 septembre 2001 aux révolutionnaires de 1793 en falsifiant les mots de Saint-Just par ignorance et paresse intellectuelle (3).

            Les brigands (4) et leurs clercs maintenant ont fait sécession. (5)

           

            Concernant la période de la Terreur avec ses 3 moments-clés, la thèse que présente Wahnich colle aux faits et aux paroles des révolutionnaires.

            Tout d'abord le tribunal révolutionnaire : « Ce tribunal ouvre un cycle de vengeance instituée. » (p.57) ; il s'agissait d'éviter la répétition des massacres de septembre 1792 en canalisant la violence à l'encontre des contre-révolutionnaires demandée par les sections. « Danton présente ainsi le tribunal révolutionnaire comme l'antidote de la "vengeance du peuple", ou plus exactement comme son possible contrôle par une institution qui résulte de "lois extraordinaires prises hors du corps social" (...) » (p.61) Ainsi, la proclamation de la Terreur n'est pas une volonté de déchaîner la violence populaire mais au contraire celle de mettre un frein à celle-ci en la contrôlant (Danton : les Conventionnels doivent être "les dignes régulateurs de l'énergie nationale").

            Ensuite vint la fameuse loi des suspects. Celle qui instaurant la suspicion générale plonge la Révolution dans un mouvement politique mortifère, selon l'interprétation habituelle. Or Sophie Wahnich défend ici l'idée qu'au contraire la loi des suspects suspend la répression sanglante : être suspect, ce n'est pas être accusé. Certes les prisons se remplissaient, mais la guillotine fonctionnait moins. Les faits, rien que les faits.  

            Enfin la loi du 22 prairial an II place le tribunal révolutionnaire dans une logique de guerre : le contre-révolutionnaire devient un ennemi irréconciliable à abattre parce qu'il s'oppose au genre humain constitué en peuple souverain. L'humanité est fondée par l'existence politique du citoyen : par conséquent celui qui se met hors du droit naturel de la communauté devient inhumain. « Le sentiment d'humanité révolutionnaire ne conduit pas à protéger avant toute chose des corps souffrants où qu'ils soient et quels qu'ils soient. Il s'agit de protéger avant tout l'humanité comme groupe humain politiquement constitué par son respect du droit naturel déclaré, de l'échelle la plus locale à l'échelle la plus cosmopolitique. » (p.86)

           

            Après la chute de Robespierre, les Thermidoriens usent des mots terrorisme et terroriste pour qualifier ceux qui se sont battus pour un nouvel espace politique égalitaire. « Thermidor opère ainsi un premier déplacement vers une Révolution incompréhensible et désastreuse en niant le sens du "faire mourir souverain" et en faisant de la mort pendant la période révolutionnaire une mort dénuée de sens. » (p.89)

            « Thermidor inaugure pour notre temps le règne de l'émotion victimaire. » (p.89)

 

            Au bout de son exposé (6), Sophie Wahnich peut conclure : « La terreur révolutionnaire n'est pas le terrorisme. Une mise en équivalence morale de l'an II et de 2001 est un non-sens historique et philosophique. » (p.97)

            Au moment où triomphe l'humanitarisme de gouvernements gestionnaires de foules émotives, il est utile de rappeler l'Histoire si on veut lutter contre l'indifférenciation généralisée, qui est la véritable antichambre de l'inhumanité.

 

 

Alexandre Anizy

 

 

 

(1) Référence à la thèse d'Hermann Broch, enrichie par Milan Kundera.

 

(2) Monique Canto-Sperber :Injustifiable terreur, Monde du 3 octobre 2001

 

(3) Grâce à Françoise Brunel, on sait donc que dans cet article la paresseuse et pimpante philosophe Canto-Sperber cite en fait les mots que Georg Buchner prête à Saint-Just dans La mort de Danton. Frivole Monique...

 

(4) « « Ceux qui font la guerre à un peuple, pour arrêter les progrès de la liberté et anéantir les droits de l'homme [NdAA : les droits naturels de l'homme sont : liberté, sûreté, propriété, résistance à l'oppression], doivent être poursuivis partout non comme des ennemis ordinaires, mais comme des assassins et des brigands rebelles. » Robespierre (On retrouve la figure du brigand qui désigne bien alors celui qui se met en dehors du lien social, en dehors de la commune humanité tout en connaissant ses règles [souligné par AA]. (...) » Wahnich, page 84

 

(5) Lire La révolte des élites et la trahison de la démocratie de Christopher Lash.

 

(6) Dans sa recension, Marc Belissa montre les limites de certaines parties de l'exposé et donne quelques pistes pour ceux qui voudraient approfondir la question : « Sophie Wahnich, La Liberté ou la Mort. Essai sur la Terreur et le terrorisme », Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique [En ligne], 94-95 | 2005, mis en ligne le 03 avril 2009, URL : http://chrhc.revues.org/1182