En janvier 2017, le philosophe Yves Michaud développe sa réflexion sur la citoyenneté dans un petit essai faussement audacieux : " Citoyenneté et loyauté " (Kero, 113 pages, 11,90 €). A méditer cependant de toute urgence pour réinitialiser la res publica.
Dans son essai précédent titré " Contre la bienveillance ", dont nous avons déjà parlé ici,
http://www.alexandreanizy.com/2016/10/qu-est-ce-que-le-populisme.html
Yves Michaud amorçait son exposé sur la citoyenneté pour l'achever aujourd'hui dans un nouvel opus, dont les 2 premiers chapitres dressent un réquisitoire contre l'incivisme :
« L'affaiblissement du civisme est déjà moins mou quand il se manifeste sous forme de recours à des cabinets d'optimisation fiscale, à l'expatriation fiscale vers des pays plus accommodants, quand de hauts fonctionnaires font des allers-retours fructueux entre leur corps d'origine dans la fonction publique, le secteur privé et des positions électives ou des charges politiques importantes - pour ne rien dire des fraudes organisées avec l'aide des banques internationales. »
Pour finir par ce constat :
« Depuis plus d'une décennie les gouvernements, de droite comme de gauche, se sont employés à acheter la " paix sociale " à coups de mesures catégorielles en transformant l'Etat-providence en supermarché pour consommateurs de droits. »
Les 2 derniers chapitres esquissent un " projet civique sur la base de la loyauté et du serment ".
Le problème apparent tient à la difficulté de dissocier citoyenneté et nationalité. Pourtant chacun convient qu'être « de telle ou telle nationalité implique beaucoup de choses mais certainement pas le tout de notre identité », dont la citoyenneté est la part politique qui devrait avoir la caractéristique d'être voulue et choisie.
Avant la Révolution, on appartenait à un ordre de par sa filiation, son activité, sa corporation : impôt, taxes, service militaire, mobilité et résidence dépendaient de son appartenance à tel ou tel ordre. « A partir des [ Révolutions américaine et française], être de quelque part, c'est adhérer du même coup à un régime politique qui fait de vous un citoyen passif protégé par les lois et égal aux autres en même temps qu'un citoyen actif participant selon ses capacités au gouvernement politique de la communauté. » Cette confusion entre nationalité et citoyenneté est dommageable puisque toutes les nations ne sont pas des républiques. « La nationalité est une chose, la citoyenneté en est une autre. »
Dans les républiques développées, l'Etat-providence a progressé : la citoyenneté est politique, civique, sociale. La part sociale représente un « paquet de bénéfices sans contrepartie coûteuse ».
Yves Michaud propose donc de reconstruire la citoyenneté : revenir « aux idéaux d'engagement citoyen de la République, créer les conditions d'une loyauté, d'une citoyenneté voulue, engagée et non pas passive et consommatrice de droits et bénéfices ».
Il pose le principe d'une appartenance conditionnelle à la République de tous les enfants nés en France, les conditions étant dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Durant leur scolarité (jusqu'à 16 ans), les enfants suivent un enseignement obligatoire, simple, gratuit des dites conditions, autrement dit une formation à la citoyenneté.
A l'école, jusqu'à 16 ans, les enfants porteront un uniforme simple visant à neutraliser les différences (de classe, d'origine et de religion). Au terme de cette formation de citoyen, un service civique de 3 mois sera instauré, permettant notamment de vérifier que les connaissances civiques et scolaires indispensables sont acquises.
A la fin de ce service civique, les enfants prêteront " allégeance et loyauté à la république " : ils pourront dès lors voter, et seront par conséquent majeurs.
N.B. : c'est à ce stade que pourrait commencer le revenu de base du citoyen (RBC) dont nous avons parlé ici
http://www.alexandreanizy.com/article-pour-un-revenu-de-base-du-citoyen-rbc-121943400.html
Puisqu'il y a serment, le fait de le violer expose le mauvais citoyen à des sanctions qui doivent être graduelles : « Et comme la nationalité est, au bout du compte, inséparable de la citoyenneté, on peut prévoir de déchoir de leur nationalité les citoyens déloyaux pour les manquements les plus graves. »
La contradiction n'étouffe pas le philosophe : après avoir écrit en introduction que « l'idée de faire reposer la citoyenneté sur les principes de la nationalité au nom d'un droit du sol ou d'un droit du sang est une illusion supposant et engendrant une autre illusion, celle d'une identité nationale substantielle ou naturelle (la France gauloise, la France chrétienne, la France révolutionnaire, la France de l'art de vivre, etc.) », Yves Michaud affirme que nationalité et citoyenneté sont inséparables, plongeant alors son discours dans un marigot juridique trop succinct pour être convaincant.
Par manque de rigueur, au bout de l'essai le compte n'y est pas, puisqu'il n'a pas dissocié nationalité et citoyenneté.
Où mène alors cette fausse ratiocination ? A la débandade.
Quels seraient les crimes civiques majeurs ? La fraude fiscale massive et organisée, les actes de barbarie commis en accompagnement de crimes. « Je laisse de côté la suggestion que j'ai faite ailleurs d'étendre la sanction par la déchéance de la nationalité à l'expatriation fiscale. », parce que c'est plus compliqué que ça... qu'il n'y a qu'à poursuivre les fraudeurs devant les tribunaux... vous connaissez la chanson ! Prenons un exemple : le milliardaire Bernard Arnault, qui a sciemment organisé l'expatriation fiscale de LVMH en Belgique et a créé PROTECTINVEST pour échapper aux droits de succession en France (lire Le Monde et L'Humanité du 19 septembre 2012), ne serait donc pas déchu de ses citoyenneté et nationalité, alors qu'il va s'exonérer du paiement d'un impôt - première obligation du citoyen. Très conciliant le Michaud nouveau !
Dans son essai Citoyenneté et loyauté, Yves Michaud pose correctement le problème, donne l'orientation d'un travail qui aurait pu être fructueux s'il avait ouvert le chantier de la dissociation entre citoyenneté et nationalité. Alors beaucoup reste à faire. En l'état, on pressent qu'avec l'auteur les sanctions de la nouvelle citoyenneté vaudraient plus pour les gens de peu et les migrants que les exemptés cités en exemple : beaucoup de bruit pour que rien ne change.
Alexandre Anizy